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« Eh bien, je pensais que vous aviez l’intention de repeupler et… »

« J’ai dit pressurer, Mon Neveu, et non exterminer. Ne diminue pas la population. Contente-toi de la soumettre, totalement. Il faut que tu sois le carnivore, mon garçon. (Le Baron sourit et une expression enfantine apparut sur son visage gras.) Jamais un carnivore ne s’arrête. Jamais il ne montre la moindre pitié. Jamais. La pitié est une chimère. L’estomac grondant sa faim suffit à la balayer, et la gorge brûlante de soif… Aie donc toujours faim et soif… Comme moi. » Et le Baron caressa ses bourrelets de graisse, sous les suspenseurs.

« Je comprends, Mon Seigneur. »

Le regard de Rabban allait de droite à gauche.

« Est-ce bien clair, Mon Neveu ? »

« Oui, hormis une chose, Mon Oncle : Kynes, le planétologiste. »

« Ah, oui… Kynes. »

« Il représente l’Empereur, Mon Oncle. Il peut aller et venir selon son gré. Et il est très lié aux Fremen… Il a épousé une des leurs… »

« Il sera mort lorsque la nuit viendra, demain. »

« C’est là une dangereuse action, Mon Oncle… Tuer un serviteur de l’Empereur. »

« Comment crois-tu donc que je sois arrivé aussi rapidement si haut ? (La voix du Baron était basse, lourde, pleine d’adjectifs muets.) De plus, tu n’aurais jamais dû craindre de voir Kynes s’enfuir d’Arrakis. Tu sembles oublier qu’il est intoxiqué par l’épice. »

« Oui, bien sûr ! »

« Ceux qui savent ce qu’il en est ne feront jamais rien qui puisse mettre en péril leurs moyens de ravitaillement. Et Kynes, certainement, sait ce qu’il en est. »

« J’avais oublié », dit Rabban.

En silence, ils se regardèrent.

« À ce propos, reprit le Baron, tu devras veiller tout particulièrement à mon ravitaillement personnel. Je dispose d’un stock important mais ce raid des hommes du Duc m’a coûté la plus grande partie de ce que j’entendais revendre. »

Rabban acquiesça. « Oui, Mon Seigneur. »

« Demain matin, tu rassembleras tout ce qui subsiste de notre organisation sur cette planète et tu déclareras : Notre Sublime Empereur Padishah m’a chargé de prendre possession de cette planète pour y mettre fin à toute querelle. »

« Je comprends, Mon Seigneur. »

« Cette fois, je suis bien certain que tu comprends, oui. Mais demain, nous reverrons les détails. À présent, laisse-moi finir mon sommeil. »

Le Baron désactiva le bouclier du seuil et regarda disparaître son neveu.

Esprit blindé, songea-t-il. Esprit musclé et blindé. Lorsqu’il en aura fini avec eux, il n’y aura plus que de la pulpe sanglante. Ainsi, lorsque mon cher Feyd-Rautha arrivera, il sera accueilli à bras ouverts, comme un libérateur. Délicieux Feyd-Rautha. Il viendra les sauver de cette bête. Il méritera leur obéissance. Ils voudront même mourir pour lui… Lorsque ce temps sera venu, je suis bien certain qu’il saura comment oppresser dans l’impunité. C’est lui qu’il me faut, oui. Avec le temps, il apprendra. Et ce corps, tellement adorable… Quel garçon délicieux !

À quinze ans, il avait déjà appris le silence.

Extrait de Histoire de Muad’Dib enfant,

par la Princesse Irulan.

Paul, luttant aux commandes de l’ornithoptère, prit conscience qu’ils échappaient à l’entrelacs des forces de la tempête. Ses facultés de perception, supérieures à celles d’un Mentat, lui permettaient de sélectionner des informations multiples et précises. Il sentait, tout autour de lui, les fronts de poussière, les dépressions, les turbulences complexes et, parfois, le passage d’un tourbillon.

La cabine de l’orni était comme une boîte furieusement ballottée, baignée de la clarté verte des cadrans. Au-dehors, le sable était une muraille ocre, lisse, semblait-il, sans la moindre faille. Pourtant, Paul commençait à voir au-delà.

Il me faut trouver le bon tourbillon, songea-t-il.

Depuis un certain temps, il percevait l’affaiblissement de la tempête. Mais elle ne s’était pas encore éteinte et continuait de les secouer durement. Il guettait l’approche d’une autre turbulence.

Le tourbillon apparut. Comme une vague monstrueuse qui agita frénétiquement l’appareil. Paul repoussa toute trace de peur et inclina l’orni sur la gauche. Jessica décela la manœuvre sur le globe de navigation.

« Paul ! »

Le tourbillon s’empara d’eux, les saisit, les enveloppa. L’ornithoptère ne fut plus qu’une feuille sur un geyser, projeté, craché dans un torrent de poussière, dans la clarté de la seconde lune.

Paul regarda vers le bas. Il vit le pilier de poussière formé par le vent torride qui les avait capturés, avalés puis dégorgés. Il vit la tempête mourante qui poursuivait son cours, comme un fleuve de sable dans le sable du désert, ruban gris de lune qui se faisait de plus en plus petit comme l’orni montait toujours plus haut.

« Nous en sommes sortis », dit Jessica.

Paul fit glisser l’appareil hors de la poussière. Il épiait le ciel.

« Nous leur avons échappé », dit-il enfin.

Jessica lutta pour ralentir les battements de son cœur, pour retrouver son calme tout en regardant disparaître la tempête. Sa notion du temps lui disait qu’ils avaient voyagé au sein de ces forces naturelles pendant près de quatre heures. Mais, pour une grande part de son esprit, cela avait duré le temps d’une vie. Il lui semblait renaître.

C’était comme la litanie, se dit-elle. Nous avons fait face, sans résister. Et la tempête est passée au travers de nous, autour de nous. Elle a disparu et nous restons.

« Je n’aime pas le bruit que font les ailes, dit Paul. Elles ont dû être endommagées. »

Ses mains, tout en agissant sur les commandes, percevaient le changement, le vol plus lourd, difficile. Ils avaient échappé à la tempête mais ils n’avaient pas encore atteint l’image que lui avait révélée sa vision presciente. Pourtant, ils étaient sauvés, et Paul tremblait, au seuil d’une révélation.

Il frissonna.

C’était magnétique, terrifiant. Pourquoi ? se demanda-t-il. Il sentait que c’était dû en partie à la nourriture, saturée d’épice. Mais cela pouvait s’expliquer aussi par la litanie dont les paroles semblaient receler une puissance qui leur était propre.

Je ne connaîtrai pas la peur…

Cause et effet, il vivait en dépit des forces mauvaises et il approchait d’une nouvelle perception qui, sans la litanie magique, n’aurait pu être.

Des paroles de la Bible Catholique Orange flottèrent dans sa mémoire : Ne nous manque-t-il pas des sens qui nous permettent de voir et d’entendre cet autre monde qui est tout autour de nous ?

« Il y a des rochers, tout autour de nous », dit Jessica.

Paul revint à l’ornithoptère. Il secoua la tête pour éclaircir ses idées et il regarda ce que lui désignait sa mère. Des rochers, noirs sur le sable, droit devant eux. Puis il sentit un souffle de vent sur ses chevilles, un frôlement de poussière dans la cabine. Il y avait un trou quelque part.

« Il vaut mieux nous poser dans le sable, dit Jessica. Les ailes risquent de ne pas nous freiner suffisamment. »

Du menton, il lui désigna quelques rochers qui émergeaient des dunes dans le clair de lune.

« Nous allons nous poser là. Vérifiez votre harnachement. »

Elle obéit et songea : Nous avons de l’eau, des distilles. Si nous pouvons nous procurer de la nourriture, nous réussirons à survivre longtemps dans le désert. C’est là que vivent les Fremen. Ce qu’ils peuvent, nous le pouvons aussi.