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Extrait du Manuel de Muad’Dib,

par la Princesse Irulan.

« Toute la théorie du combat repose sur le risque calculé, dit le Duc. Mais lorsqu’on en arrive à risquer sa propre famille, les éléments de calcul sont noyés dans… autre chose. »

Il se rendait compte qu’il ne retenait pas sa fureur autant qu’il l’aurait dû et, se détournant, il se mit à marcher de long en large devant la grande table.

Il se trouvait seul avec Paul dans la salle de conférences du terrain de débarquement, une pièce pleine d’échos, dont le seul mobilier était constitué par la table, des chaises anciennes à trois pieds, un tableau cartographique et un projecteur installé à une extrémité. Paul avait pris place devant la table, près du tableau cartographique. Il venait de rapporter à son père l’agression du chercheur-tueur. Il lui avait dit aussi qu’un traître les menaçait.

Le Duc s’arrêta en face de son fils et son poing frappa la table. « Hawat m’a dit que la maison était sûre ! »

La voix de Paul était hésitante. « Moi aussi, j’ai été… furieux, tout d’abord. Et j’ai maudit Hawat. Mais la menace venait de l’extérieur. Elle était simple, habile, directe. Et cela aurait réussi sans l’entraînement que vous m’avez donné… ainsi que bien d’autres, dont Hawat. »

« Tu le défends ? »

« Oui. »

« Il devient vieux. Oui, c’est cela. Il devrait… »

« Il est sage et il a de l’expérience, dit Paul. Combien de ses fautes pouvez-vous vous rappeler ? »

« C’est moi qui devrais le défendre, et non pas toi. »

Paul sourit.

Le Duc s’assit devant la table et posa la main sur l’épaule de son fils. « Tu as… mûri, ces derniers temps, Fils, dit-il, et cela me réjouit. (Il répondit au sourire de Paul.) Hawat se punira lui-même. La colère qu’il concevra à son égard dépassera de loin la nôtre. »

Par-delà le tableau cartographique, le regard de Paul se posa sur les fenêtres obscures, sur la nuit. Au-dehors, quelque balustrade reflétait la lumière de la pièce. Il décela un mouvement, reconnut la silhouette d’un garde. Puis ses yeux glissèrent sur la surface blanche du mur, derrière son père, sur la surface brillante de la table, sur ses mains croisées.

La porte à laquelle le Duc faisait face fut ouverte avec violence. Thufir Hawat surgit. Il semblait plus ancien et plus usé que jamais. Il parcourut toute la longueur de la table et vint s’arrêter au garde-à-vous devant le Duc.

« Mon Seigneur, dit-il en levant les yeux au-dessus de la tête de Leto, je viens seulement d’apprendre la faute que j’ai commise. Il m’apparaît nécessaire de vous présenter ma dé… »

« Oh, assieds-toi et cesse de faire le pitre », dit le Duc. Il tendit la main vers une chaise. « Si tu as commis une faute, ce fut en surestimant les Harkonnen. Leurs esprits simples ont conçu un stratagème simple. Et nous n’avions pas prévu des stratagèmes simples. Mon fils s’est donné beaucoup de peine pour me faire admettre que, s’il s’en était sorti sain et sauf, c’était en grande partie grâce à tes leçons. Et là, tu n’as en rien échoué ! (Il tapota la chaise.) Allons, assieds-toi ! »

Hawat obéit. « Mais… »

« Je ne veux plus en entendre parler, dit le Duc. L’incident est clos. Nous avons un travail plus urgent qui nous attend. Où sont les autres ? »

« Je leur ai demandé d’attendre au-dehors pendant que… »

« Appelle-les. »

Le regard de Hawat rencontra celui du Duc. « Sire, je… »

« Je connais mes vrais amis, Thufir. Appelle ces hommes. »

« Tout de suite, Mon Seigneur », dit Hawat, la gorge serrée. (Il se tourna vers la porte.) « Gurney, fais-les entrer ! »

Et Halleck entra, précédant les hommes, les officiers d’état-major au visage tendu, suivis des seconds plus jeunes et des spécialistes qui, tous, avaient un air décidé. Et tous prirent place autour de la table dans le bruit des chaises tandis que le parfum subtil du rachag se répandait autour d’eux.

« Il y a du café pour ceux qui en désirent », dit le Duc. Puis il les contempla tous en songeant : Une bonne équipe. Un homme pourrait disposer de bien pis pour ce genre de guerre. Il attendit, pendant que l’on servait le café. Il lisait la fatigue sur certains des visages qui l’entouraient.

Puis il revêtit un masque d’efficience tranquille, se leva et frappa du poing sur la table pour attirer l’attention.

« Messieurs, commença-t-il, il semble que notre civilisation se soit si profondément accoutumée aux invasions que nous ne puissions obéir à l’ordre le plus simple de l’Imperium sans que resurgissent les anciennes manières. »

Des rires discrets se firent entendre et Paul comprit soudain que son père venait de dire exactement ce qu’il fallait dire avec le ton qui convenait pour dégeler l’ambiance. La lassitude même qui avait percé dans sa voix s’imposait.

« Je pense tout d’abord que nous ferions mieux d’entendre Thufir afin de savoir s’il a quelque chose à ajouter à son rapport sur les Fremen. Thufir ? »

Hawat leva les yeux. « À la suite de mon rapport général, Sire, il me faut entrer dans divers détails économiques, mais je puis d’ores et déjà vous dire que les Fremen apparaissent de plus en plus comme les alliés dont nous avons besoin. Ils attendent encore avant de nous accorder vraiment leur confiance, mais ils semblent agir avec franchise. Ils nous ont envoyé un cadeau : des distilles qu’ils ont confectionnés eux-mêmes… ainsi que des cartes de certaines régions du désert proches des points d’appui harkonnens. (Hawat baissa les yeux sur la table.) Leurs renseignements se sont révélés exacts et ils nous ont considérablement aidés dans nos tractations avec l’Arbitre du Changement. Ils ont aussi envoyé divers autres présents : des bijoux pour Dame Jessica, de la liqueur d’épice, des friandises et des plantes médicinales. Mes hommes s’emploient à tout examiner en ce moment, mais aucun piège ne semble à redouter. »

« Tu aimes ces gens, Thufir ? » demanda l’un des hommes présents.

Hawat lui fit face. « Duncan Idaho pense que l’on doit les admirer. »

Paul regarda son père, puis Hawat, avant de risquer une question : « As-tu quelque nouvelle information concernant leur nombre ? »

« À en juger d’après la nourriture et divers autres éléments, Idaho pense que le complexe souterrain qu’il a visité devait abriter environ dix mille personnes. Le chef lui a déclaré qu’il commandait à un sietch d’à peu près deux mille âmes. Nous avons toutes raisons de croire que ces communautés sietch sont particulièrement nombreuses. Toutes semblent obéir à un certain Liet. »

« Voilà quelque chose de nouveau », dit le Duc.

« Il se peut que ce soit une erreur de ma part, Sire. Certains éléments semblent indiquer que ce Liet pourrait être une divinité locale. »

Un autre des assistants s’éclaircit la gorge avant de demander : « Est-il bien certain qu’ils soient de connivence avec les contrebandiers ? »

« Une caravane de contrebande a quitté le sietch où se trouvait Idaho pour un voyage de dix-huit jours. Les bêtes de somme étaient lourdement chargées d’épice. »

« Il semble, dit le Duc, que, durant cette période agitée, les contrebandiers aient redoublé d’activité. Et ceci appelle quelque réflexion. Il ne convient pas de trop nous soucier des frégates sans licence qui opèrent au large de la planète. Mais il en est qui échappent complètement à notre contrôle… et ceci n’est pas bon. »