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— Probablement, oui, convient le vitrifié du dessus. Eh bien, mon cher ami, il va falloir que vous alliez la lui demander. Vous connaissez notre prix, n’est-ce pas ?

Le combiné m’en choit !

Eh quoi ! Je dois me charger AUSSI des transactions ? Voilà qui n’avait point été précisé au départ. Décidément elle me prend vraiment pour son homme-à-tout-faire, la Calotte glaciaire ! Ce front, Madame !

Le Vioque a senti mon abasourdissement car il demande, doucereux comme une pâtisserie orientale :

— La chose vous paraît impossible, San-Antonio ?

— Impossible, non… Mais dangereuse ! brenouille[4] l’éminent interpellé, duquel on ne dira jamais assez tout le bien que j’en pense.

— Eh oui, mon petit, dangereuse, renchérit le père Achille, donc faite sur mesure pour vous. Laissez votre pensionnaire à la garde d’un de vos adjoints et foncez à l’assaut de cette ordure. Je compte sur votre habileté, votre fermeté, votre clairvoyance, votre énergie, votre…

Je suis une nature perméable, dans le fond. On me possède toujours lorsqu’on y met la quantité de salive suffisante. Quand c’est pas à la flatterie, c’est à la fatigue.

— Bon, bon, je vais essayer de mener à bien les transactions, monsieur le directeur.

Et j’ajoute machinalement :

— Comptez sur moi !

Je raccroche.

Béru et Pinuche qui attendent la fin de la communication me grèvent d’un double regard hostile.

— Je n’ose comprendre, brebise le bêlant.

— Hélas, fais-je.

« Il » t’a demandé d’aller négocier l’affaire ?

— Exactement.

— On croit rêver ! Mais il veut donc absolument notre peau !

Béru s’appuie des deux pognes à la table. Il ressemble à un canon sur le point de tirer un coup.

— Et t’as accepté ? bovine l’Énorme.

— Ben, le moyen de faire autrement ?

— Après ce qu’on vient de réaliser ! Dans le bain de mouscaille où qu’on marine ! Tricards du haut en bas comme on est, t’as accepté !

— C’est notre chef, tu parais l’oublier.

— Chef ou pas chef fallait l’espédier sur les roses crémières ! Il m’eusse demandé ça à moi, aussi sec je l’aurais répondu : « Non môssieur ! » Et ce serait été le ministre de l’intérieur qui me l’aurait ordonné, je l’aurais également répondu : « Non, môssieur, pas question ! » Et même la Sainte Vierge m’aurait apparu espécialement pour m’enjoindre cette mission dingue, je lui aurais pareillement répondu : « Non, môssieur, n’y comptez pas ! »

CHAPITRE VI

Il y a quèque chose, chez Pearl, que j’arrive pas à m’expliquer, pour tout vous dire. Comme si cette frangine avait un petit coin de son ciboulot branché sur l’alternatif.

Je sais bien que le fait que nous nous exprimions tous dans une langue qui lui est étrangère l’isole fatalement ; pourtant, je sens chez cette fille un obscur égarement. Un peu comme si elle était chlass ou camée. Pourtant nous venons de passer une tripotée d’heures ensemble et elle n’a pu se charger dans l’intervalle, vu qu’à part son coquinet maillot de bain deux-pièces, elle ne possède rien d’autre.

Le soir se ramasse au-dessus de Bimini lorsqu’on quitte les grands magasins du Russe noir Boris. Ceux-ci mesurent quatre mètres de long sur trois de large. Ils sentent la boîte de sardines, le bidon d’essence, le coutil frais et la morue salée. On a pu dégauchir un blue-jean trop large pour la môme, un maillot rayé et des sandales de toile. L’ensemble lui donne un côté tropézienne assez amusant. On déambule dans l’unique rue du village. Un bureau de poste au fronton duquel pendouille le drapeau britiche, des maisons basses en queue leu leu, avec des gens de couleur qui prennent le frais sur leur seuil…

Les jardins des maisonnettes sont luxuriants et débordent dans la rue tortueuse. À partir d’un certain moment cette voie s’élargit, devient une espèce d’avenue bordée de cocotiers, au sol jonché de noix de coco éclatées dans leur cangue verte. Sur la gauche, il y a le petit port, avec quelques barlus dorlotés par la houle. Puis c’est le bureau des douanes avec des douaniers noirpiots à mines renfrognées. Une esplanade où les deux ou trois bagnoles de l’île carrossées de la même poussière blanche perdent gentiment l’huile de leurs carters.

Quelques personnages palabrent autour d’un kiosque à boissons. De ces traîne-lattes comme on en rencontre dans tous les ports du monde, mi-marins mi-aventuriers, qui abordèrent ici pour la journée, y restèrent vingt ans et qui en repartiront aussi brusquement un beau matin, à l’orée de la vieillesse… Des gars à casquettes éculées, aux épaules voûtées par un mystérieux accablement. Des types plus ou moins blancs, plus ou moins noirs, des rouquins grisonnants, des édentés qui se retiennent de sourire depuis l’effeuillage de leurs gencives et qui ont à présent des bouches de lézard grincheux. Ils parlent mornement dans un anglais qui n’est pas du bon anglais.

On les dépasse. Je tiens Pearl par le cou, gentiment. Ceux de par ici doivent nous prendre pour un couple d’amoureux en balade, encore que Bimini ne soit pas un lieu de villégiature. Ici, le tourisme clopine. Bimini, c’est à peine une escale. Tout juste un but de balade pour les gens de Floride qui veulent se dépayser l’espace d’une journée. Y a un service d’hydravion depuis Miami. Une heure de vol à peine.

Un seul hôtel. Le « Beach  ». Crépi dans les tons ocre, il doit son nom à la piscine autour de laquelle il aligne ses bungalows moroses.

On se dirige vers cette dernière. L’établissement a un petit air d’abandon, de décrépitude imminente. Des algues inquiétantes ondulent dans l’eau trouble à la surface de laquelle flottent d’énormes insectes morts tandis que d’autres, bien vivants, se jettent à notre rencontre.

Un vieux type au ventre énorme, plus velu qu’un gorille, boit de l’alcool, enfoui dans un fauteuil d’osier démantelé. Excepté lui, personne !

On entend le brouhaha indécis d’une émission de télévision. Je drive Pearl vers la porte grande ouverte d’une salle de restaurant immense et vide. Ça ressemble à l’un de ces locaux de la banlieue parisienne où se succèdent des noces ternes et sans véritable joie. Sur le côté, il y a un long comptoir désespérant, avec des glaces piquées, des flacons vides, des fanions improbables. Le téléviseur marche dans la pénombre pour les tables désertes. Il diffuse un programme américain, en couleurs brutales.

On se perche sur des tabourets couverts d’une moleskine poisseuse. La barre de bois qui longe le rade est gluante également. Mais ça doit provenir de l’humidité.

— Hello ! appelé-je.

Ma voix vibre comme un craquement de prie-Dieu dans une cathédrale.

Je perçois un soupir, un froissement, et puis un jeune Noir qui pionçait derrière le comptoir se lève mornement. Il a l’air mauvais, ses yeux exorbités nous éclaboussent d’un indicible mépris.

— Deux whiskies ! commandé-je.

— Pas pour moi, fait Pearl, je n’aime pas l’alcool.

Elle se farcit un Coca tiède. Le serveur nous sert et va se blottir sur une chaise dans le coin le plus éloigné du bar.

— Pas très joyeux, tout ça, hein ? fais-je à la fille Farragus.

Elle hausse les épaules.

— Non, mais c’est intéressant.

Le moment est peut-être venu de bavarder sérieusement avec elle, non ? Elle doit pouvoir me rencarder utilement au sujet de son vieux. Faut que je réunisse le plus de tuyaux possible sur le roi de l’aéronautique. Je dois tout connaître de la vie privée de ce zig pour savoir par quel bout l’attraper sans me brûler les doigts.

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4

Oui, j’ai bien écrit « brenouille » et non pas « bredouille ». Ça me regarde, non ?