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Il resta à les observer un moment, puis il referma brutalement la fenêtre.

« Je vous en prie, il fait si chaud ici », dit la mère.

L'homme sourit. La fillette se dit qu'elle n'avait jamais vu d'aussi laid sourire.

« Nous préférons que les fenêtres soient fermées, madame, dit-il. Un peu plus tôt ce matin, une femme a jeté son enfant par la fenêtre avant de sauter elle-même. Nous ne voudrions pas que cela se reproduise. »

La mère ne dit rien, frappée d'horreur. La fillette fixa l'homme, avec de la haine dans le regard. Elle détestait chaque centimètre de sa personne. Elle maudissait son visage coloré, sa bouche humide, son œil morne et froid. Elle maudissait la façon dont il se tenait, les jambes écartées, son chapeau de feutre rejeté en arrière, ses mains grasses croisées dans le dos.

Elle le haïssait de toute la force de sa volonté, comme elle n'avait jamais haï dans sa vie, plus qu'elle n'avait haï cet affreux garçon de l'école, ce Daniel qui lui avait murmuré des choses horribles, dans un demi-souffle, des choses atroces au sujet de l'accent de son père et de sa mère.

Elle tendit l'oreille à la fouille minutieuse du policier. Il ne trouverait pas le petit frère. Le placard était trop savamment dissimulé. Le garçonnet était à l'abri. Ils ne le trouveraient jamais. Jamais.

Le policier revint. Il haussa les épaules en secouant la tête.

« Il n'y a personne », dit-il.

L'homme à l'imperméable poussa la mère vers la porte. Il demanda les clefs de l'appartement. Elle les lui tendit, en silence. Ils descendirent l'escalier, les uns derrière les autres, ralentis par le poids des sacs et des paquets que la mère portait. La fillette pensait à toute allure : comment donnerait-elle la clef à son père ? Où pourrait-elle la laisser ? À la concierge ? Serait-elle réveillée à cette heure ?

Bizarrement, celle-ci était déjà debout et attendait derrière la porte de sa loge. La fillette remarqua qu'elle avait une drôle d'expression sur le visage, une sorte de jubilation malveillante. Qu'est-ce que ça voulait dire ? se demanda la petite. Pourquoi n'avait-elle regardé ni elle ni sa mère mais seulement les deux hommes, comme si elle ne voulait pas croiser leurs regards, comme si elle ne les avait jamais vues ? Pourtant, la mère avait toujours été aimable avec cette femme, elle s'était occupée de son bébé de temps en temps, la petite Suzanne, qui pleurait souvent parce qu'elle avait mal au ventre. Oui, sa mère avait été tellement patiente, avait chanté des chansons à Suzanne dans sa langue natale, sans se lasser, et le nourrisson avait aimé cela et s'était endormi paisiblement.

« Savez-vous où sont le père et le fils ? », demanda le policier en lui remettant les clefs de l'appartement.

La concierge haussa les épaules. Elle ne regardait toujours pas la fillette et sa mère. Elle mit rapidement les clefs dans sa poche, avec une avidité que la petite détesta.

« Non, dit-elle au policier. Le mari, je ne l'ai pas beaucoup vu ces derniers temps. Peut-être qu'il se cache. Avec le garçon. Vous devriez regarder dans les caves ou les chambres de service du dernier étage. Je peux vous y conduire. »

Dans la loge, le bébé se mit à geindre. La concierge regarda par-dessus son épaule.

« Nous n'avons pas le temps, dit l'homme à l'imperméable. Nous devons y aller. Nous reviendrons plus tard s'il le faut. »

La concierge alla chercher son bébé et revint en le portant contre sa poitrine. Elle dit qu'elle savait qu'il y avait d'autres familles dans l'immeuble d'à côté. Elle prononça leurs noms avec un air de dégoût – comme si elle disait un mot ordurier, pensa la fillette, un de ces gros mots qu'on n'était jamais censé prononcer.

Bertrand glissa enfin son téléphone dans sa poche et me prêta attention. Il me concéda l'un de ses irrésistibles sourires. Pourquoi ai-je un époux si désespérément attirant ? me demandai-je pour la énième fois. Lors de notre première rencontre, il y avait des années, à Courchevel, il était du genre jeune homme fluet. Désormais, à quarante-sept ans, plus imposant, plus fort, il transpirait la virilité à la française, une virilité mâtinée de classe. Il était comme du bon vin, vieillissant avec grâce et puissance, tandis que moi, j'étais convaincue d'avoir perdu ma jeunesse quelque part entre la Charles River et la Seine. La quarantaine ne m'avait rien apporté. Si les cheveux grisonnants et les rides semblaient exalter un peu plus la beauté de Bertrand, ces mêmes choses diminuaient la mienne, je n'avais aucun doute à ce sujet.

« Alors ? », dit-il en me gratifiant d'une main aux fesses insouciante et possessive, sans se préoccuper du regard de son associé ou de sa fille. « N'est-ce pas superbe ?

— Superbe, répéta Zoë. Antoine vient juste de nous dire qu'il fallait tout refaire. Ce qui veut dire qu'en toute probabilité, on ne pourra pas déménager avant un an. »

Bertrand éclata de rire. Un rire incroyablement communicatif, quelque part entre la hyène et le saxophone. C'était tout le problème avec mon mari. Ce charme enivrant dont, il adorait abuser. Je me demandais de qui il l'avait hérité. De ses parents, Colette et Édouard ? Follement intelligents, raffinés, cultivés, mais pas charmants. De ses sœurs, Cécile et Laure ? Bien élevées, brillantes, des manières parfaites, mais du genre à rire seulement par obligation. Ce ne pouvait donc lui venir que de Mamé. Mamé, la rebelle, la guerrière.

« Antoine est un indécrottable pessimiste, dit Bertrand en riant. Nous serons très vite dans les murs. Il y a certes beaucoup de travail, mais nous prendrons les meilleurs ouvriers. »

Nous le suivîmes dans le long couloir au parquet grinçant jusqu'aux chambres qui donnaient sur la rue.

« Il faut abattre ce mur, déclara Bertrand. Antoine acquiesça. Il faut rapprocher la cuisine sinon Miss Jarmond ne trouvera pas ça practical. »

Il avait dit pratique en anglais, en me jetant un coup d'œil racaille et en dessinant des guillemets dans l'air avec ses doigts.

« C'est un grand appartement, remarqua Antoine. Vraiment magnifique !

— Aujourd'hui, oui. Mais autrefois, c'était plus petit et bien plus humble, dit Bertrand. C'était une époque difficile pour mes grands-parents. Mon grand-père n'a bien gagné sa vie que dans les années soixante, c'est là qu'il a racheté l'appartement attenant et qu'il les a réunis.

— Alors, quand grand-père était enfant, il vivait dans cette petite partie ? dit Zoë.

— C'est cela, dit Bertrand. De là à là. C'était la chambre de ses parents, et lui dormait à cet endroit. C'était beaucoup plus petit. »

Antoine cogna en expert sur les murs.

« Oui, je sais à quoi tu penses, sourit Bertrand. Tu veux rassembler les deux chambres, c'est ça ?

— Exactement ! admit Antoine.

— C'est une bonne idée. Il faut y réfléchir un peu plus. Ce ne sera pas simple avec ce mur, je te montrerai plus tard. Mur porteur avec des tuyaux et tout un tas de machins à l'intérieur. Pas si facile qu'il n'y paraît. »