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Mais je n'en fus pas capable. Je me contentai de pleurer dans ma serviette. Il me caressa les cheveux, et me murmura encore et encore qu'il m'aimait.

Je restai sourde à ses mots d'amour.

Quand les filles se réveillèrent, la nuit était tombée. La forêt n'était plus le paradis vert et tranquille dans lequel elles avaient erré tout l'après-midi, mais une masse immense, inquiétante, animée de bruits étranges. Lentement, elles avancèrent à travers les fougères, main dans la main, s'arrêtant dès qu'elles entendaient du bruit. Il leur semblait qu'il faisait de plus en plus noir. Que la nuit était de plus en plus profonde. Elles continuèrent malgré tout à avancer. La fillette avait la sensation qu'elle allait s'écrouler de fatigue. Mais la main chaude de Rachel l'encourageait à tenir le coup.

Elles parvinrent à un chemin qui serpentait dans une vaste étendue de prés. La forêt disparut en arrière. Elles levèrent les yeux vers le ciel sans lune.

« Regarde, dit Rachel, en pointant le doigt devant elle. Une voiture. »

Des phares brillaient dans la nuit. Leur lumière était atténuée par de la peinture noire qui n'en laissait filtrer qu'un filet. Puis elles entendirent le vrombissement d'un moteur se rapprocher.

« On fait quoi ? dit Rachel. On l'arrête ? » La fillette aperçut une autre paire de phares masqués de peinture noire, puis encore une. C'était toute une file de voitures qui s'approchait.

« À plat ventre ! murmura-t-elle en tirant Rachel par la chemise. Vite ! »

Il n'y avait aucun buisson où se cacher. Elle s'allongea sur le ventre, le menton dans la terre.

« Mais qu'est-ce que tu fais ? » demanda Rachel.

Elle comprit vite.

Des soldats. Des soldats allemands. Une patrouille de nuit.

Rachel se jeta par terre à côté de son amie.

Le grondement puissant des moteurs était tout proche. Les voitures passèrent bientôt à leur niveau. Les filles devinèrent les casques ronds et brillants dans la faible lumière. La fillette en était sûre, on allait les découvrir. Impossible de se cacher. Impossible. Ils allaient forcément les repérer. Ce ne pouvait être autrement.

La première voiture les dépassa, suivie de toutes les autres. Une épaisse poussière blanche gicla dans les yeux des filles qui se retinrent de tousser et de bouger. Face contre terre et mains sur les oreilles, elles attendaient que les véhicules allemands disparaissent. Cela prit une éternité. Est-ce que les soldats verraient leurs silhouettes noires sur le bas-côté du chemin de terre ? La fillette se préparait déjà à entendre des cris, des coups de freins, des bruits de bottes rapides, à sentir des mains brutales les saisir aux épaules.

Mais la dernière voiture passa et son bourdonnement finit par s'éteindre dans la nuit. Le silence revint. Elles levèrent les yeux. Le chemin de terre était désert. Seuls quelques nuages de poussière tournoyaient encore. Elles attendirent un moment avant de ramper sur le chemin, dans la direction opposée. À travers les arbres, elles aperçurent une petite lumière blanche qui semblait leur faire signe. Elles s'approchèrent en marchant toujours sur le bas-côté. Elles ouvrirent une barrière et s'avancèrent avec précaution jusqu'à une maison. On dirait une ferme, pensa la fillette. À travers une fenêtre ouverte, elles virent une femme qui lisait près de la cheminée et un homme qui fumait la pipe. Une bonne odeur de cuisine leur chatouilla les narines.

Sans hésiter, Rachel frappa à la porte. Le rideau de coton s'écarta. La femme qui les regardait à travers la vitre avait un visage long et osseux. Elle les observa minutieusement puis laissa retomber le rideau. Elle ne leur ouvrit pas. Rachel frappa à nouveau.

« S'il vous plaît, madame, nous voudrions quelque chose à manger et à boire… »

Le rideau ne bougeait pas. Les fillettes allèrent se poster devant la fenêtre ouverte. L'homme à la pipe se leva.

« Partez, dit-il d'une voix basse et menaçante. Fichez le camp de là. »

Derrière lui, la femme au visage osseux regardait la scène en silence.

« S'il vous plaît, juste un peu d'eau… » demanda la fillette.

La fenêtre fut refermée violemment.

La fillette avait envie de pleurer. Comment ces paysans pouvaient-ils être aussi cruels ? Il y avait du pain sur la table, la fillette l'avait vu. Il y avait aussi un pichet d'eau. Rachel la prit par le bras et elles repartirent sur le chemin sinueux. Il y avait d'autres fermes, mais à chaque fois, ce fut la même histoire. On les envoya promener. Et chaque fois, elles rebroussèrent chemin.

Il était tard. Elles étaient fatiguées, affamées, avaient à peine la force de marcher. Elles arrivèrent à une grande et vieille demeure recouverte de lierre, un peu à l'écart de la route, dont l'entrée était éclairée par un réverbère. Elles n'osèrent pas frapper à la porte. Devant la maison, elles aperçurent une grande niche. Elles rampèrent à l'intérieur. C'était propre et il y faisait chaud. L'odeur de chien était réconfortante. Il y avait une écuelle remplie d'eau et un vieil os. Elles lapèrent un peu d'eau, l'une après l'autre. La fillette avait peur que le chien ne revienne et les morde. Elle le dit tout bas à Rachel. Mais celle-ci dormait déjà, recroquevillée comme un petit animal. La fillette contempla son visage épuisé, ses joues creuses et ses yeux cernés. Rachel avait l'air d'une vieille femme.

Elle ne dormit que d'un œil, serrée contre Rachel et fit un étrange et horrible cauchemar. Elle rêva que son petit frère était mort dans le placard, que ses parents étaient frappés par la police. Elle poussa des gémissements dans son sommeil.

Des aboiements furieux la réveillèrent en sursaut. Elle secoua brutalement Rachel. Puis elles entendirent une voix d'homme et des pas qui approchaient. Le gravier crissait. Il était trop tard pour s'échapper. Elles n'avaient plus qu'à attendre qu'on les découvre en se serrant désespérément l'une contre l'autre. Nous sommes fichues, pensa la fillette. On va nous tuer.

Le maître retenait son chien. La fillette sentit une main fouiller à l'intérieur de la niche puis lui attraper le bras et celui de Rachel. Elles furent tirées à l'extérieur.

L'homme était petit, rabougri, chauve. Il portait une moustache argentée.

« Regardez-moi ce que nous avons ici ! » murmura-t-il en les observant dans la lumière du réverbère.

La fillette sentit Rachel se raidir, comprit qu'elle était prête à partir en courant à la première occasion.

« Etes-vous perdues ? » demanda le vieil homme. Il semblait inquiet.

Les filles étaient très étonnées. Elles s'attendaient à des menaces, des injures, à tout sauf à de la gentillesse.

« S'il vous plaît, monsieur, nous avons très faim », dit Rachel.

L'homme opina.

« Je vois ça. »

Il fit taire son chien. Puis il ajouta :

« Entrez, les enfants. Suivez-moi. »

Aucune des deux fillettes ne bougea. Pouvaient-elles faire confiance à ce vieil homme ?

« Personne ne vous fera de mal », dit-il.