Des cris étouffés montèrent des tribunes.
Et Feyd-Rautha se sentit envahi par l’exaltation.
Il savait maintenant ce qu’éprouvait son oncle, assis là-bas en compagnie des Fenring venus de la Cour Impériale pour observer. Dans ce combat, il ne pouvait y avoir d’interférence. Devant de tels témoins, les règles devaient être observées. Le Baron ne pouvait traduire ce qui se passait dans l’arène que d’une seule manière : une menace contre sa personne.
L’esclave recula. Il tenait son couteau entre ses dents et, à l’aide de la banderole, attachait le dard au long de son bras blessé. « Je ne sens rien ! » cria-t-il avant de se remettre en marche, le couteau levé, offrant son flanc gauche tout en ployant le corps en arrière pour profiter au maximum de la protection du semi-bouclier.
Ce mouvement n’échappa pas aux tribunes. Des cris véhéments s’élevèrent des loges familiales. Feyd-Rautha entendit les appels de ses hommes qui lui offraient leur assistance. D’un geste, il leur intima de gagner la porte de prudence.
Je vais leur donner un spectacle qu’ils n’ont jamais connu, songea-t-il. Pas une bonne tuerie bien organisée dont ils puissent admirer le style dans leurs fauteuils. Non… Quelque chose qui va leur attraper les tripes et les tordre. Quand je serai Baron, ils se souviendront de ce jour et, à cause de ce jour, ils auront peur de moi et ne pourront m’échapper.
Le gladiateur continuait de progresser comme un crabe et Feyd-Rautha lui céda du terrain, lentement. Ses pas crissaient sur le sable de l’arène. Il percevait le halètement de l’esclave, l’odeur âcre de sa propre sueur et aussi celle du sang.
Il se porta sur la droite, préparant sa seconde pique. L’esclave oscilla. Feyd-Rautha fit mine de trébucher et entendit le cri qui venait de toutes les tribunes.
Une fois encore, l’esclave attaqua.
Dieux ! Quel adversaire ! songea Feyd-Rautha en se dérobant. Seule la vivacité de la jeunesse le sauva, mais il laissa quand même un second dard profondément enfoncé dans le muscle deltoïde droit du gladiateur.
Des applaudissements frénétiques plurent des tribunes.
Ils m’acclament, à présent, se dit Feyd-Rautha. Et il percevait la sauvagerie qui habitait les voix, tout à coup, ainsi que l’avait prévu Hawat. Jamais encore ils n’avaient ainsi applaudi un champion familial. Il se souvint de ce que lui avait dit le Mentat : « Il est facile d’être terrifié par un ennemi que l’on admire. » Et cette pensée avait maintenant des échos sinistres.
Rapidement, il battit en retraite vers le centre de l’arène où il pourrait clairement percevoir chaque détail. Il sortit son long couteau, s’accroupit et attendit.
L’esclave ne s’attarda que le temps de lacer la seconde pique au long de son bras, ainsi qu’il avait fait pour la première, puis il se remit en marche.
Que la famille me regarde, se dit Feyd-Rautha. Je suis leur ennemi. Il faut qu’ils pensent désormais à moi tel qu’ils me voient maintenant.
Il brandit sa lame courte.
« Je ne te crains pas, porc d’Harkonnen, dit le gladiateur. Tes tortures ne peuvent atteindre un mort. Je peux mourir de ma propre lame avant qu’un de tes valets ne me touche. Et tu mourras en même temps ! »
Feyd-Rautha sourit. Il pointait maintenant la longue lame, celle qui était enduite de poison.
« Essaye celle-ci », dit-il, et, de l’autre main, il feinta avec la lame courte.
L’esclave changea son arme de main et se tourna, parant et feintant dans le même temps pour se saisir de la lame courte du na-Baron. Celle qui, dans la main gantée de blanc, selon la tradition, devait porter le poison.
« Tu vas mourir, Harkonnen ! » souffla le gladiateur.
Ils se ruèrent l’un contre l’autre. Lorsque les boucliers entraient en contact, une lueur bleue naissait. L’odeur acide de l’ozone se faisait plus forte d’instant en instant.
« Meurs de ton propre poison ! » gronda l’esclave.
Il se saisit de la main gantée de blanc de Feyd-Rautha et la replia vers l’intérieur.
Il faut que tous voient cela ! pensa Feyd-Rautha.
Il abaissa la lame longue qui vint heurter en vain la pique lacée contre l’avant-bras de l’esclave.
Un instant, il fut troublé. Il n’avait pas encore songé que ses propres dards puissent être, pour le gladiateur, un moyen de défense. Mais, en vérité, ils lui faisaient une sorte de bouclier improvisé. Et l’homme était fort ! Peu à peu, inexorablement, la lame courte de Feyd-Rautha se rapprochait de sa chair et il se dit qu’un homme pouvait mourir par le couteau, sans le moindre poison.
« Racaille ! » cracha-t-il.
Au mot-clé, les muscles du gladiateur obéirent par un bref instant de flaccidité. Ce qui suffit à Feyd-Rautha. L’espace ainsi ouvert entre eux était suffisant pour permettre le passage de son long couteau. La pointe empoisonnée laissa un sillon rouge sur le torse du gladiateur. La souffrance fut immédiate. L’homme se dégagea et tituba en arrière.
À présent, se dit Feyd-Rautha, que ma chère famille se régale. Qu’ils croient tous que cet esclave allait retourner contre moi la lame empoisonnée. Qu’ils se demandent donc comment un gladiateur a pu ainsi pénétrer dans l’arène pour tenter de m’assassiner. Et qu’ils puissent ne jamais savoir avec certitude laquelle de mes mains porte le poison.
En silence, Feyd-Rautha observait maintenant les gestes de l’esclave. Celui-ci se déplaçait maintenant avec hésitation. Chacun pouvait lire sur son visage ce qui s’y dessinait clairement : la mort. L’homme savait ce qui venait de se passer et comment cela s’était passé. Il savait que le poison s’était trouvé sur le mauvais couteau.
« Toi ! » coassa-t-il.
Feyd-Rautha recula pour lui laisser assez de place pour mourir. Il fallait encore que l’élément paralysant du poison fît son effet mais la lenteur des gestes de l’homme était, quant à cela, éloquente.
Il tituba en avant, un pas après l’autre, comme tiré par quelque fil invisible. Et chaque pas semblait être le dernier. Il n’avait pas lâché son arme, mais elle tremblait maintenant entre ses doigts.
« Un jour… l’un… de nous… te tuera », souffla-t-il.
Une petite moue triste vint déformer sa bouche. Il tomba assis, puis s’effondra complètement, se raidit et roula un peu plus loin, face contre terre.
Dans l’arène silencieuse, Feyd-Rautha s’avança et, du pied, retourna le corps de son adversaire afin que chacun, dans les tribunes, pût voir opérer le poison dans les convulsions du visage. Mais le couteau du gladiateur était planté dans sa propre poitrine.
En dépit de la frustration qu’il éprouva soudain, Feyd-Rautha ne put rejeter un élan d’admiration pour l’effort que l’homme avait dû accomplir pour lutter contre la paralysie. Et, dans le même temps, il comprit qu’il devait réellement craindre quelque chose.
Est terrifiant ce qui rend un humain surhumain.
Comme il se concentrait sur cette pensée, Feyd-Rautha prit conscience du bruit qui venait des tribunes et des loges, tout autour de lui, le bruit d’applaudissements sans retenue.
Il se retourna alors et regarda l’assistance.
Ils l’acclamaient, tous, sauf le Baron qui, le menton dans la main, le contemplait, et le Comte et sa Dame dont le sourire était comme un masque.
À cet instant, le Comte se tournait vers sa Dame et lui disait : « Ah… Mmmm… Un jeune homme plein de… Mmmm… ressources, n’est-ce pas, ma chère ? »
« Ses… Euh… réponses synaptiques sont particulièrement vives », dit-elle.
Le Baron la regarda, puis son attention se porta sur son époux avant de revenir à l’arène. Et il songea : Dire que quelqu’un peut s’approcher à ce point de l’un des miens ! La rage, maintenant, remplaçait la peur. Cette nuit, le maître des esclaves sera mis à mort, lentement, sur un feu… Mais si ce Comte et sa Dame ont quelque chose à voir dans ceci…