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J'avais eu quelques aventures depuis que nous étions ici. Rien de sérieux. Rien d'important. Zoë les appelait mes chevaliers servants, Charla, mes beaux, à la sudiste. Avant Neil, il y avait eu Peter. Peter avait une galerie d'art, une calvitie au sommet du crâne qui l'ennuyait beaucoup et un loft glacial à Tribeca. Tous étaient des Américains d'âge mûr, assez typiquement ennuyeux. Polis, honnêtes et méticuleux. Ils avaient de bons jobs, une bonne éducation, étaient cultivés et la plupart du temps divorcés. Ils venaient me chercher, me déposaient, m'offraient leur bras ou leur parapluie. Ils m'emmenaient déjeuner au Met, au Moma, à l'Opéra, au New York City Ballet, voir des spectacles sur Broadway, dîner… Et dans leur lit parfois. Je me laissais faire sans envie. Le sexe n'était plus pour moi qu'un passage obligé. Un acte mécanique et ennuyeux. Dans ce domaine aussi, quelque chose avait disparu. La passion. L'excitation. La chaleur. Disparues et envolées.

J'avais la sensation que quelqu'un – moi ? – passait le film de ma vie en accéléré. J'étais un Charlie Chaplin de théâtre de marionnettes, qui faisait tout à un drôle de rythme précipité, comme si agir autrement m'était impossible. J'arborais le sourire imperturbable de la fille contente de sa nouvelle vie. Parfois, Charla m'observait en douce et disait : « Eh, tout va bien ? » Ma réponse était toujours la même : « Oh, oui, bien sûr, tout va bien. » Charla n'avait pas l'air convaincue, mais elle laissait tomber pendant un moment. Ma mère faisait la même chose, cherchant je ne sais quoi dans mon visage quand elle me demandait, avec une moue inquiète : « Tout va bien, ma chérie ? »

Je chassais mes angoisses avec un sourire insouciant.

Un beau matin frais comme il n'y en a qu'à New York. Un air vif et un ciel bleu sans nuage. La ligne des gratte-ciel surplombant la cime des arbres. La masse claire du Dakota, en face de nous, devant lequel John Lennon avait trouvé la mort. L'odeur de hot-dogs et de bretzels portée par la brise.

Je caressai le genou de Neil, les yeux fermés. La chaleur du soleil augmentait peu à peu. New York et son terrible climat contrasté. Des étés de plomb. Des hivers de glace. Et la lumière tombant sur la ville, dure, éclatante, argentée, lumière que j'avais appris à aimer. Paris, sa grisaille et son crachin, me paraissait un autre monde.

J'ouvris les yeux sur mes filles en train de sautiller. Zoë semblait être devenue adolescente en une nuit. C'était désormais une jeune fille qu'on remarquait. Elle était aussi grande que moi. Sa silhouette était élancée et musclée. Elle ressemblait à Charla et à Bertrand, elle avait hérité de leur classe naturelle, de leur allure, de leur pouvoir de séduction, et ce mélange puissant et flamboyant de Jarmond et de Tézac me ravissait.

La petite, c'était autre chose. Plus douce, plus ronde, plus fragile. Elle avait besoin de câlins, de baisers, de tout un tas d'attentions que Zoë ne réclamait pas à son âge. Était-ce à cause de l'absence de son père ? À cause de ce départ pour New York peu après sa naissance ? Je l'ignorais et ne cherchais pas vraiment de réponses à ces questions.

Après tant d'années passées à Paris, ce retour aux États-Unis avait été singulier. Et l'était encore, parfois. Je ne me sentais pas tout à fait chez moi. Je me demandais combien de temps cela prendrait. Mais je l'avais fait, j'étais partie. Ça n'avait pas été une décision facile.

Le bébé était né deux mois avant terme, juste après Noël, dans la panique et la douleur. Aux urgences de Saint-Vincent-de-Paul, j'eus droit à une césarienne géante. Bertrand était là, tendu et ému malgré lui. Une petite fille parfaite. Avait-il été déçu ? Moi, je ne l'étais pas. Cette enfant était si importante pour moi. Je m'étais battue pour elle. Je n'avais pas baissé les bras. Elle était ma victoire.

Peu après la naissance et juste avant d'emménager rue de Saintonge, Bertrand prit son courage à deux mains pour m'avouer, enfin, qu'il aimait Amélie et voulait vivre avec elle dans son appartement du Trocadéro. Il déclara qu'il ne voulait plus mentir, ni à moi ni à Zoë, qu'il faudrait divorcer, que cela serait simple et rapide. C'est à ce moment-là, en l'écoutant s'emmêler dans son interminable confession, alors qu'il faisait les cent pas les mains derrière le dos, les yeux rivés sur le plancher, que pour la première fois, l'idée de retourner en Amérique m'était venue. J'écoutai Bertrand jusqu'au bout. Il avait l'air lessivé, vidé, mais c'était fait. Il s'était montré honnête avec moi, enfin. Avec lui-même aussi. J'avais alors regardé mon sensuel et bel époux et l'avais remercié. Il eut l'air surpris. Il s'attendait à une réaction plus violente ou plus amère. Des cris, des insultes, des histoires à n'en plus finir. Le bébé, que je tenais dans mes bras, avait gémi en agitant ses petits poings.

« Il n'y aura pas de dispute. Je ne crierai pas. Je ne t'insulterai pas. Ça te va ?

— Ça me va », dit-il. Puis il nous embrassa, le bébé et moi.

Il se comportait comme s'il était déjà sorti de ma vie, comme s'il avait déjà quitté la maison.

Cette nuit-là, chaque fois que je me levai pour nourrir mon insatiable bébé, je pensais à l'Amérique. Boston ? Non, je détestais l'idée de revenir dans le passé, dans la ville de mon enfance.

Puis j'eus le déclic.

New York. Zoë, le bébé et moi pourrions nous installer à New York. Charla y habitait et mes parents ne vivaient pas très loin. New York. Pourquoi pas ? Je ne connaissais pas bien cette ville, après tout, je n'y avais jamais vraiment vécu, si ce n'était pendant mes courtes visites à ma sœur.

New York. Peut-être la seule ville qui pouvait rivaliser avec Paris, justement parce qu'elle en était radicalement différente. Plus j'y pensais, plus l'idée se concrétisait en moi. Je n'en parlai cependant pas à mes amis. Je savais qu'Hervé, Christophe, Guillaume, Susannah, Holly, Jan et Isabelle n'aimeraient pas l'idée de me voir partir. Mais je savais aussi qu'ils le comprendraient et l'accepteraient.

Puis Mamé était morte. Son agonie avait été longue, depuis son attaque de novembre. Elle n'avait plus jamais été capable de parler, bien qu'elle soit revenue à la conscience. On l'avait déplacée dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital Cochin. Je m'attendais à l'imminence de sa mort et croyais y être préparée, mais ce fut un choc.

Après les funérailles dans le triste petit cimetière de Bourgogne, Zoë vint me dire :

« Maman, faut-il vraiment aller vivre rue de Saintonge ?

— Je pense que c'est ce que souhaite ton père.

— Mais toi, est-ce que tu veux aller vivre là-bas ?

— Non, répondis-je en toute sincérité. Pas depuis que je sais ce qui s'y est passé.

— Moi non plus. »

Puis elle ajouta :

« Mais où allons-nous habiter alors ? »

Ma réponse fut légère, amusée, joyeuse. Je m'attendais tant à ce que Zoë ne soit pas d'accord.

« Eh bien, que dirais-tu de New York ? »

C'était passé comme une lettre à la poste avec Zoë. Ce fut une autre histoire avec Bertrand, que notre décision ne réjouissait pas. Il n'aimait pas l'idée que sa fille vive si loin de lui. Mais Zoë lui rétorqua fermement que sa décision était prise. Elle lui promit de rentrer tous les deux mois pour le voir, ajoutant que s'il le désirait, il pouvait prendre l'avion pour venir lui rendre visite, ainsi qu'au bébé. J'expliquai à Bertrand que rien n'était encore sûr, que ce déménagement n'était pas définitif. Que ce n'était pas « pour toujours ». Juste pour quelques années, une ou deux, pas plus. Le temps que Zoë intègre son côté américain. Le temps que je me remette, que je puisse envisager de redémarrer une vie nouvelle. Il habitait désormais chez Amélie. Ensemble, ils formaient ce que l'on appelle un couple officiel. Les enfants d'Amélie étaient presque des adultes et ne vivaient plus sous le toit de leur mère ou faisaient des séjours réguliers chez leur père. Était-ce la perspective de pouvoir vivre sa nouvelle vie sans la responsabilité quotidienne d'aucun enfant ? Toujours est-il qu'il finit par accepter. Les préparatifs de notre départ pouvaient commencer.