Выбрать главу

La litière s’inclina légèrement au passage d’une porte, puis ils se retrouvèrent dans la nuit étoilée. Une bouée de suspension frotta la paroi. Puis les pas des soldats craquèrent dans le sable. L’aile noire d’un orni apparut, occultant les étoiles. La litière fut déposée sur le sol.

Paul ajusta sa vision à la faible clarté. Il vit que c’était le soldat sourd qui ouvrait la porte de l’orni. Il se penchait à l’intérieur, dans la pénombre colorée de vert par le tableau de commandes.

« C’est celui que nous devons utiliser ? » demanda-t-il en se retournant pour observer les lèvres de son compagnon.

« Le traître a dit qu’il était prévu pour le désert. »

Le sourd acquiesça. « Mais c’est un orni réservé aux proches liaisons. On ne pourra pas monter à plus de deux là-dedans. »

« Deux c’est assez, dit le troisième soldat. (Il s’avança à son tour afin que le sourd pût lire sur ses lèvres.) On peut s’en charger tout seuls à partir de maintenant, Kinet. »

« Le Baron m’a dit de m’assurer de leur sort », dit l’homme aux cicatrices.

« Pourquoi t’en faire comme ça ? »

« C’est une sorcière Bene Gesserit. Elle a des pouvoirs. »

« Ah… (L’homme leva le poing près de son oreille.) C’en est une, vraiment ? J’vois c’que tu veux dire. »

L’autre soldat grommela. « Elle servira de repas aux vers, bientôt. Vous ne croyez quand même pas qu’une sorcière Bene Gesserit peut venir à bout d’un de ces gros vers, non ? Hein, Czigo ? »

« Ouais. (L’homme revint près de la litière et prit Jessica sous les épaules.) Viens, Kinet. Tu peux faire le voyage si tu tiens vraiment à voir comment ça se passe. »

« Gentil de ta part de m’inviter, Czigo », dit le sourd.

Jessica fut soulevée. Elle vit tournoyer l’aile, les étoiles. On la poussa à l’arrière de l’orni et ses liens de krimskell furent soigneusement examinés, puis on fixa ses courroies. Paul la rejoignit. Il fut harnaché à son tour et elle s’aperçut alors que ses liens étaient faits de corde ordinaire.

L’homme aux cicatrices, celui qui était sourd et portait le nom de Kinet, prit place devant. Celui qui s’appelait Czigo prit l’autre siège. Kinet ferma la porte et se pencha sur les commandes. L’ornithoptère s’éleva brusquement et se dirigea vers le sud, vers le Bouclier. Czigo tapota l’épaule de son compagnon et dit : « Pourquoi ne jettes-tu pas un œil sur eux ? »

« Tu connais la route ? » répliqua Kinet sans quitter ses lèvres des yeux.

« J’ai entendu ce qu’a dit le traître, comme toi. »

Kinet fit pivoter son siège. Jessica vit le reflet des étoiles sur le pistolet laser qu’il tenait. Ses yeux s’accoutumaient à la pâle clarté qui régnait dans l’orni dont les minces parois semblaient pourtant laisser filtrer un peu de la lumière extérieure. Le visage du soldat sourd, pourtant, restait indistinct. Jessica tira sur la ceinture de son siège et découvrit qu’elle était lâche. La courroie, sur son bras gauche, avait été presque sectionnée et elle céderait au premier mouvement brusque.

Quelqu’un est-il venu auparavant dans cet orni pour le préparer pour nous ? se demanda-t-elle. Qui ? Lentement, elle éloigna ses pieds entravés de ceux de Paul.

« C’est vraiment une honte de perdre une femme aussi belle, dit le sourd. Tu as jamais eu des filles de la noblesse ? » Il s’était tourné vers le pilote.

« Toutes les Bene Gesserit ne sont pas nobles », dit ce dernier.

« Mais elles en ont toutes l’air. »

Il me voit suffisamment bien, pensa Jessica. Elle ramena ses jambes sur le siège et se pelotonna sans quitter le sourd des yeux.

« Vraiment jolie, tu sais, dit Kinet. (Sa langue courut sur ses lèvres et il ajouta :) Une honte, c’est sûr. » À nouveau, il regarda Czigo.

« Tu penses ce que je pense que tu penses ? » dit Czigo.

« Qui le saurait ? Après… (Kinet haussa les épaules.) Je me suis jamais payé une noble. J’aurais peut-être jamais plus une chance pareille. »

« Si vous portez la main sur ma mère… » gronda Paul. Son regard était furieux.

« Heh ! (Czigo se mit à rire.) Le jeune loup se fait entendre. Mais il ne peut pas mordre. »

La voix de Paul est trop aiguë, se dit Jessica. Pourtant, cela pourrait marcher.

Le silence retomba.

Pauvres idiots. Elle regardait tour à tour les deux soldats et repensait aux paroles du Baron. Ils seront tués dès qu’ils auront fait leur rapport. Le Baron ne veut pas de témoins.

L’ornithoptère franchissait la muraille sud du Bouclier et, comme il s’inclinait, elle distingua le désert frangé de lune.

« On doit être assez loin, dit Czigo. Le traître a dit de les déposer n’importe où à proximité du Bouclier. » Il lança l’appareil dans une longue descente vers les dunes.

Jessica vit que Paul prenait le rythme respiratoire de l’exercice de maîtrise. Il ferma les yeux, les rouvrit. Jessica l’observait, impuissante. Il n’a pas encore pleinement contrôlé la Voix, se dit-elle. S’il échoue…

L’orni toucha le sable avec une légère vibration. Jessica regarda vers le nord, au-delà du Bouclier et elle entrevit l’ombre des ailes d’un autre appareil qui se posait hors de vue.

Quelqu’un nous suit. Qui ? Puis : Ceux que le Baron a envoyés pour surveiller ces deux-là. Et ils seront à leur tour surveillés par d’autres.

Czigo coupa les fusées. Le silence les submergea.

En tournant la tête, Jessica put voir par la baie, au-delà de Kinet, le pâle reflet d’une lune qui se levait, une crête de givre au bord du désert, sur laquelle se silhouettaient des arêtes sableuses.

Paul s’éclaircit la gorge.

« Maintenant, Kinet ? » demanda le pilote.

« Je sais pas, Czigo. »

Czigo s’approcha. « Ah, regarde. » Il tendit la main vers la robe de Jessica.

« Ôtez-lui son bâillon », ordonna Paul.

Jessica sentit les mots rouler dans l’air. Le ton, le timbre étaient excellents, impératifs, nets. Un peu moins aigu, c’eut été mieux encore mais il avait quand même atteint le spectre auditif de l’homme.

Czigo déplaça sa main vers le bâillon, tira sur le nœud.

« Arrête ! » dit Kinet.

« Ah, ferme ton truc ! Elle a les mains liées », répliqua Czigo. Il défit le nœud et le lien tomba. Les yeux brillants, il examina Jessica. Kinet lui posa la main sur le bras. « Écoute, Czigo, pas besoin de… »

Jessica détourna la tête et cracha le bâillon. Puis elle parla d’une voix basse, sur un ton intime. « Messieurs ! Inutile de vous battre pour moi. » Dans le même temps, elle se tortillait pour le plaisir des yeux de Kinet.

Elle décela leur tension, elle sut qu’en cet instant précis ils étaient persuadés qu’ils devaient se battre pour elle. Leur désaccord n’avait besoin de nulle autre raison. Dans leur esprit, déjà, ils se battaient pour elle.

Elle dressa la tête dans la clarté du tableau de commandes afin que Kinet pût lire sur ses lèvres. « Il ne faut pas être en désaccord. Une femme vaut-elle que l’on se batte pour elle ? » Ils s’éloignèrent l’un de l’autre, le regard méfiant.

En parlant, en étant là, elle représentait la cause vivante de leur lutte.

Paul gardait les lèvres serrées, se forçant à demeurer silencieux. Il avait utilisé son unique chance de se servir de la Voix. À présent… tout dépendait de sa mère dont l’expérience était tellement plus grande que la sienne.

« Oui, dit Kinet. Inutile de se battre pour… »

En un éclair, il lança sa main vers le cou du pilote. Le coup fut paré avec un claquement métallique. D’un seul mouvement, Czigo se saisit du bras de Kinet et lui frappa la poitrine.