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Le sourd grogna et s’effondra contre la porte.

« Tu me prends pour un abruti. Tu croyais que je ne connaissais pas ce coup ? » dit Czigo. Il ramena sa main et le couteau brilla dans le clair de lune.

« Et maintenant le jeune loup », dit-il en se penchant vers Paul.

« Inutile », murmura Jessica.

Il hésita.

« Ne préférez-vous pas me voir coopérer ? Laissez une chance à mon fils. (Ses lèvres dessinèrent un sourire.) Il n’en aura pas tant dehors, dans ce sable. Donnez-lui seulement cette chance et… Vous pourriez en être bien récompensé. »

Czigo regarda à gauche, à droite, puis son attention se reporta sur Jessica.

« Je sais ce qui peut arriver à un homme dans ce désert. Le garçon pourrait trouver à la fin que le couteau est la meilleure solution. »

« Est-ce que j’en demande autant ? » dit Jessica.

« Vous essayez de me tendre un piège. »

« Je ne veux pas voir mourir mon fils. Est-ce donc un piège ? »

Czigo recula et s’appuya au montant de la porte. Puis il saisit Paul, le tira sur le siège et le maintint immobile, presque sur le seuil, le couteau levé.

« Si je coupe tes liens, jeune loup, que feras-tu ? »

« Il partira aussitôt et il courra vers ces rochers », dit Jessica.

« C’est ça que tu feras, jeune loup ? » demanda Czigo.

La voix de Paul était judicieusement assourdie : « Oui. »

Le couteau fut abaissé et les liens tombèrent. Paul sentit la main, dans son dos, qui allait le pousser, l’envoyer rouler dans le sable et il feignit de perdre l’équilibre. Il se raccrocha au montant de la porte, pivota comme pour se rétablir et lança son pied droit.

L’orteil était pointé avec une grande précision qui était due aux longues années d’entraînement, comme si, en fait, l’enseignement de toutes ces années se concentrait dans cet instant précis. Chaque muscle du corps participait au mouvement. La pointe du pied frappa l’abdomen de Czigo exactement sous le sternum, percuta avec une force terrible le foie et le diaphragme pour venir écraser le ventricule droit.

Avec un cri étranglé, Czigo s’effondra sur les sièges. Paul, les mains paralysées, poursuivit sa chute et roula dans le sable, se redressant dans le même mouvement. Il replongea à l’intérieur de la cabine de l’ornithoptère, trouva le couteau et le maintint entre ses mâchoires pendant que sa mère sciait ses liens sur la lame. Ensuite, elle trancha elle-même ceux de Paul.

« J’aurais pu m’occuper de lui, dit-elle. Il aurait bien fallu qu’il me libère. Tu as pris un risque stupide. »

« J’ai vu l’ouverture et j’ai agi », dit-il.

Elle perçut le ferme contrôle de sa voix et dit : « Le signe de la maison de Yueh est gravé sur le plafond de cette cabine. »

Il leva les yeux.

« Sortons et examinons cet appareil, reprit Jessica. Il y a un paquet sous le siège du pilote. Je l’ai senti en montant à bord. »

« Une bombe ? »

« J’en doute. C’est quelque chose de bizarre. »

Paul sauta dans le sable et elle le suivit. Puis elle se retourna et examina le dessous du siège. Les pieds de Czigo n’étaient qu’à quelques centimètres de son visage. Elle trouva le paquet et le tira à elle. Il était humide et elle comprit aussitôt que c’était le sang du pilote qui le maculait.

Gaspillage d’humidité, pensa-t-elle. Et c’était là une pensée arrakeen.

Paul regardait de toutes parts. Il vit l’escarpement rocheux qui s’élevait du désert comme une plage prise sur la mer, et au-delà les palissades sculptées par le vent. Il se retourna comme sa mère sortait le paquet et il suivit son regard vers le Bouclier. Il vit alors ce qui avait attiré son attention : un autre ornithoptère qui plongeait vers eux. Et il comprit qu’ils n’auraient plus le temps de sortir les deux hommes et de fuir.

« Cours, Paul ! cria Jessica. Ce sont les Harkonnen ! »

Arrakis enseigne l’attitude du couteau : couper ce qui est incomplet et dire « Maintenant c’est complet, car cela s’achève ici ».

Extrait de Les Dits de Muad’Dib,

par la Princesse Irulan.

Un homme en uniforme harkonnen s’arrêta à l’extrémité du hall, regarda Yueh, le corps de Mapes, la forme immobile du Duc. En un seul regard. Il tenait un pistolet laser dans la main droite. Il émanait de lui une impression de brutalité, de dureté, de vigilance qui fit frissonner Yueh.

Un Sardaukar, pensa-t-il. Un Bashar, à en juger par son allure. Probablement l’un de ceux que l’Empereur a envoyés pour garder un œil sur tout. Quel que soit l’uniforme qu’ils portent, il ne leur est pas possible de se dissimuler.

« Vous êtes Yueh », dit l’homme. Il regardait alternativement le tatouage en diamant sur le front de Yueh, l’anneau de l’École Suk qui maintenait ses cheveux. Puis il rencontra ses yeux.

« Je suis Yueh », dit le docteur.

« Vous pouvez vous détendre, à présent. Lorsque vous avez annulé les boucliers de la maison, nous sommes immédiatement entrés. Tout est neutralisé. Est-ce le Duc ? »

« C’est le Duc. »

« Mort ? »

« Simplement inconscient. Je vous conseille de le ligoter. »

« Qu’avez-vous fait pour les autres ? » Il regarda dans la direction du corps de Mapes.

« C’est regrettable », murmura Yueh.

« Regrettable ! dit le Sardaukar. (Il s’avança, baissa les yeux sur le corps de Leto.) Ainsi voilà le grand Duc Rouge. »

Si j’avais des doutes quant à la nature de cet homme, voici qui les balayerait, songea Yueh. Seul l’Empereur appelle ainsi les Atréides.

Le Sardaukar se baissa et arracha le petit faucon rouge de l’uniforme de Leto. « Un petit souvenir, dit-il. Mais où est l’anneau ducal ? »

« Il ne l’a pas sur lui », dit Yueh.

« Je le vois bien ! »

Yueh se raidit. S’ils m’interrogent, s’ils amènent une Diseuse, ils trouveront. À propos de l’anneau, à propos de l’orni… Tout s’effondrera.

« Il arrive parfois que le Duc confie l’anneau à un messager pour prouver qu’un ordre vient directement de lui », avança Yueh.

« Il faut avoir une satanée confiance », grommela le Sardaukar.

« Vous ne le ligotez pas ? »

« Combien de temps encore restera-t-il inconscient ? »

« Deux heures à peu près. Pour lui, je n’ai pas été aussi précis que pour la femme et le garçon. »

Le Sardaukar remua le corps du Duc avec son pied.

« Il n’y a rien à craindre de lui, même quand il sera éveillé. Et la femme et le garçon ? »

« Ils se réveilleront dans dix minutes environ. »

« Si tôt ? »

« On m’a dit que le Baron arriverait immédiatement derrière ses hommes. »

« Il arrivera. Attendez dehors, Yueh. (Il eut un regard dur.) Allez ! »

Yueh regarda Leto. « Et… »

« Il sera livré au Baron troussé comme un rôti prêt pour le four. (À nouveau, le regard du Sardaukar se fixa sur le tatouage qui ornait le front de Yueh.) On vous connaît. Vous serez en sécurité dans les salles. Mais nous n’avons plus le temps de bavarder, traître. J’entends venir les autres. »

Traître, songea Yueh. Il baissa les yeux et s’éloigna rapidement du Sardaukar. Il savait déjà que c’était ainsi que l’histoire le connaîtrait : Yueh le traître.