Elle franchit le seuil et s’avança dans la pièce. Pourquoi un sas à l’intérieur d’une maison ? Elle songea soudain à des créatures exotiques… Un climat spécial ! Cela semblait possible sur ce monde où les plantes étrangères les plus sobres devaient être irriguées.
Elle se retourna et vit que la porte, derrière elle, commençait à se refermer. Elle l’arrêta et la bloqua avec la cale laissée par Hawat. Puis elle se tourna de nouveau vers le volant d’ouverture du sas. Elle distinguait à présent une minuscule inscription dans le métal. Les mots étaient galach et elle lut :
« Ô Homme ! Voici une adorable part de la Création de Dieu. Alors, regarde et apprend à aimer la perfection de Ton Suprême Ami. »
Jessica pesa sur le volant et la porte s’ouvrit. Une brise légère lui effleura la joue, lui caressa les cheveux. Elle huma un air nouveau, plus riche. Ouvrant la porte en grand, elle découvrit une masse de verdure baignant dans une lumière dorée.
Un soleil Jaune ? Non. Un toit filtrant !
Elle s’avança. La porte se referma derrière elle.
« Une serre humide », murmura-t-elle dans un souffle.
Elle était entourée de plantes en pots et d’arbustes. Elle identifia un mimosa, un cognassier en fleur, un sondagi, un pleniscenta à fleurs vertes, un akarso strié de vert et de blanc… des roses… Même des roses !
Elle se pencha vers l’une des grandes fleurs et en huma l’arôme avant de se redresser pour examiner la serre. Et de tous ses sens, elle perçut un rythme. Elle écarta un rideau de feuilles et plongea son regard dans le cœur de la pièce. Là, elle découvrit une petite fontaine basse dont la vasque était cannelée. Un filet d’eau s’en élevait en arc pour retomber en tambourinant sur le fond métallique.
Elle se plongea en état de perception accrue et inspecta méthodiquement la serre. C’était une pièce carrée de dix mètres de côté. En tenant compte de sa situation à l’extrémité du hall et de certaines différences de construction, elle déduisit qu’elle avait dû être ajoutée à cette aile bien après la construction de la demeure elle-même.
Sur le côté sud, elle s’arrêta devant la vaste surface de verre filtrant, se retourna et regarda tout autour d’elle. Et, tout autour d’elle, le moindre espace était occupé par des plantes exotiques nées sous des climats humides. Et dans tout ce vert, quelque chose bruissa. Un instant. Jessica se tendit, puis elle vit l’appareil, un simple servok à mouvement d’horlogerie, avec un tuyau et un bras d’arrosage qui projetait une fine buée sur ses joues. Puis le bras se retira et elle aperçut alors ce qu’il arrosait : une fougère arborescente.
Il y avait de l’eau dans toute cette pièce. De l’eau, sur un monde où l’eau était le jus précieux de la vie. Tant d’eau dépensée… Elle sentit que quelque chose se figeait tout au fond d’elle. Elle leva les yeux vers la clarté jaune du soleil. Il s’abaissait vers un horizon tourmenté de collines qui faisaient partie de l’immense chaîne connue sous le nom de Bouclier.
Un verre filtrant, pensa-t-elle. Un verre filtrant pour rendre ce soleil blanc plus doux, plus familier. Qui a pu concevoir un tel endroit ? Leto ? Ce serait bien de lui que de me surprendre avec un tel présent, mais il n’en a pas eu le temps. Il lui a fallu affronter des problèmes plus graves.
Elle se souvint alors de ce rapport qui disait que nombre de demeures arrakeens possédaient des sas aux portes et aux fenêtres afin de préserver l’humidité intérieure. Et Leto avait alors déclaré que, pour affirmer sa puissance et sa richesse, il lui fallait ignorer de telles précautions et se contenter de portes et de fenêtres à l’épreuve de la poussière omniprésente.
Mais l’existence de cette pièce était plus éloquente que l’absence de sas à toutes les portes de la demeure. Jessica avait idée que ce lieu réservé au plaisir recelait assez d’eau pour faire vivre mille personnes… sinon plus.
Elle se déplaça au long de la paroi de verre, son regard continuant d’explorer la serre. Et une surface métallique lui apparut auprès de la fontaine, une table sur laquelle reposaient un bloc-notes et un stylet partiellement dissimulés par une feuille. Comme elle s’en approchait, elle vit les signes laissés par Hawat, puis se pencha sur le message :
« À DAME JESSICA.
Que ce lieu vous donne autant de plaisir qu’il m’en a donné. Permettez que cette pièce vous ramène en mémoire une leçon que nous tenons des mêmes maîtres : La proximité d’un objet désiré incline à trop d’indulgence. Là réside le danger.
Mes meilleurs vœux.
MARGOT DAME FENRING »
Jessica hocha la tête. Le Duc avait prononcé le nom du comte Fenring. Elle s’en souvenait. Le comte Fenring avait été mandataire de l’Empereur sur Arrakis. Mais ce message, libellé de telle façon qu’elle sût que son auteur était également Bene Gesserit, requérait en cet instant toute son attention. Pourtant, une pensée amère vint l’effleurer : Le Comte a épousé sa Dame. Mais, dans la même seconde, elle cherchait déjà le message caché. Il devait y en avoir un. Les lignes qu’elle venait de lire comportaient la phrase que toute Bene Gesserit, à moins d’être inhibée par une Injonction de l’École, devait transmettre à une autre Bene Gesserit lorsque les conditions l’imposaient : « Là réside le danger. »
Les doigts de Jessica glissèrent à la surface du bloc, en quête de perforations codées. Rien. Puis sur le côté. Rien. Et… une impression… Quelque chose dans la position du bloc ? Mais Hawat avait sondé la pièce et il avait dû déplacer le bloc-notes pour l’examiner. Levant les yeux, elle vit alors la feuille qui pendait au-dessus de la table. La feuille ! D’un doigt, elle en caressa la face interne, puis le bord, la tige… Là ! C’était là ! D’un seul geste, elle décela et lut le message des points infimes.
« Votre fils et le Duc courent un danger immédiat. Une chambre a été aménagée afin d’attirer votre fils. Les H l’ont pourvue de pièges mortels destinés à être découverts afin qu’un seul échappe aux recherches. » Elle lutta contre le désir soudain de courir vers Paul. Il lui fallait d’abord connaître le message tout entier. Ses doigts coururent sur les marques. « J’ignore la nature exacte de la menace mais elle a trait à un lit. Votre Duc, quant à lui, est menacé par la trahison d’un compagnon ou d’un lieutenant qui avait sa confiance. Les H ont fait le projet de vous offrir à un de leurs mignons. Pour autant que je sache, cet endroit est sûr. Pardonnez-moi de ne pouvoir vous en dire plus. Mes sources ne sont guère nombreuses car le Comte n’est pas des H. En hâte, M. F. »
Jessica repoussa la feuille et se retourna pour courir vers son fils. Dans le même instant, la porte du sas fut violemment ouverte et Paul surgit dans la pièce. Il tenait quelque chose dans la main droite. Il repoussa la porte derrière lui, aperçut sa mère et s’avança vers elle en écartant les feuilles. Il vit alors la fontaine et plaça sa main droite sous le jet d’eau.
« Paul ! (Jessica le saisit par l’épaule.) Qu’est-ce que cela ? »
« Un chercheur-tueur. Je l’ai attrapé dans ma chambre et je lui ai écrasé le nez, mais il vaut mieux être sûr. L’eau devrait le court-circuiter. » Il parlait d’un ton désinvolte mais Jessica perçut la tension qui l’habitait.
« Immerge-le ! » lança-t-elle.
Il obéit.
« Maintenant, lâche-le. Laisse-le dans l’eau. »