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Une pensée demeurait en lui. Leto la vit s’inscrire sur des raies de noirceur, lumière informe : Le jour modèle la chair, et la chair modèle le jour. La pensée le frappa avec une intensité que jamais, il le savait, il ne pourrait expliquer.

Silence.

Le Baron s’appuyait contre sa porte privée. Il venait de la refermer sur une pièce emplie de cadavres. Déjà, des gardes l’entouraient. L’ai-je respiré ? se demanda-t-il. Est-ce que cela m’a atteint, moi aussi ?

Les sons revenaient… et la raison. Il entendit que quelqu’un hurlait des ordres. Masques à gaz… Fermez cette porte… Souffleurs.

Ils sont tombés très vite ! se dit-il. Je suis encore debout. Je respire toujours. Enfer ! C’était juste !

Il parvenait à analyser ce qui s’était passé, maintenant. Son bouclier avait été activé, au degré minime, certes, mais cela avait suffi pour ralentir l’échange moléculaire au travers du champ énergétique ; et il s’était écarté de la table… Et puis, il y avait eu ce hoquet de Piter qui avait provoqué l’intervention du capitaine des gardes… et sa mort.

La chance. La chance et l’alerte donnée par le hoquet d’un homme mourant… Cela avait suffi pour le sauver.

Il ne ressentait aucune gratitude envers Piter. Cet idiot était mort en même temps que le stupide capitaine des gardes. Tous ceux qui étaient mis en présence du Baron étaient sondés, disaient-ils… Comment le Duc avait-il pu ?… Pas le moindre avertissement. Le goûte-poison lui-même n’avait pas réagi jusqu’à ce qu’il fût trop tard. Comment était-ce possible ?

Aucune importance, maintenant, songea le Baron comme son esprit devenait plus ferme. Le nouveau capitaine des gardes arrivera bien à trouver une réponse.

Il perçut un redoublement d’activité, de l’autre côté de cette pièce où régnait la mort. Il s’écarta de la porte et son regard courut sur les laquais, autour de lui. Ils le dévisageaient en silence, attendant ses ordres, guettant sa réaction.

Le Baron sera-t-il furieux ?

Le Baron prenait seulement conscience que quelques secondes à peine s’étaient écoulées depuis qu’il s’était échappé de cette terrible pièce.

Certains des gardes avaient encore leurs armes braquées vers la porte. D’autres dirigeaient leur férocité sur le couloir vide d’où venaient les bruits d’agitation, maintenant.

Un homme apparut à l’angle. Un masque à gaz pendait à son cou. Ses yeux ne quittaient pas les indicateurs de poison alignés au long du couloir. Son visage était plat sous sa chevelure jaune. Ses yeux étaient intenses, verts. De fines rides irradiaient de sa bouche aux lèvres minces. Il évoquait quelque créature marine perdue sur la terre ferme.

Le Baron, tout en le regardant approcher, se souvint de son nom : Nefud. Iakin Nefud. Caporal de la garde. Nefud était intoxiqué par la sémuta, ce mélange de drogue et de musique qui agissait au niveau le plus profond de la conscience. Précieuse information.

Nefud s’arrêta devant lui et salua : « Le couloir est sûr, Mon Seigneur. Je montais la garde à l’extérieur et j’ai pensé qu’il pouvait s’agir d’un gaz létal. Les ventilateurs de la pièce puisaient l’air de ces couloirs. (Il leva les yeux vers un détecteur placé au-dessus du Baron.) Il ne reste plus une seule trace du gaz, maintenant. La pièce a été assainie. Quels sont vos ordres ? »

Le Baron reconnut la voix. C’était celle qui avait lancé des ordres, un instant plus tôt. Un homme efficace, ce caporal.

« Ils sont tous morts ? » demanda-t-il.

« Oui, Mon Seigneur. »

Eh bien, il faut nous adapter, se dit-il.

« Tout d’abord, laissez-moi vous féliciter, Nefud. Vous êtes maintenant capitaine de mes gardes. Et j’espère que vous apprendrez par cœur cette leçon qu’est la mort de votre prédécesseur. »

Le Baron put sentir cheminer la conscience de cette situation nouvelle dans l’esprit de Nefud. Jamais plus il ne manquerait de semuta.

Le garde acquiesça. « Mon Seigneur sait que je me dévouerai totalement à sa sécurité. »

« Oui. À ce propos, je pense que le Duc avait quelque chose dans la bouche. Découvrez ce que c’était, comment cela a été utilisé et qui a pu l’aider. Prenez toutes précautions… »

Il s’interrompit. Le train de ses pensées venait d’être disloqué par un remue-ménage dans le couloir, derrière lui. Des gardes postés devant l’ascenseur qui reliait cet étage aux niveaux inférieurs de la frégate essayaient de contenir un grand colonel bashar qui venait d’émerger de la cabine.

Le Baron ne parvenait pas à situer ce visage mince, cette bouche pareille à une fente dans du cuir, ces petits yeux d’encre.

« Écartez vos mains, mangeurs de charogne ! » rugit le personnage en bondissant hors de portée des gardes.

Ah, l’un des Sardaukars, pensa le Baron.

Le colonel bashar s’avançait vers lui et les yeux du Baron devinrent deux fentes pleines d’appréhension. Les Sardaukars provoquaient en lui un malaise. Ils semblaient tous avoir un quelconque lien de parenté avec le Duc… feu le Duc. Et la façon dont ils se comportaient avec le Baron…

Le Sardaukar vint se planter à un pas du Baron, les mains sur les hanches. Derrière lui, les gardes hésitaient.

Le Baron remarqua que l’homme ne le saluait pas et que ses façons étaient imprégnées de mépris. Son malaise n’en devint que plus grand. Une seule légion de Sardaukars (dix brigades) était venue renforcer les légions harkonnens. Mais le Baron ne se faisait pas d’illusions. Cette unique légion pouvait très bien se retourner contre eux et triompher.

« Dites à vos hommes de ne pas essayer de m’empêcher de vous voir, Baron, gronda le Sardaukar. Quant aux miens, ils vous ont livré le Duc Atréides avant que j’aie pu discuter avec vous du sort qui lui serait réservé. Nous allons le faire maintenant. »

Je ne dois pas perdre la face devant mes hommes, se dit le Baron.

« Vraiment ? » Sa voix était froide, parfaitement contrôlée et le Baron en ressentit de la fierté.

« Mon Empereur m’a chargé de m’assurer que son royal cousin périrait proprement, sans souffrance », dit le colonel bashar.

« Tels étaient les ordres impériaux que j’ai reçus, dit le Baron. Pensiez-vous que je n’allais pas leur obéir ? »

« Je dois rapporter à l’Empereur ce que j’aurai vu de mes propres yeux. »

« Le Duc est déjà mort », lança le Baron, et il leva la main pour congédier le Sardaukar.

Celui-ci demeura immobile devant lui. Il ne fit pas le moindre mouvement, n’eut pas le moindre regard qui pût donner à penser qu’il avait enregistré ce geste.

« Comment ? » gronda-t-il.

Vraiment, pensa le Baron, en voilà assez !

« De sa propre main, si vous tenez à le savoir. Il a absorbé du poison. »

« Je veux voir le corps maintenant. »

Feignant l’exaspération, le Baron leva les yeux vers le plafond. Mais ses pensées s’accéléraient. Damnation ! Ce Sardaukar à l’œil acéré va pénétrer dans la pièce sans que rien n’ait bougé !

« Je veux le voir maintenant ! » répéta le Sardaukar.

Impossible d’y échapper, se dit le Baron. Il va tout voir. Il va découvrir que le Duc a tué des hommes d’Harkonnen… et que le Baron s’en est tiré de justesse. Les reliefs du repas étaient une preuve. Au même titre que le Duc, mort au centre de ce massacre.

Impossible d’y échapper.

« Vous ne m’évincerez pas », dit le colonel bashar d’un ton grinçant.

« Nul ne veut vous évincer, répliqua le Baron en regardant dans les yeux d’obsidienne de son interlocuteur. Je ne cache rien à l’Empereur. (Il inclina la tête à l’intention de Nefud.) Le colonel bashar doit tout vérifier, immédiatement. Introduisez-le par la porte devant laquelle vous étiez posté, Nefud. »