Un peu moudu, le gars, non ? Le côté croûte au fromage. Ça me rappelle un de mes potes qui s’était embroqué une grosse tourte à la suite d’un bal de quartier. Elle l’avait suivi docilement à l’hôtel et s’était décarpillée sans objecter. Mon copain s’escrimait sur ce trésor sans parvenir à seulement mobiliser l’attention de la fille. Au bout d’une plombe qu’il lui démantelait la moulasse, excédé, fou de rage, il lui a demandé d’une voix glaciale : « À propos, mon chou, tu sais que je te b… ? » Pour le fils unique de Félicie, c’est presque du kif au même ! « Vous savez que je viens de vous kidnapper ? »
Pearl hoche la tête.
— Je m’en suis aperçue, my dear.
« Sy » dear en frôle la syncope plombée.
— Quel effet cela vous fait-il ?
La ravissante souris me file une œillade provocante :
— Je trouve ça passionnant.
— Vous n’avez pas peur ?
— Pourquoi aurais-je peur ?
Je vous le demande ! L’arrivée du père Léveillé m’évite de prolonger mon éberluement. Il se frotte les paluches.
— Ah bon, vous avez fait la connaissance de Doudine, ma gouvernante.
Il file une claque sur le gros dargeot de canard de la coloured-madame.
— Vous verrez, c’est une brave fille. Et comme cordon bleu, elle bat tous les records.
Il ne précise pas lesquels.
— Vous avez le téléphone ! noté-je en montrant l’appareil.
— Grâce à Walton, c’est lui qui a voulu et s’est chargé des formalités. Il tient à pouvoir me joindre à tout moment.
— Vous me permettez de l’utiliser ?
— Il est à votre disposition, mon ami.
— C’est que je voudrais appeler Paris.
— Faites, faites, les notes sont prélevées directement sur le compte de Walton, vous vous arrangerez avec lui.
Vous parlez si je me grouille de carillonner le Vieux. J’en ai épais à lui raconter, au Tondu. Du neuf, du croustillant, de l’incroyable.
— Il y a des magasins dans l’île ?
— Oui, mais tout dépend de ce que vous voulez acheter. Si vous désirez une Jaguar ou une cape de vison blanc, ça m’étonnerait que vous les trouviez à Bimini. Par contre, pour du pétrole, des sandales de corde et du lard fumé, allez à l’épicerie du vieux Boris. C’est un Russe noir très sympa. Il est né dans l’île d’un Russe blanc et d’une négresse.
— Nous aimerions seulement trouver des vêtements pour cette jeune fille, dis-je. Il fait bon, ici, mais elle ne peut cependant pas passer sa vie en maillot de bain.
Là-dessus le bignou fait tilt. Paris, déjà ! La blague du téléphone est de plus en plus valable : Paris, on l’obtient toujours rapidos lorsqu’on le demande d’un autre continent. Y a que de Paris qu’il est inaccessible. On vit dans un monde qui s’encombre de toutes parts. Devient compact. Se solidifie. Les routes, les champs, l’espace aérien se saturent de chignoles, de moches buildinges et de zavions. Les cerveaux aussi sont encombrés ! D’idées mal reçues, calibrées, fignolées.
Autrefois, l’éducation des masses se faisait à travers le catalogue de la Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Étienne, on pouvait rêver. Depuis, est arrivée la bande (de con) dessinée, la téloche en chaînes, la publicité. On gave le caberlot du bon monde. On tasse pour que ça rentre tout bien. On est devenu des clébards savants auxquels on fait porter leur laisse. On enchevêtre de la coiffe. On débloque délibérément. On se préoccupe plus. On laisse quimper. On non-sense en couronne. Pourquoi c’est pas monseigneur Makarios qui fait de la pope-musique ? Pourquoi existe-t-il des fouets à champagne destinés à chasser les bulles qu’on a eu tant de mal à foutre dedans ?
Je vous emmaverdave avec mes questions abruptes ? Vous tracasse ? Tant mieux. C’est pas fini. Dans mes polards je suis inexpugnable. C’est mon tas de fumier où je juche pour cocoricoter à vous en fendiller les tympans. Faut pas craindre. Je passe du coq à vous. N’importe la logique ou la chronologique. Je suis votre juge de pets. Le soupirail de votre conscience. Le monsieur complaisant qu’appuie sur le bitougnot de votre Kodak, réglé par vous, pour vous rendre le menu service de vous flasher en position conne avec vos airs cons d’apparat !
Mon ambition secrète serait de créer la profession de gifleur. Gifleur diplômé de l’État. Flanqueur de beignes patenté. Un apostolat, pour moi. Je déambulerais de par la vie, avec un gantelet de cuir pour me préserver les paumes. J’entends une connerie ? Vlan, un chtard dans le museau du débloqueur. J’aperçois un ahuri qui simagrée en dansant, je lui interromps le couple, et plaof, il déguste sa mornifle. Un enfoiré qui crie Vive Machin ? Une baffe ! Tout ça pas méchamment, oh non. Pas vengeur non plus. Sanctionneur seulement ! Simple question de mise au point. J’abuserais pas, juré ! J’appuierais pas mes tartes non plus. Je tricherais pas pour coincer la clientèle. J’imiterais pas les motards vicelards qui s’embusquent dans un discret virage pour piéger les dédaigneurs de ligne jaune. Vous me verriez jamais devant chez Carita, à guigner la sortie des vieilles morues à toutou qui houspillent leurs chauffeurs de si dégueulasse manière que je voudrais empaler leur cul flasque sur la mascotte de leur Rolls. Correct ! Conscience professionnelle garantie !
Je serais gifleur comme on est donneur de sang. Je constituerais des équipes, des brigades de gifleurs assermentés. On développerait la corporation. On irait gifler à domicile. Gifler les parents qui giflent ou qui connifient leurs chérubins par contamination spontanée. On giflerait les gardiens de la paix qu’aboieraient après des pauvres tomobilistes. On giflerait les tomobilistes invectiveurs. On giflerait à la tévé, en cours de démissions. On irait gifler au Palais-Bourbon pour réveiller les endormis. On créerait des services motorisés pour gifler les populations reculées. Nos camions stopperaient sur les champs de foire, et les gens feraient la queue pour venir se faire gifler. On mettrait des chicanes, afin d’éviter les bousculades. On fonderait une banque de la gifle. Des carnets de gifle d’épargne. On instituerait la prime-gifle. À cent gifles t’aurais droit à un coup de pompe dans les miches. Moi, vous connaissez mes dons de visionnaire, hein ? Eh ben je vous le dis : l’avenir est à la gifle organisée. Dieu fasse que la France qui a tant éclairé le monde, soit le premier État-gifleur. Amen !
— C’est vous, mon garçon ?
Comment il a fait pour me retapisser sans que j’eusse moufté autre chose qu’un « Allô » évasif ?
— Oui, patron.
— Alors ?
— Mission remplie !
Il égosille un « pas possible » plus triomphant que « Sambre et Meuse » interprété par les chœurs de l’Armée Rouge.
— Nous sommes à Bimini, dans l’archipel des Bahamas.
— Il n’y a pas eu de casse ?
Je fais cette riposte saugrenue :
— Pas assez !
Il ponctue d’un silence constellé de points d’exclamation et d’interrogation alternés. Alors je lui explique tout. La facilité de l’opération. Le motus de la radio. La façon plaisante dont Pearl Farragus accepte son sort.
Pendant que je parle, elle est là qui m’observe. Je me suis assuré auparavant qu’elle ne comprenait pas le français. Elle ne connaît que quelques mots de notre langue, et encore faut entendre comment elle les prononce : Champs-Élysées, Christian Dior, Traveller-chèque, constituent tout son bagage linguistique, en dehors de l’américain (lequel ne pisse pas loin).
— Effectivement voilà qui est troublant, admet le Rasibus du Promontoire. Vous voyez une explication à la chose, vous ?
— Une seule, monsieur le directeur. Je suppose que le camarade Neptuno s’est refusé à alerter la police dans le but, vraisemblablement, d’épargner sa fille en n’affolant pas les kidnappeurs. Il doit attendre qu’on lui réclame la rançon.