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« Ensuite ? » demanda Halleck.

Kynes haussa les épaules. « Ensuite, j’attendrais que le ver se décide à s’éloigner. »

« C’est tout ? » s’exclama Paul.

« Quand un ver s’est éloigné, on peut essayer de s’enfuir. Pour cela, il faut marcher doucement, éviter les sables-tambours, les marées de poussière et se diriger tout droit vers la zone rocheuse la plus proche. Il y en a beaucoup. Il est possible de s’en sortir, comme cela. »

« Les sables-tambours ? » dit Halleck.

« C’est un des effets de la compression du sable. Le moindre pas les fait résonner et cela attire tous les vers alentour. »

« Et les marées de poussière ? » demanda le Duc.

« Depuis des siècles, la poussière s’accumule dans les cuvettes et certaines sont si vastes qu’elles connaissent des courants et des marées qui engloutissent les imprudents. »

Halleck se rassit, reprit sa balisette et chanta :

« Au désert chassent les bêtes sauvages,

Guettant l’audacieux solitaire

Qui défie les dieux du désert

Et recherche les périls… »

Il s’interrompit net, se pencha en avant : « Nuage de poussière droit devant, Sire ! »

« Je le vois, Gurney. »

« C’est ce que nous cherchions », dit Kynes.

Paul se redressa et aperçut le nuage jaune qui roulait à la surface du désert, à quelque trente kilomètres devant eux.

« C’est une des chenilles de votre usine, reprit Kynes. Elle est en surface, ce qui signifie qu’elle travaille sur l’épice. Ce nuage est formé par le sable qu’elle rejette après l’avoir centrifugé pour en extraire l’épice. Il n’existe pas de nuage semblable. »

« J’aperçois un engin aérien au-dessus », dit le Duc.

« Il y en a deux… trois… quatre, fit Kynes. Ce sont des guetteurs. Ils attendent le signe du ver. »

« Le signe du ver ? »

« En s’avançant sur la chenille, le ver crée une vague de sable en surface. Mais il arrive aussi qu’il se déplace trop profondément pour que la vague soit visible. C’est pour cela que les guetteurs sont munis de sondes sismiques. (Kynes examina le ciel.) Je ne vois pas l’aile portante qui devrait être à proximité. »

« Et le ver finit toujours par arriver ? » demanda Halleck.

« Toujours. »

Paul toucha l’épaule de Kynes. « Quelle est l’étendue du territoire de chaque ver ? »

Le planétologiste fronça les sourcils. Ce jeune garçon ne cessait de poser des questions d’adulte.

« Cela dépend de sa taille. »

« Dans quel rapport ? » demanda le Duc.

« Les plus grands peuvent parfois contrôler un territoire de trois ou quatre cents kilomètres carrés. Les petits… » Il se tut brusquement comme le Duc lançait les fusées de freinage. L’orni se cabra tandis que mourait le chuchotement des fusées de queue. Les ailes creuses se déployèrent et commencèrent à brasser l’air. L’appareil prit toute son envergure véritable d’ornithoptère. Le Duc le redressa tout en maintenant le battement des ailes à un rythme lent. Il tendit la main gauche vers l’est, au-delà de la chenille.

« Est-ce le signe du ver ? »

Kynes se pencha et regarda au loin dans la direction indiquée. Paul et Halleck l’imitèrent. Paul remarqua que les appareils d’escorte, surpris par la manœuvre, avaient poursuivi leur route. Maintenant seulement ils revenaient vers eux. La chenille était encore à trois kilomètres.

Dans la direction que désignait le Duc, entre les croissants d’ombres des dunes qui couraient vers l’horizon, se déplaçait une sorte de monticule, une crête mouvante de sable. Cela rappelait à Paul l’onde, le sillage, que produisent les gros poissons en frôlant la surface de l’eau calme des rivières.

« Un ver, dit Kynes. Un gros. » Il se retourna, saisit le micro sur le tableau de commandes et le régla sur une nouvelle fréquence. Les yeux fixés sur les cartes, au-dessus d’eux, il lança : « J’appelle chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Répondez, s’il vous plaît. » Il attendit.

Le haut-parleur grésilla puis une voix retentit : « Qui appelle Delta Ajax Neuf ? Terminé. »

« Ils semblent prendre cela plutôt calmement », dit Halleck.

« Vol non enregistré, répondit Kynes dans le micro. Nord-est par rapport à vous. Distance environ trois kilomètres. Signe du ver en interception. Contact dans vingt-cinq minutes environ. »

Une voix nouvelle se fit entendre dans le haut-parleur. « Ici Contrôle Guetteur. Observation confirmée. Prêt au contact. (Un silence, puis :) Contact dans vingt-six minutes. Le calcul était précis. Qui se trouve à bord de l’appareil non enregistré ? Terminé. »

Halleck fit sauter son harnachement et s’interposa entre Kynes et le Duc. « Kynes, est-ce la fréquence normale de travail ? »

« Mais oui. Pourquoi ? »

« Qui pouvait nous entendre ? »

« Les équipes de travail, c’est tout. Cela limite les interférences. »

À nouveau, le haut-parleur grésilla avant que la première voix reprenne : « Ici Delta Ajax Neuf. Qui a droit à la prime ? Terminé. »

Halleck regarda le Duc.

« Celui qui donne le premier l’alerte a droit à une prime proportionnelle à la récolte d’épice. Ils veulent savoir… »

« Dites-leur qui a vu le premier ce ver », dit Halleck.

Le Duc acquiesça.

Kynes hésita, puis reprit le micro. « Prime de guet au duc Leto Atréides. Duc Leto Atréides. Terminé. »

Aucune intonation ne perçait dans la voix partiellement déformée par une vague de parasites lorsqu’elle répondit : « Compris. Merci. »

« Maintenant, ordonna Halleck, dites-leur de diviser la prime entre eux. Dites-leur que c’est le désir du Duc. »

Kynes inspira profondément puis obéit. « Le Duc désire que cette prime soit divisée entre tous. M’avez-vous compris ? Terminé. »

« Compris et merci. »

« J’ai oublié de vous dire, fit le Duc, que Gurney est également doué pour les relations publiques. »

Kynes se tourna vers Halleck avec une expression perplexe.

« Ainsi, les hommes sauront que le Duc est préoccupé par leur sécurité, dit Halleck. On se le répétera. Nous étions sur une fréquence locale. Il est peu probable que des agents harkonnens nous aient entendus. (Il leva les yeux vers les appareils de couverture.) Et nous représentons une force appréciable. C’était un risque valable. »

Le Duc inclina l’orni dans la direction du nuage de sable de la chenille. « Et maintenant ? »

« Une aile portante devrait arriver et emporter la chenille », dit Kynes.

« Et si elle s’est écrasée ? » demanda Halleck.

« C’est une perte de matériel, dit Kynes. Rapprochez-vous de la chenille, Mon Seigneur. Vous allez trouver cela intéressant. »

Le Duc s’absorba dans les commandes comme l’appareil pénétrait dans la turbulence d’air qui environnait la chenille au travail.

Paul regarda en bas. Le monstre de plastique et de métal continuait de cracher le sable. C’était comme un grand scarabée bleu et brun dont les pattes multiples étaient de larges chenillettes. Une gigantesque trompe, à l’avant, plongeait dans le sable sombre.

« À en juger par la couleur, cet endroit est riche en épice, dit Kynes. Ils vont poursuivre le travail jusqu’à la dernière seconde. »

Le Duc fournit de la puissance aux ailes qui accentuèrent encore la lente plongée de l’orni qui tournait autour de la chenille. D’un coup d’œil, il s’assura de la présence des autres appareils.

Paul observa un instant le grand nuage jaune qui s’échappait des évents de la chenille, puis il reporta son regard sur le sillage du ver, de plus en plus proche.