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Jessica, un instant, regarda la tasse entre ses mains puis, brusquement, lui en jeta le contenu au visage.

« Enfermez-le dans l’une des chambres d’hôte de l’aile est, ordonna-t-elle. Qu’il dorme ! »

Les deux gardes la dévisagèrent d’un air sombre.

« Peut-être devrions-nous l’emmener ailleurs, Ma Dame, commença l’un d’eux. Nous pourrions… »

« C’est là qu’il est censé être ! Il a un travail à accomplir ! riposta Jessica, et sa voix était pleine d’amertume. Il est tellement doué pour surveiller les dames ! »

Le garde déglutit péniblement.

« Savez-vous où se trouve le Duc ? » demanda-t-elle.

« Au poste de commandement, Ma Dame. »

« Hawat est-il avec lui ? »

« Hawat est en ville, Ma Dame. »

« Vous allez me l’amener immédiatement. Je serai dans mon salon. »

« Mais, Ma Dame… »

« Si cela est nécessaire, j’appellerai le Duc. Mais j’espère que ce sera inutile. Je ne veux pas le déranger pour cela. »

« Oui, Ma Dame. »

Elle posa la tasse vide entre les mains de Mapes et rencontra le regard interrogateur de ses yeux bleus.

« Mapes, retournez vous coucher. »

« Vous êtes certaine que vous n’aurez pas besoin de moi ? »

Jessica eut un sourire dur. « J’en suis certaine. »

« Peut-être cela pourrait-il attendre à demain ? dit Yueh. Je peux vous donner un sédatif et… »

« Retournez à vos appartements et laissez-moi régler ceci à ma façon, dit-elle. (Elle lui tapota le bras pour tempérer l’âpreté de cet ordre.) C’est la seule manière. »

Abruptement, la tête droite, elle fit demi-tour et repartit vers sa chambre. Murailles froides, couloirs… porte familière… Elle ouvrit, entra, referma violemment. Ses yeux se posèrent sur les fenêtres du salon, les fenêtres protégées par des boucliers. Hawat ! Est-ce donc lui que les Harkonnen ont acheté ? Nous allons bien voir.

Elle alla jusqu’au fauteuil profond et ancien recouvert de peau de schlag brodée et le fit pivoter afin qu’il fût face à la porte. Elle eut soudain la conscience aiguë de la présence du krys dans son étui, contre sa jambe. Elle l’ôta et le fixa à son bras avant d’en éprouver le poids. Une fois encore, son regard courut par toute la pièce. Dans son esprit, chaque objet avait sa place précise en cas d’urgence. La chaise dans le coin, les sièges à dossier droit contre le mur, les tables basses, sa cithare sur piédestal près de la porte de la chambre.

Une pâle clarté rose émanait des lampes à suspenseurs. Elle en diminua encore l’intensité, s’assit dans le fauteuil et passa la main sur le revêtement. En cet instant, elle appréciait tout particulièrement le solide confort de ce siège.

Maintenant, qu’il vienne, se dit-elle. Nous allons voir ce que nous allons voir. Et elle se prépara à l’attente dans la Manière Bene Gesserit, accumulant la patience, réservant ses forces.

Plus tôt qu’elle ne s’y était attendue, on frappa à la porte et, sur son ordre, Hawat entra.

Elle l’examina sans quitter le fauteuil, décelant dans ses mouvements la présence vibrante d’une énergie due à la drogue, décelant aussi la fatigue en dessous. Les yeux anciens d’Hawat brillaient. Sa peau tannée paraissait légèrement jaune dans la lumière. Sur sa manche, qui recouvrait son bras-couteau, apparaissait une large tache humide.

Jessica perçut l’odeur du sang.

Elle désigna l’une des chaises à dossier droit : « Asseyez-vous en face de moi. »

Il s’inclina et obéit. Cet imbécile d’ivrogne d’Idaho ! pensa-t-il. Il examina le visage de Jessica, se demandant comment il pouvait encore sauver la situation.

« Il est grand temps de clarifier l’atmosphère entre nous », dit Jessica.

« Qu’est-ce qui trouble Ma Dame ? » Il avait placé les mains sur les genoux.

« Ne jouez pas ce jeu avec moi ! lança-t-elle. Si Yueh ne vous a pas révélé pourquoi je vous ai convoqué, un de vos espions dans cette demeure l’aura fait. Pouvons-nous être assez honnêtes l’un envers l’autre pour admettre cela ? »

« Comme vous le désirerez, Ma Dame. »

« D’abord, vous allez répondre à une question. Êtes-vous, en cet instant, un agent des Harkonnen ? »

Il se leva à demi, le visage assombri par la colère.

« Vous osez m’insulter de la sorte ? »

« Asseyez-vous. Vous aussi, vous avez osé. »

Lentement, il obéit.

Et Jessica, lisant les signes sur ce visage qu’elle connaissait si bien, exhala un long soupir. Ce n’était pas Hawat.

« Maintenant, dit-elle, je sais que vous demeurez fidèle à mon Duc. Je suis donc prête à vous pardonner cet affront. »

« Y a-t-il quelque chose à pardonner ? »

Elle fronça les sourcils. Vais-je jouer mon atout ? Vais-je lui parler de cette fille que je porte en moi depuis plusieurs semaines ? Non… Leto lui-même ne sait rien. Cela ne ferait que lui compliquer l’existence, le distraire en un moment où il doit se concentrer sur notre survie. Il sera encore temps d’utiliser cela.

« Une Diseuse de Vérité résoudrait ce problème, dit-elle, mais nous n’avons ici aucune Diseuse qualifiée par le Haut Conseil. »

« Comme vous le dites : nous n’avons pas de Diseuse de Vérité. »

« Y a-t-il un traître parmi nous ? J’ai étudié nos gens avec beaucoup de soin. Qui cela pourrait-il être ? Pas Gurney. Certainement pas Duncan. Leurs lieutenants à eux ne sont pas dans une position stratégique telle que l’on puisse s’y arrêter. Ce n’est pas vous non plus, Thufir. Ce ne peut être Paul. Je sais que ce n’est pas moi. Le docteur Yueh, alors ? Faut-il que je l’appelle et le soumette à un test ? »

« Vous savez que ce serait inutile, dit Hawat. Il est conditionné par le Haut Collège. De cela, je suis certain. »

« Sans parler de son épouse bene gesserit assassinée par les Harkonnen », dit Jessica.

« C’est donc ce qui lui est arrivé. »

« N’avez-vous jamais décelé la haine qui perce dans sa voix lorsqu’il parle des Harkonnen ? »

« Vous savez que je n’ai pas l’oreille. »

« Qu’est-ce qui a amené ce soupçon à mon égard ? »

Il se renfrogna. « Ma Dame met son serviteur dans une position impossible. Ma loyauté va tout d’abord au Duc. »

« Pour cette loyauté, je suis prête à pardonner beaucoup », dit Jessica.

« Mais à nouveau je vous demande : y a-t-il quelque chose à pardonner ? »

« Pat2 ? » demanda-t-elle.

Hawat haussa les épaules.

« En ce cas, parlons d’autre chose pendant une minute. De Duncan Idaho, cet admirable combattant dont on estime tant les qualités de garde et de surveillant. Cette nuit, il s’est adonné à une boisson appelée bière d’épice. Des rapports m’ont appris que d’autres, parmi nos gens, avaient été victimes de cette mixture. Est-ce exact ? »

« Vous avez vos rapports, Ma Dame. »

« C’est vrai. Ne pensez-vous pas que ce soit un symptôme, Thufir ? »

« Ma Dame parle par énigmes. »

« Utilisez donc vos dons de Mentat ! Quel est le problème avec Duncan comme avec les autres ? Je vais vous le dire : ils n’ont pas de foyer. »

Il tendit l’index vers le sol. « Arrakis. Arrakis est leur foyer. »

« Arrakis est une inconnue ! Caladan était leur maison, mais nous les avons déracinés. Ils n’ont plus de foyer. Et ils craignent que le Duc ne les abandonne. »

Hawat se raidit. « Si un seul des hommes parlait ainsi… »

« Oh, assez, Thufir ! Est-ce un signe de trahison ou de défaitisme de la part d’un docteur que de diagnostiquer correctement une maladie ? Mon seul but est de la guérir, cette maladie. »

« Le Duc m’a confié cette mission. »