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« Assurément, Baron », dit l’homme gracile. Il avait une voix de ténor enrichie d’une qualité musicale et douce.

La main grasse abaissa le globe et interrompit sa rotation. Chacun pouvait maintenant contempler la surface immobile, chacun pouvait voir qu’il s’agissait là d’un objet réservé aux plus riches collectionneurs ou aux gouverneurs planétaires de l’Empire. Le globe portait en fait l’estampille impériale. Les lignes de longitude étaient visibles, faites de fils ténus de platine. Les calottes polaires étaient serties de joyaux à l’éclat laiteux.

La main grasse se déplaça sur le globe, de détail en détail. « Je vous invite à bien observer, reprit la voix de basse grondante. Regarde attentivement, Piter, et toi aussi, Feyd-Rautha, mon chéri : entre le soixantième parallèle nord et le soixante-dixième sud, ces plissements ravissants. Leur couleur n’est-elle point comparable à celle de quelque délicieux caramel ? Et vous n’apercevrez nulle part le bleu de la moindre mer, du moindre lac, du moindre fleuve. Et ces calottes polaires… Ne sont-elles pas savoureuses ? Si petites. Qui pourrait ne pas reconnaître un tel monde ? Il est unique. Et il est le lieu idéal pour une victoire tout aussi unique. Arrakis. »

Un sourire apparut sur les lèvres de Piter. « Quand on pense, Baron, que l’Empereur Padishah croit avoir offert votre planète d’épice au Duc. Bouleversant. »

« Voilà bien une remarque absurde, grommela le Baron, que tu n’as faite que dans le dessein de troubler le jeune Feyd-Rautha. Mais il n’est point nécessaire de troubler mon neveu. »

Le jeune homme au regard triste s’agita dans son fauteuil et eut un geste pour lisser un pli sur ses collants noirs. Puis il se redressa comme l’on frappait discrètement à la porte, derrière lui.

Piter s’extirpa de son siège, marcha jusqu’à la porte et l’entrouvrit juste assez pour saisir le cylindre à message qu’on lui tendait. Il referma, développa le feuillet et lut. Il eut un rire étouffé. Puis un autre encore.

« Eh bien ? » demanda le Baron.

« Ce fou nous répond, Baron ! »

« A-t-on jamais vu un Atréides ne pas saisir l’occasion d’un geste ? Et que dit-il donc ? »

« Il se montre particulièrement rustre, Baron. Il s’adresse à vous en tant qu’Harkonnen sans vous donner votre titre ni même vous appeler cher cousin. »

« Harkonnen est un beau nom, grommela le Baron d’une voix qui trahissait son impatience. Et que dit-il, ce cher Leto ? »

« Il dit : “L’art du Kanly conserve encore certains adeptes au sein de l’Empire.” Et il signe : Duc Leto d’Arrakis. (Piter éclata de rire.) D’Arrakis ! Oh ! C’en est trop ! C’en est trop ! »

« Du calme, Piter ! dit le Baron, et le rire de l’autre s’éteignit net, comme si l’on eût coupé quelque contact. Le Kanly, hein ? La vendetta ? Il a employé ce terme ancien si riche de tradition afin que je sois bien certain de ses dires. »

« Vous avez fait le geste de paix, dit Piter. Vous vous êtes conformé à l’usage. »

« Pour un Mentat, Piter, tu parles trop », dit le Baron. Et il songea : Il faudra que je me débarrasse de celui-là avant peu. Il a presque fait son temps. Il contempla son Mentat assassin, s’arrêtant à ce détail que la plupart des gens remarquaient avant tout autre : les yeux, les yeux bleus sans le moindre blanc, avec seulement des stries d’un bleu plus sombre. Un sourire bref vint déformer les traits de Piter. C’était comme une grimace dans un masque, avec ces yeux pareils à deux trous bleus.

« Mais, Baron ! Jamais il n’y eut revanche plus belle. Ce stratagème est d’une traîtrise exquise. Obliger Leto à quitter Caladan pour Dune, et ce sans la moindre chance de s’échapper puisqu’il s’agit d’un ordre de l’Empereur lui-même. Tout à fait facétieux ! »

La voix du Baron était glacée. « Ta bouche est enflée, Piter. »

« Mais je suis heureux, mon Baron. Du moment que… que vous êtes touché par la jalousie. »

« Piter ! »

« Ah, Baron ! N’est-il point regrettable que vous ne soyez pas parvenu à imaginer vous-même un aussi ravissant stratagème ? »

« Un de ces jours, Piter, je te ferai étrangler. »

« J’en suis bien certain, Baron ! Allons, tant pis ! Mais, assurément, ce sera là un acte vain, n’est-ce pas ? »

« Aurais-tu mâché du verite ou de la sémuta, Piter ? »

« La vérité sans peur surprend le Baron, dit Piter, et son visage devint la caricature d’un masque grimaçant. Ah, ah, mais voyez-vous, Baron, je suis un Mentat et je saurai bien à quel moment vous convoquerez le bourreau. Et vous attendrez bien aussi longtemps que je vous serai encore utile. Le convoquer prématurément serait une erreur. Je suis encore très utile. Et puis, je sais l’enseignement que vous avez retiré de cette adorable planète, Dune : ne jamais gaspiller. N’est-ce point vrai, Baron ? »

Le regard du Baron ne quittait pas le Mentat. Dans son fauteuil, Feyd-Rautha eut un gémissement. Quels idiots turbulents, pensa-t-il. Mon oncle ne peut adresser la parole à son Mentat sans qu’il s’ensuive une querelle. Croient-ils donc vraiment que je n’ai rien d’autre à faire que les écouter ?

« Feyd, dit le Baron, je t’ai dit d’écouter et d’apprendre lorsque je t’invitais ici. Apprends-tu ? »

« Oui, mon oncle. » La voix de Feyd-Rautha était pleine d’un respect mesuré.

« Parfois, reprit le Baron, je me pose des questions à propos de Piter. Si je provoque la souffrance, c’est parce que cela est nécessaire, mais lui… Je suis sûr qu’il s’en délecte. Pour ma part, je ressens de la pitié envers ce pauvre Duc Leto. Très bientôt, le docteur Yueh va fondre sur lui et c’en sera fait des Atréides. Mais Leto saura certainement quelle main dirige le docteur traître… et ce sera pour lui une chose terrible. »

« En ce cas, pourquoi n’avez-vous pas ordonné au docteur de lui planter un kindjal dans les côtes ? Ce serait sûr et efficace. Vous parlez de pitié, mon oncle, mais… »

« Il faut que le Duc sache à quel moment je déciderai de sa fin, dit le Baron. Et les Grandes Maisons elles aussi devront le savoir. Cela les calmera. Et j’aurai ainsi un peu plus de champ libre. La nécessité m’apparaît évidente, mais je ne l’aime pas pour autant. »

« Le champ libre, dit Piter avec une moue. Déjà, les yeux de l’Empereur sont fixés sur vous, Baron. Vous êtes trop audacieux. Un jour, une légion de Sardaukars débarquera ici, sur Giedi Prime, et ce sera la fin du Baron Vladimir Harkonnen. »

« Tu aimerais voir ce jour, n’est-ce pas, Piter ? demanda le Baron. Cela te ferait plaisir de voir les Sardaukars piller mes villes et mettre mon château à sac. Je suis sûr que tu en serais ravi. »

« Est-il besoin de le demander, Baron ? » La voix du Mentat n’était qu’un chuchotement.

« Tu aurais dû être Bashar d’un corps de Sardaukars. Le sang et la souffrance te sont si agréables. Peut-être ai-je été trop irréfléchi en te promettant la mise à sac d’Arrakis. »

Piter fit cinq pas d’un air mutin et vint se placer derrière le fauteuil de Feyd-Rautha. L’atmosphère de la pièce devint tendue. Le jeune homme se retourna et contempla Piter avec un froncement de sourcils.

« Ne jouez pas avec Piter, Baron, dit le Mentat. Vous m’avez promis Dame Jessica. Vous me l’avez promise. »

« Pourquoi, Piter ? demanda le Baron. Pour la souffrance ? »

Piter le regarda, prolongeant le silence.

Feyd-Rautha déplaça son fauteuil à suspenseur sur le côté et demanda : « Mon oncle, faut-il que je reste ? Vous avez dit que… »

« Feyd-Rautha, mon chéri, devient impatient, dit le Baron. (Il se déplaça entre les ombres qui stagnaient derrière le globe.) Un peu de calme, Feyd. » Puis il reporta son attention sur le Mentat.