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— Na, Anton, mein Alter, m’a-t-il lancé en agitant des papiers. J’ai tout ce qu’il faut. Nous devons respecter les lieux et ne toucher à rien excepté la tombe dont nous avons parlé. Si vous voulez mon avis, l’évêque sera ravi d’enterrer ce Dracula à la gomme. (Il s’est tourné vers Tom et Judy.) Qu’est-ce que vous dites de ça ? Pour l’enterrer, il faut d’abord le déterrer !

Et il a éclaté de rire.

J’ai grimacé. Heinrich était un homme vertueux, mais ses calembours ne lui laissaient aucune chance d’échapper au purgatoire. Je m’en voulais un peu de l’avoir trompé sur nos intentions.

— Permettez-moi de vous présenter Tom Schwoerin, mon ami américain, et son assistante, Judy Cao. Monseigneur Heinrich Lurm.

Heinrich s’est emparé de la main de Tom.

— Docteur Schwoerin. C’est pour moi un grand plaisir. J’ai fort apprécié votre article sur les fréquences génétiques des tribus souabes. Il a grandement clarifié leurs itinéraires migratoires. Heureusement pour vous que mes ancêtres laissaient leurs gènes partout où ils passaient, hein ?

Avant que Tom ait pu réagir à ce nouveau bon mot*, j’ai précisé :

— Heinrich est un archéologue amateur. Il a mis au jour plusieurs villages souabes antérieurs à la Völkerwanderung.

— Heinrich Lurm ? Mais bien sûr. Tout le plaisir est pour moi. J’ai lu vos rapports, mon père. Vous n’avez rien d’un amateur.

Heinrich a rougi.

— Au contraire : « amateur » vient du latin amare. C’est par amour de l’art que je pratique l’archéologie. Je n’en tire aucun revenu.

Il avait loué deux pick-up de marque japonaise. Deux hommes à l’épaisse moustache tombante bavardaient devant eux. Sur le plateau du premier véhicule étaient rangés des pelles, des pioches et autres accessoires. En nous voyant approcher, les deux hommes ont grimpé à bord du second.

— Si j’ai bien vu, un ancien chemin forestier nous permettra d’arriver à proximité du site, m’a dit Heinrich. Ensuite, nous n’aurons que quelques minutes de marche. Je conduis le premier pick-up. Anton, vous prenez le second. Fraülein Cao, si vous voulez bien m’accompagner. Je suis tenu au célibat, vous serez plus en sécurité avec moi qu’avec ces deux boucs.

Il m’a gratifié d’un large sourire, mais j’ai fait semblant de ne pas le voir.

Nous avons pris la Schwarzwald-Haupstrasse pour filer vers la montagne, la quittant au niveau de Kirchzarten. La route s’est mise à grimper sérieusement lorsque nous sommes entrés dans le Zastieral. J’ai baissé la vitre pour profiter de l’air revigorant. Derrière nous, les ouvriers ont éclaté de rire. L’un d’eux a entonné un vieux chant folklorique.

— Dommage que Sharon n’ait pas pu venir, ai-je dit.

Tom m’a jeté un bref coup d’œil, puis il s’est à nouveau tourné vers la route.

— Elle travaille sur un autre projet. Celui dont je t’ai parlé.

— Ja. Le diagramme de circuit. C’est sans doute ce qu’il y a de plus remarquable dans toute l’histoire. Plus jamais je ne regarderai un manuscrit enluminé de la même façon. Réfléchis, Tom. Est-ce que nous aurions pu déduire sa véritable nature, toi et moi ? Pff ! (J’ai agité le bras.) Nous en aurions été bien incapables. Et Sharon. Aurait-elle eu l’occasion de l’examiner par elle-même ? Les physiciens ne sont guère attirés par les manuscrits médiévaux. C’est uniquement parce que vous vivez ensemble qu’une telle chose a pu se produire. Et si elle n’avait pas repensé à cette remarque de Carl Sagan juste avant de le voir… ?

Il s’est tourné vers les arbres qui défilaient au bord de la route.

— Une coïncidence totalement imprévisible. Qui sait quels trésors dorment encore au fond des archives et des bibliothèques, dans l’attente de celui qui saura les regarder comme ils exigent de l’être ? Tous ces documents poussiéreux auxquels nous avons imposé une explication acceptable, inoffensive, crédible ?

Quelques kilomètres après Oberreid, la chaussée s’est sensiblement dégradée et je me suis concentré sur ma conduite. Le Feldberg se dressait sur notre droite, majestueux. Peu après, l’ecclésiastique a klaxonné et son bras a jailli de l’habitacle, pointant vers la gauche. J’ai vu le chemin forestier et klaxonné à mon tour pour lui montrer que j’avais compris. Puis j’ai mis la traction sur les quatre roues.

Heinrich conduisait comme un fou. Que la route ne soit plus carrossée ne le gênait en rien. Je m’efforçais de suivre son allure pour ne pas le perdre de vue, mais nous étions tellement secoués que je me suis demandé si les deux ouvriers n’allaient pas tomber du véhicule. J’ai adressé des remerciements silencieux aux ingénieurs japonais qui avaient conçu les amortisseurs de celui-ci.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque nous avons atteint le site où s’était jadis trouvé Eifelheim. Il n’en restait aucune trace visible. Je tenais à la main des tirages des photos satellite, mais, une fois sur le terrain, elles ne me servaient plus à rien. La nature avait repris ses droits et les arbres avaient eu sept siècles pour croître et se multiplier. Tom semblait totalement déboussolé pendant que nous tournions en rond. Où s’était trouvé le pré ? Et l’église ? Peut-être serions-nous passés à côté du site sans le voir, mais les soldats américains qui l’avaient découvert par hasard avaient eu la présence d’esprit d’y abandonner des canettes vides.

Heinrich a pris la direction des opérations et nous nous sommes contentés d’être ses assistants. Mais c’était un homme de terrain, contrairement à nous.

Il a fouillé dans son sac à dos pour en sortir un émetteur-récepteur GPS. Quelques instants plus tard, il avait déterminé nos coordonnées. Il les a reportées sur la carte, puis a pointé son crayon dans une direction bien précise.

— L’église est enfouie sous un tumulus en forme de crucifix au sommet de cette petite colline. Le cimetière se trouve probablement derrière le chœur ; ou peut-être sur le côté.

Nous avons trouvé la colline tout de suite et nous sommes divisés en trois équipes, chacune se voyant affecter une zone rayonnant à partir du chœur. Peu après, Augustus Bauer, l’un des deux ouvriers, tombait sur ce qui ressemblait aux débris d’une pierre tombale. Mais peut-être s’agissait-il d’un simple rocher. Nous avons repris nos recherches.

C’est Judy qui a trouvé la tombe. Elle avançait à ma droite et je l’ai vue se figer et fixer le sol. Elle n’a rien dit, se contentant de ne pas bouger pendant quelques instants. Puis elle s’est accroupie et un buisson me l’a dissimulée.

J’ai regardé autour de moi, mais personne d’autre n’avait remarqué son manège. Mes compagnons continuaient de marcher à pas comptés en fouillant le sol du regard. J’ai rejoint Judy et je l’ai trouvée agenouillée devant une pierre cassée et à moitié ensevelie. L’érosion l’avait bien abîmée, mais le visage sculpté sur l’une de ses faces avait été en partie protégé des intempéries.

— C’est elle ? ai-je murmuré.

La jeune femme a poussé un hoquet. Elle s’est tournée vers moi et s’est détendue.

— Docteur Zaengle. Vous m’avez fait peur.

— Pardon.

Je me suis accroupi à côté d’elle, sentant craquer mes vieux os. J’ai examiné le visage sur la pierre. Ses contours étaient émoussés, œuvre de sept siècles de pluie et de vent. Ses linéaments étaient à peine visibles. Comment les soldats avaient-ils pu le remarquer ?