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La musique se tut.

Dans le silence soudain, il prit deux pas de recul, leva la clé et cria : « Je dédie cette vérité à… » Il s’interrompit, devinant les pensées de son oncle : Ce jeune fou va dédier la vérité à Dame Fenring, envers et contre tout et provoquer un scandale !

« … à mon oncle et supérieur, le Baron Vladimir Harkonnen ! » acheva Feyd-Rautha.

Avec délices, il surprit le soupir de son oncle.

La musique entama une marche plus rapide et, avec ses hommes, Feyd-Rautha traversa l’arène en direction de la porte de prudence que ne pouvaient franchir que ceux qui arboraient le ruban spécial d’identification. Il se félicitait de n’avoir jamais eu à utiliser cette porte et d’avoir eu rarement recours aux distracteurs. Mais, en ce jour, il était bon de savoir qu’il pouvait en disposer. Les plans spéciaux recèlent parfois des dangers spéciaux.

À nouveau, ce fut le silence sur l’arène.

Feyd-Rautha se retourna et fit face à la large porte rouge par laquelle devait surgir le gladiateur.

Le gladiateur spécial.

Le plan mis au point par Thufir Hawat était d’une simplicité admirable, songeait Feyd-Rautha. L’esclave ne serait pas drogué. Là résidait le danger. Au lieu de cela, un mot-clé avait été implanté dans son inconscient qui, à l’instant critique, provoquerait l’immobilisation des muscles. Feyd-Rautha se répéta plusieurs fois le mot, en silence : « Racaille ! » Aux yeux de l’assistance, tout se passerait comme si l’on avait réussi à introduire dans l’arène un esclave non drogué afin de tuer le na-Baron. Et les preuves évidentes et soigneusement préparées désigneraient le maître des esclaves comme coupable.

Un ronronnement sourd s’éleva de la porte rouge à l’instant où les servo-moteurs d’ouverture étaient mis en route.

Feyd-Rautha concentra tous ses sens sur la porte. Le premier instant était le plus critique. À la seconde où le gladiateur apparaissait, un œil entraîné pouvait apprendre tout ce qu’il lui fallait savoir. Tous les gladiateurs étaient censés être sous l’influence de l’elacca, prêts à mourir au combat. Mais il fallait observer la façon dont ils brandissaient le couteau, dont ils paraient, qu’ils eussent ou non conscience de la foule. Une simple inclinaison de tête pouvait fournir un indice vital pour le combat, les attaques et les feintes.

La porte rouge s’ouvrit.

L’homme qui en surgit était grand, musculeux, le crâne rasé, les yeux sombres, profondément enfoncés.

Sa peau avait la teinte rouge carotte que conférait l’elacca, mais Feyd-Rautha savait que ce n’était en réalité qu’une application de teinture. L’esclave portait des collants verts et la ceinture rouge d’un semi-bouclier sur laquelle une flèche blanche, pointée vers la gauche, indiquait le flanc non protégé. Il tenait son couteau ainsi qu’une épée, légèrement pointée en avant, dans l’attitude d’un combattant expérimenté. Lentement, il s’avança dans l’arène, présentant son côté protégé à Feyd-Rautha et aux hommes rassemblés près de la porte de prudence.

« Je n’aime pas l’allure de celui-là, dit l’un des piqueurs de Feyd-Rautha. Êtes-vous certain qu’il soit drogué, Mon Seigneur ? »

« Il en a la couleur », dit Feyd-Rautha.

« Pourtant, il est en position de combat », dit un autre.

Feyd-Rautha fit deux pas dans le sable, étudiant son adversaire.

« Qu’a-t-il donc fait à son bras ? » demanda l’un des distracteurs.

Le regard de Feyd-Rautha se porta sur la cicatrice qui marquait l’avant-bras gauche de l’esclave. Puis il vit la main qui lui désignait le dessin sanglant tracé sur la cuisse gauche du collant. Un faucon stylisé.

Un faucon !

Feyd-Rautha regarda droit dans les yeux sombres et les vit briller d’excitation.

C’est l’un des hommes du Duc que nous avons capturés sur Arrakis ! se dit-il. Et non un simple gladiateur ! Il eut un long frisson et se demanda si le plan de Hawat n’était pas tout différent de ce qu’il en connaissait. S’il n’y avait pas un stratagème dans le stratagème…

Même ainsi, seul le maître des esclaves apparaîtrait comme coupable !

Le chef de ses hommes se pencha à son oreille : « Je n’aime pas du tout son allure, Mon Seigneur. Laissez-moi lui planter une ou deux piques dans le bras. »

« Je les planterai moi-même », dit Feyd-Rautha. Il prit à l’homme deux dards à crochets, les souleva, éprouvant leur équilibre. Ces piques aussi étaient d’habitude enduites de drogue, mais pas cette fois et il pourrait en coûter la vie au chef des aides. Mais tout cela faisait partie du plan.

Après, tu seras un héros, se dit Feyd-Rautha. Tu auras tué ton gladiateur en homme, malgré la traîtrise. Le maître des esclaves sera exécuté et ton homme le remplacera alors.

Feyd-Rautha fit encore cinq pas dans l’arène, observant toujours l’esclave. Il savait que, déjà, les experts présents dans les loges avaient compris que quelque chose était anormal. Le gladiateur avait la couleur de peau d’un homme drogué mais il demeurait fermement sur sa position et ne tremblait pas. Les aficionados devaient murmurer entre eux : « Regardez comme il se tient. Il devrait s’agiter, pourtant… Attaquer, battre en retraite. Mais il garde ses forces, il attend. Il ne devrait pas. »

Feyd-Rautha sentit croître sa propre excitation. Trahison ou non, se dit-il, je peux l’abattre. Et c’est dans mon long couteau que se trouve le poison, aujourd’hui, pas dans le plus court. Même Hawat ignore cela.

« Eh, Harkonnen ! lança l’esclave. Es-tu prêt à mourir ? »

Un silence de mort tomba sur l’arène. Jamais les esclaves ne lançaient le défi !

À présent, Feyd-Rautha voyait les yeux de l’homme, il pouvait y lire la férocité glacée du désespoir. Il nota la façon dont l’homme se tenait, décontracté, vigilant, tous ses muscles prêts à la victoire. Le télégraphe secret des esclaves avait dû lui apporter le message de Hawat : « Tu auras une chance réelle de tuer le na-Baron. » Mais cela, ils l’avaient mis au point ensemble, avec Hawat.

Un sourire furtif vint jouer sur les lèvres de Feyd-Rautha. Il leva les piques. Dans la position du gladiateur, maintenant, il entrevoyait le succès de ses plans.

« Ha ! Ha ! Ha ! » cria l’esclave, et il fit deux pas en avant, lentement.

Maintenant, songea Feyd-Rautha, nul ne peut plus être abusé.

Cet esclave aurait dû être en partie paralysé par la terreur suscitée par la drogue. Chacun de ses mouvements aurait dû trahir son désespoir, la certitude que, pour lui, il n’y avait ici aucune chance de gagner. Il aurait dû avoir en tête les histoires innombrables qui circulaient à propos des divers poisons dont le na-Baron se plaisait à enduire la courte lame qu’il tenait dans sa main gantée de blanc. Jamais, avec lui, la mort n’était rapide. Il se délectait à faire la démonstration de poisons rares et, dans l’arène, expliquait à l’assistance tel ou tel intéressant effet secondaire tandis que la victime se tordait au sol.

Certes, il y avait de la peur en l’homme. De la peur, et non de la terreur.

Feyd-Rautha leva haut les piques, inclinant la tête en un signe de semi-acquiescement.

Le gladiateur attaqua.

Ses feintes et ses contres étaient parmi les meilleurs que Feyd-Rautha ait jamais vus. Un coup latéral, ajusté avec précision, manqua la jambe du na-Baron d’une fraction de seconde.

Feyd-Rautha rompit en sautant, laissant une pique dans l’avant-bras droit de l’esclave. La pointe était profondément enfoncée et les crochets, sous la chair, ne pouvaient être dégagés qu’en arrachant les tendons.