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Mais aussi, il pouvait regarder devant lui, dans toutes les directions. Et c’était là le plus terrifiant.

Je suis un monstre ! pensa-t-il. Une anomalie !

Puis : Non ! Non ! Non ! NON !

Ses poings frappaient le sol de la tente. Et, implacable, cette fraction de son être qui poursuivait ses fonctions, enregistra sa réaction comme un intéressant phénomène émotionnel et l’intégra aux autres facteurs.

« Paul ! »

Sa mère était près de lui, elle lui avait pris les mains. Son visage était une tache grise dans l’ombre. « Paul, qu’y a-t-il ? »

« Vous ! »

« Je suis là, Paul. Tout va bien. »

« Que m’avez-vous fait ? » demanda-t-il.

En un éclair de compréhension, elle devina les racines lointaines de la question : « Je t’ai mis au monde », dit-elle.

Son instinct comme ses connaissances les plus subtiles lui disaient que c’était la réponse qui le calmerait.

Il sentait les mains de sa mère, essayait de distinguer ses traits. Certains signes génétiques dans la forme de son visage furent ajoutés aux autres informations, assimilés. La réponse vint.

« Laissez-moi », dit-il.

Un ton de fer. Elle obéit.

« Paul, veux-tu me dire ce qui se passe ? »

« Saviez-vous ce que vous faisiez en m’éduquant ? »

Il n’y a plus trace de l’enfant dans sa voix, pensa-t-elle.

« J’espérais ce qu’espèrent tous les parents. Que tu serais… supérieur, différent. »

« Différent ? »

Cette amertume dans sa voix. « Paul, je… »

« Vous ne désiriez pas un fils ! Vous désiriez un Kwisatz Haderach ! Vous vouliez un mâle Bene Gesserit ! »

« Mais, Paul… »

« Avez-vous jamais pris le conseil de mon père ? »

La voix de Jessica était douce, dans son chagrin.

« Quoi que tu sois, Paul, ton hérédité est partagée entre ton père et moi. »

« Mais pas mon éducation. Pas les choses qui ont… éveillé… ce qui dormait. »

« Ce qui dormait ? »

« C’est là, dit-il, et il posa la main sur son front, puis sur sa poitrine. C’est là, en moi. Et jamais ça ne s’arrête, jamais, jamais… »

« Paul ! »

Elle le sentait au bord de l’hystérie.

« Écoutez-moi, reprit-il. Vous vouliez que je parle de mes rêves à la Révérende Mère ? Alors écoutez à sa place, maintenant. Je viens d’avoir un rêve éveillé. Savez-vous pourquoi ? »

« Il faut te calmer. S’il y a… »

« L’épice. Il y en a partout. Dans l’air, dans le sol, la nourriture. L’épice gériatrique. Le Mélange. C’est comme la drogue des Diseuses de Vérité. Un poison ! »

Elle se raidit.

La voix de Paul se fit plus basse comme il répétait :

« Un poison… subtil, insidieux… sans antidote. Il ne tue pas si l’on ne cesse pas de le prendre. On ne peut quitter Arrakis sans emporter une partie d’Arrakis avec soi. »

La présence terrifiante de sa voix ne souffrait aucune réplique.

« Vous et l’épice, reprit-il. L’épice transforme quiconque en absorbe autant mais, grâce à vous, cette transformation a touché ma conscience. Je peux la voir. Elle n’est pas reléguée dans mon subconscient, là où je pourrais l’ignorer. »

« Paul, tu… »

« Je la vois ! »

Elle percevait la folie dans la voix de son fils et ne savait plus quoi faire.

Mais il se remit à parler et la dureté de fer était de nouveau dans sa voix. « Nous sommes pris au piège. »

Nous sommes pris au piège, répéta-t-elle. Elle acceptait cette vérité. Nul effort bene gesserit, nulle astuce ou artifice ne les libérerait jamais complètement d’Arrakis. L’épice créait une accoutumance, un besoin. Son corps l’avait su bien longtemps avant que son esprit l’admette.

Nous vivrons donc le temps de nos vies sur cette planète infernale, songea-t-elle. Si nous parvenons à échapper aux Harkonnen, ce monde est prêt pour nous. Et mon destin ne fait plus de doute : je ne suis là que pour préserver une lignée qui entre dans le Plan Bene Gesserit.

« Je dois vous révéler ce qu’était mon rêve éveillé, reprit Paul et il y avait maintenant de la fureur dans sa voix. Pour être certain que vous accepterez mes paroles, je vous dirai d’abord que vous portez une fille, ma sœur, qui naîtra ici, sur Arrakis. »

Et Jessica posa les mains sur la paroi de la tente et appuya pour repousser la vague de peur. Elle savait que son état n’était pas encore visible. Seule son éducation bene gesserit lui avait permis de percevoir les tout premiers signaux de son corps, de savoir qu’elle portait un embryon de quelques semaines.

« Que pour servir, souffla-t-elle, s’accrochant à la devise bene gesserit. Nous n’existons que pour servir. »

« Nous trouverons refuge parmi les Fremen. C’est là que votre Missionaria Protectiva nous a préparé un abri. »

Notre fuite dans le désert était organisée, songea Jessica. Mais comment peut-il connaître la Missionaria Protectiva ? Elle avait peine, maintenant, à repousser la frayeur que faisait naître en elle l’étrangeté de son fils.

Paul examinait l’image sombre de sa mère, il lisait en elle la peur, clairement, comme si elle se dessinait en traits de lumière sur l’ombre. Et il ressentit un début de compassion à son égard.

« Je ne puis encore vous dire les choses qui peuvent advenir, dit-il. Je ne puis même me les dire, quoique je les aie vues. Cette sensation de l’avenir… Il semble que je n’aie aucun contrôle sur elle. C’est comme cela, c’est tout. L’avenir proche… un an peut-être… je peux le voir en partie… C’est une route aussi large que notre Avenue Centrale, sur Caladan. Il y a des choses que je ne distingue pas… des endroits pleins d’ombre… Comme si la route passait derrière une colline et… (l’image d’un mouchoir flottant au vent lui revint)… il y a des embranchements… »

Il demeura silencieux comme le souvenir de cette vision l’envahissait. Nul rêve prescient, nulle expérience dans son existence préalable ne l’avait préparé à cela, à cette révélation du temps mis à nu.

En se souvenant de l’expérience qu’il venait de vivre, il reconnaissait le but terrible qui était le sien. Sa vie se dilatait comme une bulle toujours plus immense et le temps lui-même battait en retraite…

Jessica découvrit le contrôle du brilleur de l’abri et une faible clarté verte repoussa les ombres et sa frayeur. Elle regarda le visage de son fils, ses yeux… tournés vers l’intérieur. Et elle sut où elle avait déjà rencontré un tel regard : dans des images anciennes de désastres passés, des visages d’enfants affamés ou blessés. Les yeux comme des puits noirs, la bouche réduite à un trait, les joues creuses, tendues.

L’expression de quelqu’un qui voit des choses terribles, songea-t-elle. Qui affronte la certitude de sa mortalité.

Ce n’était plus un enfant.

Puis le sens sous-jacent des paroles de Paul se dessina dans son esprit, balaya tout. Paul pouvait, en regardant au-devant de leur route, discerner une issue possible.

« Il existe un moyen d’échapper aux Harkonnen », dit-elle.

« Les Harkonnen ! Chassez ces caricatures d’humains de votre esprit ! » Il avait les yeux fixés sur sa mère, dans la faible lumière du brilleur, sur son visage qui la trahissait.

« Tu ne devrais pas parler d’humains sans… »

« Ne soyez pas aussi assurée quant aux démarcations. Nous portons notre passé avec nous. Et, ma mère, il est une chose que vous ignorez et que vous devriez savoir… Nous sommes des Harkonnen. »