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Un signal !

Elle essaya aussitôt de le déchiffrer, mais il était émis dans un code qui lui était inconnu. Puis d’autres lumières apparurent dans la plaine, sous les collines, des étincelles jaunes sur l’ombre bleue, profonde. Et une autre étoile brillante, plus loin à gauche, qui répondit à la première, sur un rythme très rapide… Puis qui s’éteignit.

La première étoile, quelque part dans les collines, disparut aussitôt.

Des signaux… Un pressentiment envahit Jessica.

Pourquoi utiliser des signaux lumineux d’un bord à l’autre de la cuvette ? se demanda-t-elle. Pourquoi, alors qu’il existe un réseau de communication ?

La réponse était évidente : toute communication pouvait être interceptée par les agents du Duc. Ces signaux lumineux ne pouvaient avoir été émis que par des ennemis, des agents harkonnens.

On frappa à la porte, puis Jessica reconnut la voix de l’homme de Hawat. « Tout va bien, monsieur… Ma Dame. Il est temps de conduire le jeune maître auprès de son père. »

On a coutume de dire que le Duc Leto ferma les yeux devant les périls d’Arrakis et qu’il se laissa prendre au piège sans aucune méfiance. Mais ne serait-il pas plus juste de penser qu’il avait si longtemps vécu dans le plus extrême danger qu’il en était venu à ne plus pouvoir déceler un quelconque changement dans l’intensité de ce danger ? À moins qu’il n’ait choisi de se sacrifier délibérément afin d’assurer une existence meilleure à son fils ? Il apparaît à l’évidence que le Duc n’était pas homme à se laisser abuser si facilement.

Extrait de Muad’Dib, commentaires de famille,

par la Princesse Irulan.

Le duc Leto Atréides était appuyé à un parapet dans la tour de contrôle du terrain de débarquement, à l’extérieur d’Arrakeen. À l’horizon du sud, la première lune brillait comme une pièce d’argent. Juste au-dessous, les collines du Bouclier scintillaient comme autant d’éclats de glace dans la poussière. À gauche, le Duc distinguait les lumières d’Arrakeen qui perçaient la brume, étincelles jaunes… bleues… blanches…

Il songea à tous les avis portant sa signature qui avaient été apposés dans tous les lieux populeux de la planète : « Notre Sublime Empereur Padishah m’a chargé de prendre possession de ce monde et d’y mettre fin à toute querelle. »

C’était là une chose formelle, rituelle qui l’emplissait d’un sentiment de solitude. Qui peut se laisser abuser par cette pompeuse déclaration ? Certainement pas les Fremen. Ni les Maisons Mineures qui contrôlent le commerce intérieur d’Arrakis… et qui appartenaient presque toutes aux Harkonnen.

Ils ont tenté de s’emparer de la vie de mon fils !

Il lui était difficile de lutter contre sa fureur.

Il distingua les feux d’un véhicule qui traversait le terrain, venant d’Arrakeen. Il espéra que Paul se trouvait à bord. Cette attente commençait à l’inquiéter bien qu’il sût qu’elle s’expliquait par les précautions du lieutenant d’Hawat.

Ils ont tenté de s’emparer de la vie de mon fils !

Il secoua la tête, essayant de repousser sa colère et contempla de nouveau le terrain autour duquel cinq de ses frégates se dressaient comme des sentinelles monolithiques.

Mieux vaut un retard dû à la prudence que…

Le lieutenant était un bon élément. D’une loyauté totale, tout désigné pour un prochain avancement.

« Notre Sublime Empereur Padishah… »

Si seulement la population de cette ville de garnison décadente avait pu prendre connaissance de la note privée de l’Empereur à son « Noble Duc » et de ses allusions pleines de mépris aux hommes et aux femmes qui portaient le voile. « … mais qu’attendre d’autre de ces barbares dont le rêve le plus cher est de vivre à l’écart de la sécurité policée des faufreluches ? »

En cet instant, le Duc songeait que son rêve le plus cher, à lui, était justement de mettre fin à toute distinction de classe et d’en finir avec cet ordre maudit. Levant les yeux vers les étoiles qui brillaient au sein de la poussière, il se dit : Caladan tourne quelque part autour d’une de ces petites lumières… mais jamais plus je ne reverrai ma demeure. L’idée de Caladan éveillait soudain comme une douleur dans sa poitrine. Une douleur qui ne semblait pas prendre naissance en lui mais qui lui venait plutôt de Caladan. Il ne parvenait pas à considérer Arrakis, ce monde désertique, comme sa demeure. Et il doutait de jamais pouvoir y parvenir.

Je dois cacher mes sentiments. Pour mon fils. Si jamais il doit avoir une demeure, ce sera celle-ci. Si je peux penser à Arrakis comme à un enfer qui m’est infligé avant ma mort, il faut, lui, qu’il y découvre ce qui l’inspirera. Il doit y avoir quelque chose.

Une vague de pitié envers lui-même le submergea. Il la rejeta aussitôt avec mépris et, d’étrange façon, il se souvint tout à coup de deux vers d’un poème que Gurney Halleck se plaisait à répéter souvent :

« Mes poumons goûtent l’air du Temps

Qui souffle dans les sables amoncelés… »

Gurney ne manquerait certainement pas de sable ici, songea le Duc. Les terres centrales, qui s’étendaient au-delà de ces collines givrées de lune, n’étaient que rocs, dunes, poussière soufflant en tempête. Un territoire inconnu, sauvage et desséché où ne vivaient guère que quelques poignées de Fremen, dispersées sur la bordure ou peut-être à l’intérieur. Les Fremen… S’il se trouvait un élément pour assurer l’avenir de la lignée des Atréides, c’étaient les Fremen. À la condition que les Harkonnen ne les aient point déjà infestés de leurs stratagèmes.

Ils ont tenté de s’emparer de la vie de mon fils !

Un vacarme métallique s’éleva dans la tour et le Duc sentit le parapet vibrer sous lui. Des écrans de protection s’abaissèrent devant lui et le paysage disparut. Une navette arrive, se dit-il. Il est temps de redescendre travailler. Il s’engagea dans l’escalier qui accédait à la vaste salle de rassemblement, essayant de se contraindre au calme et de se composer une expression en vue de la rencontre qui l’attendait.

Ils ont tenté de s’emparer de la vie de mon fils !

Déjà les hommes revenaient du terrain quand il fit son entrée sous le grand dôme jaune. Ils ôtaient les sacs spatiaux de leurs épaules tout en chahutant et en vociférant comme des étudiants revenant de vacances.

« Eh ! Tu sens ça ? La gravité, vieux ! »

« Ça tire combien de G là-dedans ? On se sent lourd ! »

« Le bouquin dit neuf dixièmes ! »

Les mots jaillissaient de tous côtés.

« Tu as jeté un coup d’œil sur ce trou ? Où est toute la camelote qu’on doit trouver ici, hein ? »

« Les Harkonnen l’ont ramassée ! »

« Une bonne douche chaude et un bon lit bien doux ! »

« T’as pas entendu, crétin ? Pas de douches ici. Tu n’as qu’à te laver le cul avec du sable ! »

« Vos gueules ! Le Duc ! »

Il s’avança dans la salle subitement silencieuse.

Gurney Halleck vint à sa rencontre, un sac sur une épaule, tenant le manche de sa balisette à neuf cordes dans une main. Ses pouces étaient épais mais ses doigts étaient longs et ils tiraient de l’instrument une musique délicate.