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Il lit dans mes pensées, songea Kynes. Eh bien… qu’il lise donc. Les messages sont déjà partis vers mes sietch. Rien ne peut les arrêter. Si le fils du Duc est encore en vie, mes Fremen le trouveront. Ils le protégeront ainsi que je l’ai ordonné. Peut-être rejetteront-ils la femme, sa mère, mais l’enfant, ils le sauveront.

Une fois encore, le faucon sautilla en avant et la main tendue de Kynes fut à portée de son bec. Il pencha la tête en avant pour examiner la paume. Puis, soudain, il se redressa, son cou se raidit et, avec un glapissement, il s’éleva dans les airs, suivi de ses compagnons.

Les voilà, se dit Kynes. Mes Fremen m’ont retrouvé !

Et puis, il entendit gronder le sable.

Tous les Fremen connaissaient ce son. Ils savaient le distinguer des autres sons, ceux que produisait le ver ou la vie du désert. Quelque part, là, sous Kynes, la masse d’épice en formation avait accumulé suffisamment d’eau et de matières organiques grâce aux petits faiseurs. Elle avait maintenant atteint le stade critique de sa croissance sauvage. Dans les profondeurs du sable, une bulle énorme de gaz carbonique s’était formée et montait vers la surface, emportant en son centre un tourbillon de sable. Tout ce qui se trouvait à proximité, en surface, serait avalé, échangé contre ce qui venait du sol.

Les faucons tournaient au-dessus de Kynes, piaillant leur frustration. Ils savaient ce qui allait se produire. Comme n’importe quelle autre créature du désert.

Je suis une créature du désert, pensa Kynes. Regarde-moi bien, Père. Je suis une créature du désert.

Il sentit la bulle le soulever, l’emporter, éclater. Le tourbillon de sable le prit, l’enveloppa, l’entraîna dans des ténèbres fraîches. Un instant, l’obscurité, l’humidité lui furent agréables. Puis, en cette seconde où sa planète le tuait, Kynes se dit que son père se trompait, comme les autres savants. Les principes permanents de l’univers demeuraient encore l’erreur, l’accident.

Les faucons eux-mêmes savaient cela.

Prophétie et prescience. Comment les soumettre à l’examen, face aux questions restées sans réponse ? Par exemple : Dans quelle mesure s’agit-il d’une véritable prédiction de la « forme d’onde » (l’image-vision, ainsi que la désignait Muad’Dib) et dans quelle mesure le prophète façonne-t-il l’avenir afin qu’il corresponde à la prophétie ? Et qu’en est-il des harmoniques inhérents à l’acte de prophétie ? Le prophète voit-il l’avenir ou seulement une ligne de rupture, une faille, un clivage dont il peut venir à bout par des mots, des décisions ainsi qu’un tailleur de diamant façonnant une gemme d’un coup de son outil ?

Réflexions personnelles sur Muad’Dib,

par la Princesse Irulan.

« Prends leur eau », avait lancé l’homme dans la nuit. Et Paul, repoussant la peur, regarda sa mère. Ses yeux avertis lui apprirent qu’elle était prête au combat, que ses muscles attendaient le signal.

« Il serait regrettable que nous ayons à vous détruire de nos mains », dit la voix au-dessus d’eux.

C’est celui qui a parlé en premier, se dit Jessica. Ils sont au moins deux. L’un est sur notre droite, l’autre sur notre gauche.

« Cignoro hrobosa sukares hin mange la pchagavas doi me kamavas na beslas lele pal hrobas ! »

C’était celui de droite. Il criait en direction du bassin.

Les mots, pour Paul, n’avaient aucun sens, mais l’éducation bene gesserit de Jessica lui fit reconnaître la langue. Du chakobsa. C’était l’une des anciennes langues de chasse et l’homme, au-dessus d’eux, venait de dire que, peut-être, c’était là les étrangers qu’ils cherchaient.

Dans le silence qui suivit l’appel, la deuxième lune se leva, comme un visage rond, d’ivoire pâle et bleu, penché sur le bassin entre les rochers, brillant, curieux. Puis, entre les rochers, il y eut des bruits furtifs. Au-dessus, de toutes parts… Mouvements d’ombres dans le clair de lune. Silhouettes glissant hors de l’obscurité.

Une troupe entière ! se dit Paul, avec un serrement de cœur.

Un homme de haute taille, au burnous maculé, s’avança vers Jessica. Il avait rejeté le voile de son visage pour se faire entendre clairement. La lumière pâle de la lune révélait une barbe épaisse mais son visage et ses yeux demeuraient dissimulés dans l’ombre du capuchon.

« Qui êtes-vous, des djinns ou des humains ? » demanda-t-il.

Il raillait, se dit Jessica, elle le lisait dans sa voix, et elle éprouva un faible espoir. Cette voix était celle d’un chef, c’était la première qui s’était élevée dans la nuit.

« Des humains, je pense », dit l’homme.

Jessica sentait plus qu’elle ne la distinguait la lame cachée dans un repli de la robe. Un bref instant, elle eut le regret amer de leurs boucliers.

« Vous parlez peut-être ? » demanda l’homme.

Jessica rassembla toute l’arrogance royale dans son maintien et dans sa voix. Il était urgent de répondre à cet homme. Pourtant, elle ne l’avait pas encore assez entendu pour enregistrer ses connaissances, ses faiblesses.

« Qui a surgi de la nuit comme un assassin ? » demanda-t-elle.

La tête encapuchonnée pivota soudain, révélant la tension de l’homme. Puis il se détendit lentement et ce fut plus révélateur encore. Il se contrôlait.

Paul s’éloigna de sa mère afin d’offrir une cible distincte et de disposer d’un champ suffisant pour une éventuelle action.

La tête encapuchonnée suivit son mouvement et le visage fut esquissé par le clair de lune. Jessica vit un nez acéré, un œil brillant (sombre, pourtant, si sombre, sans le moindre blanc), un sourcil lourd, une moustache relevée.

« Le jeune fauve est habile, dit l’homme. Il se peut, si vous fuyez les Harkonnen, que vous soyez les bienvenus parmi nous. Qu’en dis-tu, garçon ? »

Toutes les hypothèses possibles traversèrent l’esprit de Paul. Un piège ? La vérité ? Il fallait se décider immédiatement.

« Pourquoi accueilleriez-vous des fugitifs ? » demanda-t-il.

« Un enfant qui parle et pense comme un homme. Eh bien, pour répondre à ta question, jeune wali, je suis celui qui ne paie pas le faix, le tribut d’eau aux Harkonnen. Pour cela, ceux qui les fuient peuvent être bienvenus. »

Il sait qui nous sommes, pensa Paul. Il le cache. Je le sens dans sa voix.

« Je suis Stilgar, le Fremen, reprit l’homme. Cela te délie-t-il la langue, garçon ? »

C’est bien la même voix, songea Paul. Il se souvint de cet homme qui était venu au Conseil réclamer le corps d’un ami tué par les Harkonnen.

« Je te connais, Stilgar, dit-il. J’étais avec mon père, au Conseil, lorsque tu es venu réclamer l’eau de ton ami. Tu as emmené avec toi Duncan Idaho, l’homme de mon père, en échange. »

« Et Idaho nous a abandonnés pour retourner auprès du Duc », dit Stilgar.

Jessica décela le dégoût dans la voix et elle se tint prête à l’attaque.

« Nous perdons notre temps, Stil », lança l’autre voix, dans les rochers.

« C’est le fils du Duc, répondit Stilgar. C’est certainement lui que Liet nous a demandé de retrouver. »

« Mais… c’est un enfant, Stil. »

« Le Duc était un homme et ce garçon s’est servi d’un marteleur, dit Stilgar. Il a été brave en traversant ainsi dans le sillage de Shai-hulud. »