« C’est bien : tu as passé la première épreuve. À présent, voici ce qui va suivre : si tu retires la main de cette boîte, tu meurs. Telle est l’unique règle. Laisse ta main dans cette boîte et tu vis. Ôte-la et tu meurs. »
Il respira profondément pour réprimer un tremblement. « Si j’appelle, dit-il, nos gens seront là en un instant et c’est vous qui mourrez. »
« Tes serviteurs n’iront pas plus loin que ta mère qui veille à cette porte. Elle a déjà survécu à cette épreuve. Maintenant, ton tour est venu. Sois-en fier : il est rare que nous soumettions des enfants mâles à cette épreuve. »
La curiosité vint atténuer la peur jusqu’à la rendre supportable. Paul avait perçu la vérité dans la voix de la vieille femme. Il ne pouvait nier ses paroles. Si vraiment sa mère veillait là-dehors… Si vraiment il s’agissait d’une épreuve… Quelle qu’elle fût, il savait qu’il ne pouvait y échapper. Il était prisonnier de cette main près de son cou, du gom jabbar. Il se souvint des paroles de la Litanie contre la Peur du rituel bene gesserit, telles que sa mère les lui avait enseignées.
Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.
Il sentit son calme revenir. « Finissons-en, vieille femme », dit-il.
« Vieille femme ! (Elle avait crié.) Tu as du courage, on ne peut en douter. Eh bien, nous allons voir cela, mon petit ami ! »
Elle se pencha tout contre lui et sa voix devint un murmure.
« Tu vas sentir la douleur dans cette main qui est dans la boîte. La souffrance… Mais… Ôte seulement ta main et mon gom jabbar touchera ton cou. Et la mort sera aussi rapide que la hache du bourreau. Ôte seulement ta main et mon gom jabbar t’ôte l’existence. Compris ? »
« Qu’y a-t-il dans cette boîte ? »
« La souffrance. »
Dans sa main, le picotement se fit plus net. Il serra les lèvres. Quelle épreuve est-ce donc là ? se demanda-t-il. Le picotement se fit démangeaison.
« As-tu déjà entendu parler de ces animaux qui se dévorent une patte pour échapper à un piège ? C’est là une astuce animale. Un humain, lui, demeurera pris au piège, il supportera la souffrance et feindra d’être mort afin de pouvoir tuer le trappeur et supprimer ainsi la menace qu’il représente pour l’espèce tout entière. »
La démangeaison devint une brûlure très légère.
« Pourquoi ? » demanda Paul.
« Pour déterminer si tu es vraiment un humain, Silence ! »
La brûlure se fit plus intense dans sa main droite. Il referma sa main gauche. Lentement, lentement, la douleur augmentait. Chaleur, chaleur… Toujours plus de chaleur… Les ongles de sa main libre s’enfoncèrent dans sa paume. Les doigts de sa main en feu ne lui obéissaient plus.
« Ça brûle », dit-il.
« Silence ! »
La douleur s’élança dans son bras. La sueur perla sur son front. Chaque fibre de son corps lui commandait de retirer sa main de ce puits de feu. Mais le gom jabbar était là. Sans tourner la tête, Paul devinait la terrible aiguille qui veillait près de son cou. Il se rendit compte qu’il respirait convulsivement et tenta de se maîtriser, mais sans y parvenir.
Souffrance ! Le monde devint vide. Il n’y eut plus que sa main, seule, noyée dans la souffrance, et ce visage ancien, à quelques centimètres.
Ses lèvres étaient sèches, soudées. Brûlure ! Brûlure ! Il avait l’impression de sentir sa peau se craqueler. Sa chair griller jusqu’à laisser apparaître les os. Puis : plus rien !
La souffrance avait cessé, comme si l’on avait appuyé sur un bouton.
Il vit que son bras droit tremblait convulsivement. Et la sueur continuait de ruisseler par tout son corps.
« Ça suffit, dit la vieille femme. Kull Wahad ! Jamais nul enfant né d’une femme n’a enduré autant ! C’est comme si j’avais voulu te voir échouer. (Elle se recula, éloigna le gom jabbar de son cou.) Ôte ta main de cette boîte, jeune humain, et regarde-la ! »
Il lutta pour réprimer un frisson douloureux et ses yeux se fixèrent sur le trou obscur où sa main était encore plongée, comme si elle se refusait à tout mouvement, comme si le souvenir de la souffrance la paralysait. Toute sa raison soufflait à Paul qu’il allait retirer un moignon noirci de cette boîte.
« Ôte-la ! »
Il obéit. Il regarda sa main, stupéfait. Il ne vit pas une marque, pas la moindre trace de la douleur qu’avait éprouvée sa chair. Il éleva sa main devant lui, la fit tourner, plia les doigts.
« Douleur par induction nerveuse, dit la vieille femme. Elle ne peut venir à bout des humains potentiels. Certains donneraient gros pour connaître le secret de cette boîte. » Elle prit le cube de métal et l’enfouit dans les plis de sa robe.
« Mais, cette douleur… », dit Paul.
« Cette douleur ! Un humain est capable de dominer chacun des nerfs de son corps ! »
Il eut mal à la main gauche, ouvrit ses doigts et découvrit quatre marques sanglantes sur sa paume. Il laissa retomber son bras et regarda la vieille femme.
« Vous avez déjà fait cela à ma mère ? »
« As-tu jamais tamisé du sable ? »
La question était tangente et mordante : son esprit gagna un niveau supérieur d’appréhension. Tamiser le sable. Il acquiesça.
« Nous, Bene Gesserit, tamisons les gens pour découvrir les humains », dit la vieille femme.
Il éleva alors sa main droite devant ses yeux, essayant de retrouver le souvenir de la souffrance.
« Et c’est tout ?… De la souffrance. C’est tout ?… »
« Je t’ai observé, mon garçon. La souffrance n’est que l’axe de l’épreuve. Ta mère t’a enseigné la façon dont nous observons. J’ai vu les signes de cet enseignement en toi. C’est là toute notre épreuve : crise et observation. »
Sa voix même portait la confirmation de ses paroles et Paul dit : « C’est vrai. »
Elle le regarda. Il perçoit la vérité ! Se pourrait-il qu’il soit celui-là ? Vraiment ?… Puis elle songea : L’espérance ternit l’observation, et elle étouffa l’excitation qu’elle ressentait.
« Tu sais lorsque les gens croient ce qu’ils disent. »
« Je le sais. »
Dans la voix de Paul, il y avait les harmoniques de ses capacités ; elle les perçut et dit : « Peut-être es-tu le Kwisatz Haderach. Assieds-toi, petit frère, là, à mes pieds. »
« Je préfère demeurer debout. »
« Ta mère s’est assise là, autrefois. »
« Je ne suis pas ma mère. »
« Tu me détestes un peu, n’est-ce pas ? » Elle regarda vers la porte et appela : « Jessica ! »
La porte s’ouvrit. Jessica apparut sur le seuil. Le regard de ses yeux était dur. Il s’attendrit en voyant Paul. Elle parvint à sourire faiblement.
« Jessica, as-tu jamais cessé de me haïr ? » demanda la vieille femme.
« Je vous aime et vous déteste tout à la fois, dit Jessica. Je vous déteste pour cette souffrance que je ne pourrai jamais oublier. Je vous aime pour… »
« Le plus important seulement, dit la vieille femme, et sa voix était douce. Tu peux venir à présent, mais garde le silence. Ferme cette porte et veille à ce que nul ne vienne nous interrompre. »
Jessica s’avança, referma la porte et s’appuya au battant. Mon fils vit, pensa-t-elle. Il vit… et il est humain. Je le savais… mais il vit. Et il peut vivre, désormais. Le contact de la porte était dur, réel contre son dos. Tout, dans cette pièce, semblait peser sur ses sens.