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« Ne serait-ce pas l’occasion d’une nouvelle excuse ? » demanda Kynes au banquier.

Ce dernier se tourna vers Jessica avec un sourire douloureux. « Ma Dame, je crains d’avoir sous-estimé vos vins. Ceux que vous nous avez fait servir sont puissants et je n’y suis point accoutumé. »

Il y avait du venin dans ses paroles, Jessica répondit d’une voix douce : « Lorsque des étrangers se rencontrent, il convient de faire une certaine place aux différences de formation et de coutumes. »

« Merci, Ma Dame. »

La voisine du confectionneur de distilles se pencha alors vers Jessica et demanda : « Le Duc nous a enjoint de demeurer ici. J’espère que cela ne signifie pas de nouveaux combats. »

Ainsi, c’est à ce point qu’elle devait amener la conversation, se dit Jessica.

« Je pense que tout ceci sera sans importance, dit-elle. Mais, en ce moment, il y a tant de détails qui requièrent l’attention du Duc. Aussi longtemps que l’inimitié persistera entre les Atréides et les Harkonnen, nous ne saurions être trop prudents. Le Duc a invoqué le kanly. Et il est certain qu’il n’entend pas laisser en vie un seul agent des Harkonnen sur Arrakis. (Son regard se posa sur le banquier.) Bien entendu, les Conventions lui donnent raison sur ce point. (Son regard revint sur Kynes.) N’est-il point vrai, Dr Kynes ? »

« Très certainement. »

Discrètement, le confectionneur de distilles attira son voisin en arrière. Jessica dit en le regardant : « Je pense que je vais encore manger. Peut-être de cet oiseau que l’on nous a servi précédemment. »

Elle fit signe à un serviteur et se tourna vers le banquier : « Et vous, monsieur, vous parliez des oiseaux et de leurs mœurs. Il existe tant de choses passionnantes sur Arrakis. Dites-moi : où trouve-t-on l’épice ? Les chasseurs vont-ils loin dans le désert ? »

« Oh, non, Ma Dame. On ne sait que peu de chose sur le désert profond. Et presque rien des régions méridionales. »

« Si l’on en croit un conte, dit Kynes, on devrait trouver une grande Charge Mère d’épice dans ces régions, mais je pense qu’il ne s’agit là que d’une invention pour les besoins d’une chanson. Parfois, des chasseurs d’épice audacieux pénètrent dans la ceinture centrale, mais c’est extrêmement dangereux. La navigation y est incertaine, les tempêtes fréquentes. Les accidents se multiplient dans des proportions dramatiques à mesure que vous vous éloignez des bases du Bouclier. On a découvert qu’il n’était guère profitable de se risquer loin dans le sud. Bien sûr, si nous disposions d’un satellite météo… »

Bewt leva les yeux et dit, la bouche pleine : « On dit que les Fremen vont jusque-là, qu’ils se risquent n’importe où et qu’ils ont trouvé des trempes et des puits-gorgeurs même dans le Sud. »

« Des trempes et des puits-gorgeurs ? » demanda Jessica.

« Ce ne sont que des rumeurs qui courent, Ma Dame, intervint Kynes. Ce sont des choses que l’on connaît sur les autres mondes, pas sur Arrakis. Une trempe est un endroit où l’eau filtre jusqu’à la surface, ou du moins assez près de la surface pour que l’on décèle sa présence à certains signes. Un puits-gorgeur est une forme de trempe qui permet de se désaltérer à l’aide d’un chalumeau engagé dans le sable… du moins à ce que l’on raconte. »

Ses mots sont trompeurs, songea Jessica.

Pourquoi ment-il ? se demanda Paul.

« Comme c’est intéressant », fit Jessica.

« À ce que l’on raconte… » Quel curieux maniérisme dans leur façon de s’exprimer. S’ils savaient à quel point cela révèle l’importance qu’ils accordent aux superstitions.

« Il paraîtrait que vous avez un dicton, fit Paul : Le vernis vient des cités, la sagesse du désert. »

« Il y a bien des dictons sur Arrakis », dit Kynes.

Avant que Jessica ait pu formuler une nouvelle question, un serviteur lui présenta un billet. Elle le déplia, reconnut l’écriture du Duc et ses signes codés.

Elle releva la tête et dit : « Vous serez tous heureux d’apprendre que le Duc nous rassure. Le problème qui justifiait sa présence a reçu une solution. On a retrouvé le portant disparu. Un agent harkonnen qui s’était glissé dans l’équipage avait réussi à neutraliser ses compagnons et à conduire l’appareil jusqu’à une base de contrebande avec l’espoir de le vendre. L’homme et la machine nous ont été restitués. » Elle inclina la tête à l’adresse de Tuek qui lui répondit.

Puis elle replia le billet et le glissa dans sa manche.

« Je suis satisfait de voir que cela ne s’est pas transformé en bataille ouverte, dit le banquier. Le peuple espère à un tel point que les Atréides vont lui amener la paix et la prospérité. »

« Surtout la prospérité », dit Bewt.

« Pouvons-nous goûter au dessert, à présent ? demanda Jessica. J’ai commandé à notre chef une douceur de Caladan : du riz sauce dolsa. »

« Le nom seul est déjà délicieux, s’exclama le confectionneur de distilles. Serait-il possible d’avoir la recette ? »

« Toutes les recettes que vous désirerez », dit Jessica tout en enregistrant l’homme pour Hawat, plus tard. Ce fabricant de distilles était un petit arriviste peureux qu’il serait facile d’acheter.

Autour d’elle, les conversations avaient repris : « Quelle splendide étoffe… » « Il faut faire un ensemble pour aller avec le bijou… » « Nous devrions essayer d’augmenter la production pendant le prochain… »

Jessica abaissa le regard sur son assiette. Elle pensait à la partie codée du message de Leto : « Les Harkonnen ont tenté d’introduire une cargaison de lasers. Nous les avons capturés. Mais ceci peut signifier qu’ils ont réussi avec d’autres cargaisons. Et certainement qu’ils n’accordent pas une grande importance aux boucliers. Prenez les précautions appropriées. »

Les lasers. Leurs rayons pouvaient percer n’importe quel matériau connu non pourvu d’un bouclier. Le fait que le contact d’un rayon laser avec un bouclier provoquait l’explosion simultanée de l’un et de l’autre ne semblait pas inquiéter les Harkonnen. Pourquoi ? L’explosion du bouclier et du laser libérait une énergie dangereusement variable qui pouvait dépasser celle de tous les atomiques ou ne tuer que le tireur et son objectif.

Elle était troublée par toutes les inconnues qu’elle sentait là.

« Je n’ai jamais douté que nous retrouverions ce portant, déclara Paul. Lorsque mon père s’attaque à un problème, il le résout. Les Harkonnen commencent seulement à le découvrir. »

Il parade, songea Jessica. Il ne devrait pas. Quelqu’un qui va se terrer dans le plus lointain sous-sol durant la nuit pour échapper aux lasers n’a pas le droit de parader.

« Il n’y a pas d’issue – nous payons la violence de nos ancêtres. »

Extrait de Les Dits de Muad’Dib,

par la Princesse Irulan.

Jessica entendit un tumulte dans le Grand Hall et elle alluma la lampe près de son lit. La pendule n’avait pas encore été réglée sur le temps local et elle dut mentalement soustraire vingt et une minutes pour savoir qu’il était exactement deux heures du matin.