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« Sur quel mur de la salle devrai-je accrocher ces jolies choses, Ma Dame ? »

« Fie-toi à ton idée, Mapes. Cela n’a pas d’importance. » Et elle pensa : Toujours pratique, cette Mapes.

« Comme vous le désirez, Ma Dame. (Mapes se pencha sur le trophée.) Ainsi on a tué un vieux duc ? » dit-elle doucement.

« Dois-je appeler un des manœuvres pour t’aider ? » demanda Jessica.

« J’y arriverai seule, Ma Dame. »

Oh oui, elle y arrivera, pensa Jessica. C’est ce qui caractérise cette Fremen : la volonté de réussir.

Dans son corsage, elle ressentait le contact froid de l’arme et elle songea à la longue chaîne d’intrigues bene gesserit qui avait conduit à forger ce nouveau maillon, sur ce monde. Et qui l’avait sauvée d’une crise qui aurait pu être fatale. On ne peut rien hâter, avait dit Mapes. Pourtant, la hâte dominait les lieux en cette heure, une hâte qui emplissait Jessica d’appréhension. Et toutes les précautions de la Missionaria Protectiva, toutes les inspections minutieuses auxquelles s’était livré Hawat dans ce grand amoncellement de blocs de pierre ne pouvaient effacer cette sensation.

« Lorsque tu auras fini, défais les colis, dit-elle à Mapes. L’un des hommes qui déchargent au-dehors a toutes les clés et il connaît l’emplacement des choses. Demande-lui la liste ainsi que les clés. Si quelque problème se pose, je serai dans l’aile sud. »

« Il en sera selon votre désir, Ma Dame. »

Jessica s’éloigna. Elle songeait : Sans doute les hommes d’Hawat ont-ils jugé que cette demeure est sûre, mais je sens quelque chose de menaçant.

Et soudain, elle eut envie de voir son fils. Elle se dirigea vers l’entrée voûtée qui accédait au passage conduisant à la salle à manger et aux appartements familiaux. Elle marchait vite. De plus en plus vite. Elle courait presque.

Derrière elle, Mapes cessa un instant de délivrer la tête de taureau de son emballage et leva les yeux sur la silhouette qui disparaissait. « C’est Elle, murmura-t-elle. C’est bien Elle. La pauvre. »

« Yueh ! Yueh ! Yueh ! dit le refrain. Un million de morts, ce n’est pas assez pour Yueh ! »

Extrait de Histoire de Muad’Dib enfant,

par la Princesse Irulan.

La porte était entrebâillée. Jessica pénétra dans une pièce dont les murs étaient jaunes. À sa gauche, elle découvrit une banquette basse de cuir noir et deux bibliothèques vides. Une gourde à eau pendait là, ses flancs rebondis couverts de poussière. À droite, de part et d’autre d’une nouvelle porte, apparaissaient d’autres bibliothèques vides, ainsi qu’un bureau de Caladan et trois chaises. Au fond de la pièce, en face de Jessica, le docteur Yueh se tenait immobile devant la fenêtre. Il lui tournait le dos et toute son attention semblait en cet instant concentrée sur le monde extérieur.

Silencieuse, Jessica avança d’un pas. Elle remarqua que le manteau du docteur était froissé et qu’une trace blanche était visible à hauteur de son coude gauche, comme s’il s’était récemment appuyé contre de la craie. Vue ainsi de derrière, sa silhouette raide et désincarnée en habit noir évoquait quelque marionnette prête à se mouvoir selon la volonté d’un invisible montreur. Seule la tête paraissait vivante, légèrement penchée pour mieux suivre quelque mouvement au-dehors, les cheveux d’un noir d’ébène enserrés dans l’anneau d’argent de l’École Suk et rejetés sur l’épaule.

De nouveau, le regard de Jessica fouilla la pièce et elle ne décela aucun signe de la présence de son fils. Mais cette porte fermée, sur la droite, ouvrait, elle le savait, sur une petite chambre pour laquelle Paul avait semblé marquer quelque penchant.

« Bonsoir, docteur Yueh, dit-elle. Où est Paul ? »

Il hocha la tête comme s’il répondait à quelque signe de l’extérieur et parla d’une voix absente, sans se retourner : « Votre fils était fatigué, Jessica. Je l’ai envoyé se reposer dans la chambre voisine. »

Puis, brusquement, il se raidit et se retourna. Sa moustache retombait sur ses lèvres très rouges. « Pardonnez-moi, Ma Dame ! Mes pensées n’étaient point là… Je… je ne voulais pas me montrer aussi familier. »

Elle sourit et leva la main droite. Pendant un instant, elle craignit qu’il ne s’agenouille et dit : « Wellington, je vous en prie. »

« Mais d’avoir ainsi prononcé votre nom… Je… »

« Nous nous connaissons depuis six ans. Cela devrait suffire pour que nous oubliions les formalités… en privé. »

Yueh risqua un pâle sourire. Je pense que cela a marché, pensa-t-il. À présent, elle croira que toute attitude étrange de ma part peut s’expliquer par mon embarras. Pendant qu’elle détient la réponse, elle ne cherchera pas plus loin d’autres raisons.

« Je crains que vous ne m’ayez surpris en train de rêvasser, dit-il. Lorsque je suis…, très inquiet à votre sujet, j’ai bien peur de ne penser à vous que comme… Eh bien, comme à Jessica. »

« Inquiet à mon sujet ? Et pourquoi ? »

Yueh haussa les épaules. Depuis longtemps il avait compris que Jessica ne possédait pas tout le Dire de Vérité au contraire de sa Wanna. Pourtant, chaque fois que cela lui était possible, il lui disait la vérité. C’était plus sûr.

« Vous avez vu ces lieux, Ma… Jessica. (Il avait hésité sur le nom et poursuivit :) Tout y est si nu après Caladan. Et ces gens ! Toutes ces femmes au long de notre chemin qui gémissaient derrière leurs voiles. Et leur regard ! »

Jessica referma ses bras sur sa poitrine et elle sentit le contact du couteau, de la lame faite d’une dent de ver des sables, si la rumeur disait vrai.

« Nous leur paraissons étranges, c’est tout, dit-elle. Nous sommes différents et nos coutumes le sont aussi. Ils n’ont jamais connu que les Harkonnen. (Elle tourna son regard vers la fenêtre et demanda :) Mais que regardiez-vous au-dehors ? »

« Les gens », dit Yueh.

Elle vint à ses côtés et suivit son regard. Il contemplait le devant de la demeure, sur la gauche. Là se dressaient vingt palmiers. Le sol, autour d’eux, était propre, nu. Une barrière-écran protégeait les arbres des gens en robes qui passaient sur la route proche. Jessica perçut l’infime frémissement de l’air tandis qu’elle observait ceux qui passaient là-bas et se demandait pourquoi ce spectacle absorbait à ce point le docteur.

Puis elle comprit et porta instinctivement une main à sa joue. Les gens regardaient les palmiers ! Et elle décelait de l’envie sur leurs visages, de la haine… et un peu d’espoir. Tous ceux qui passaient là-bas pillaient les arbres, un à un, de l’intensité de leur regard fixe.

« Savez-vous ce qu’ils pensent ? » demanda Yueh.

« Prétendez-vous lire dans les esprits ? »

« Dans ceux-là, oui. Ces gens regardent ces arbres et ils pensent : Voici cent d’entre nous. Voilà ce qu’ils pensent. »

Elle le regarda, fronçant les sourcils d’un air intrigué.

« Pourquoi ? »

« Ces arbres sont des dattiers. Chacun d’eux requiert une quarantaine de litres d’eau chaque jour. Un homme n’a besoin que de huit litres. Ainsi, chacun de ces palmiers équivaut à cinq hommes. Vingt palmiers. Cent hommes. »

« Mais certaines gens les regardent avec une sorte d’espoir. »

« Ils espèrent seulement que quelques dattes tomberont. Mais ce n’est pas la saison. »