Suivant l’éducation bene gesserit reçue de sa mère, il entreprit de calmer les battements désordonnés de son cœur. Son esprit redevint une ardoise vierge sur laquelle les moments les plus récents du passé pouvaient apparaître à nouveau. Dans sa mémoire, chaque mouvement, chaque courant de l’avalanche recommença, plus lentement, bien qu’une fraction de seconde suffit à cette évocation.
Puis il reprit son escalade en diagonale, jusqu’à ce qu’il trouve une des murailles de la fissure, un rocher qui émergeait du sable. Alors il se mit à creuser, lentement, veillant à ne pas provoquer une nouvelle avalanche de sable. Et il rencontra du tissu sous ses mains. Il progressa, découvrit un bras. Doucement, il le dégagea, découvrit le visage.
« M’entendez-vous ? » murmura-t-il.
Nulle réponse ne lui parvint.
Il creusa plus avant, libéra les épaules. Le corps de sa mère était inerte entre ses mains mais il décela les battements espacés du cœur.
Suspension bindu, se dit-il.
Il la libéra du sable jusqu’à la taille, passa ses bras sur ses épaules et l’entraîna vers le bas de la pente, doucement d’abord, puis aussi vite qu’il le put, au fur et à mesure que cédait le sable sous ses pas. De plus en plus vite il l’emporta, l’entraîna en haletant, luttant pour garder son équilibre, jusqu’au sol ferme au fond de la fissure, la hissa sur ses épaules et courut maladroitement à l’instant où la pente tout entière glissait sur eux avec un sifflement assourdi que répercutèrent les hautes murailles.
Au bout de la fissure, Paul s’arrêta et son regard se posa sur les dunes du désert, trente mètres plus bas. Doucement, il étendit sa mère sur le sable et prononça le mot qui devait la sortir de sa catalepsie.
Elle s’éveilla lentement, son souffle devint plus profond.
« Je savais que tu me retrouverais », dit-elle dans un murmure.
Il se retourna vers la fissure. « Peut-être eût-il mieux valu que je ne vous retrouve pas. »
« Paul ! »
« J’ai perdu le paquet. Il est enfoui sous des tonnes de sable… »
« Tout ? »
« L’eau, la tente… Tout ce qui avait de l’importance. (Il porta la main à une poche.) Il me reste le paracompas. (Il toucha la bourse fixée à sa taille.) Le couteau et les jumelles également. Au moins, nous pourrons bien voir l’endroit où nous allons mourir. »
À cet instant, le soleil apparut sur l’horizon quelque part à gauche au-delà de la fissure. Et les couleurs jaillirent sur le désert. Un chœur d’oiseaux s’éveilla dans les multiples refuges des rochers.
Mais Jessica ne voyait que le désespoir qui avait envahi le visage de son fils. Elle mit du mépris dans sa voix pour demander : « Est-ce là ce que l’on t’a enseigné ? »
« Ne comprenez-vous pas ? Tout ce qu’il nous fallait pour survivre est perdu dans ce sable ! »
« Tu m’as retrouvée », dit-elle, et, à présent, sa voix était douce, raisonnable. Paul s’accroupit sur ses talons. Son regard se porta sur la nouvelle pente qui s’était formée. Le sable était fragile, instable.
« Si seulement nous pouvions en immobiliser une petite partie, dit-il, et creuser un puits jusqu’au paquet. Mais il nous faudrait de l’eau pour cela, et nous n’en avons pas assez… (Il s’interrompit et dit tout à coup :) De la mousse ! »
De peur de déranger ses réflexions, Jessica demeura immobile.
Paul contemplait les dunes, et ses yeux, aussi bien que ses narines, cherchaient, trouvaient, centraient son attention sur une portion de désert qui semblait plus sombre.
« De l’épice, dit-il. Son essence est hautement alcaline. Et je dispose encore du paracompas. Sa pile contient de l’acide. »
Jessica se redressa et s’appuya au rocher.
Paul ne parut pas en avoir conscience. Il se leva et s’engagea sur le sable durci par le vent qui menait au désert.
Elle observa sa démarche. Il brisait le rythme : Un pas… arrêt… Un pas, un autre… Un glissement… Une pause…
Il n’y avait plus dans sa progression le moindre rythme qui pût révéler à un ver en maraude que quelque chose d’étranger au désert se déplaçait dans cette zone.
Il atteignit le gisement d’épice, en recueillit une brassée dans sa robe et revint vers la fissure. Il répandit toute l’épice dans le sable, devant Jessica, s’accroupit et entreprit de démanteler le paracompas à l’aide de la pointe de son couteau. Le dessus du compas s’ouvrit. Paul dispersa les pièces sur la ceinture de sa robe et prit la pile. Puis il ôta le cadran de l’instrument, laissant un emplacement vide.
« Il va te falloir de l’eau », dit Jessica.
Il prit le tube près de son cou, aspira une goulée et la déversa dans l’ouverture du cadran.
Si cela échoue, songea Jessica, toute cette eau est gâchée. Mais, de toute façon, cela n’aura plus d’importance.
À l’aide de son couteau, Paul ouvrit la pile et répandit les cristaux dans l’eau. Ils formèrent une écume légère qui disparut très vite.
Jessica décela un mouvement, leva les yeux et aperçut les faucons perchés sur le rebord de la fissure. Tous regardaient l’eau.
Grande Mère ! songea-t-elle. À une telle distance, ils peuvent encore la déceler !
Paul avait remis en place le couvercle du paracompas tout en ôtant le bouton de réglage, ce qui offrait une issue au liquide. Tenant l’instrument d’une main et une poignée d’épice de l’autre, il remonta vers le haut de la fissure, étudiant la pente de sable. Sa robe, à présent sans ceinture, flottait autour de lui. Il s’avança, soulevant des plumets de poussière, faisant naître des ruisseaux de sable.
Puis il s’arrêta, mit une pincée d’épice dans le paracompas et secoua le boîtier.
Une écume verte surgit par le trou correspondant au bouton de réglage. Paul la dirigea vers le sable, dessinant une petite digue qu’il entreprit de consolider ensuite en rajoutant alternativement du sable et de la mousse verte.
D’en bas, Jessica demanda : « Je peux t’aider ? »
« Venez et creusez, dit-il. Ça ne devrait pas dépasser trois mètres de profondeur. » Il vit alors que l’écume verte ne se formait plus.
« Vite. Il est impossible de savoir combien de temps le sable restera en place. »
Jessica le rejoignit à l’instant où il jetait une nouvelle pincée d’épice dans le paracompas. La mousse réapparut et Paul se remit à consolider la digue tandis que Jessica attaquait le sable avec ses mains, le rejetant derrière elle, vers le bas de la pente.
« Il est loin ? » demanda-t-elle.
« Non, mais la position est approximative. Il faudra peut-être élargir l’excavation. (Il fit un pas de côté, glissant dans le sable fluide.) Creusez plutôt en oblique. »
Elle obéit.
Lentement, l’excavation devint de plus en plus profonde. Elle atteignit le niveau du fond du bassin rocheux et le paquet n’apparaissait toujours pas.
Me serais-je trompé dans mes calculs ? se demanda Paul. C’est à cause de moi que cela s’est produit, à cause de cette panique. Est-ce que cela a diminué mes capacités ?
Il regarda le paracompas. Il ne restait plus que deux onces d’acide.
Jessica se redressa dans le trou, passa une main maculée de mousse verdâtre sur ses joues. Son regard rencontra celui de Paul.
« Vers le haut, maintenant, dit-il. Doucement. » Il ajouta une nouvelle pincée d’épice au contenu du paracompas et la mousse gicla autour des mains de Jessica qui taillaient une tranchée dans la paroi supérieure du trou. À la seconde tentative, elle rencontra quelque chose de dur. Lentement, elle dégagea un bout de courroie et une boucle de plastique.
« N’en sortez pas plus », dit Paul, et sa voix était comme un chuchotement. Il ajouta : « Nous n’avons plus de mousse. »