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Elle acquiesce.

— Naturellement.

Bon, alors que je le veuille ou pas, y a comme un brin de sortilège dans tout ça, les aminches. Si c’est bien Pearl que j’ai kidnappée, Mme Farragus n’a pu lui parler au fil hier soir en appelant Miami Beach, vu que la môme se trouvait aux Bahamas.

Vous me suivez ? Conclusion, la deuxième épouse du roi de l’aéronautique me chambre quand elle m’assure avoir parlé à sa belle-fille la veille. Pourtant elle a l’air sincère…

— Écoutez, chère madame, déclaré-je, je suis de plus en plus convaincu qu’une conversation avec votre mari s’impose, pouvez-vous me l’obtenir ?

Elle marque un léger temps, puis se lève et dépose le greffier-roupilleur sur le canapé.

— Je vais l’appeler, dit-elle.

— Vous avez donc la possibilité de le joindre ?

Elle me décoche un petit sourire fripon.

— En fait, Neptuno n’est pas en voyage mais à son bureau, nous prenons toujours la précaution de dire qu’il est parti lorsque quelqu’un désire le rencontrer, il est tellement harcelé, le pauvre. Il lui faudrait des journées de quarante-huit heures. Ah, monsieur, pour un businessman, la vie de famille est un rêve irréalisable. Je vous demande quelques minutes…

Elle sort.

J’hésite à allumer un cigare. Il y en a plein un coffret de palissandre, à couvercle de verre, devant moi. Des barreaux de chaise plus mastars que des bâtons d’agent. Ces habanas me fascinent. Tout de même ce ne serait pas très diplomate de taper dans le tas. On me prendrait pour un voltigeur[6].

J’attends en regardant pioncer le matou. De la bestiole de luxe. Vous trouvez pas dégueulasse, vous z’autres, que la richesse s’étale jusqu’à des signes vivants ? Qu’on fabrique des animaux pour des gens pleins aux as ? Qu’on bricole la nature de manière à modifier des espèces ? Qu’on bute les dernières panthères de Somalie ; qu’on massacre les gentils crocodiles ; qu’on estropie des clébards, les croise et les décroise afin d’obtenir d’aimables monstres sans pattes ou presque et sans museau ! Moi, j’ai honte.

Ils plongent dans la terre pour en extirper les cailloux rares. Ils éventrent les esturgeons pour leur prélever les œufs. Ils gavent les oies. J’ai honte. Honte de nous tous éperdus de jouissance. Sales connards avides de ce que ne peuvent avoir les autres. Y a des moments, je nous maudis.

Mme Farragus tarde à revenir.

C’est bon ou mauvais ?

Mon pauvre San-A., va ! Te voilà embringué dans une drôle de béchamel ! Dites, sérieusement, pendant qu’on est seuls, répondez-moi ; vous avez déjà eu vent d’une affaire pareille, vous autres ? Tu kidnappes une frangine pour faire rendre gorge à son vieux. Premier temps. T’apprends que la pauvrette est positivement mourante, alors tu précipites la demande de rançon. Deuxième temps. Tu carillonnes chez les dabes et, au lieu de découvrir des gens prostrés, on t’assure que tout va bien merci ! Sur quel panard tu gambilles, dans ce cas, San-A. ? Faudrait lui demander, au vieux malin qui tire les ficelles, tout là-bas depuis son burlingue parisien. Des fois que, mine de rien, il prépare ton inscription au festival de la magie, chez Coquatriste ?

La madame réapparaît enfin. Elle s’est changée et porte un délicat tailleur de toile, dans les tons saumon.

— Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre. Venez, mon mari nous attend.

Je me passerais volontiers de son convoyage, vu que les discussions entre hommes sont les plus positives, mais enfin l’essentiel est de rencontrer Neptuno, vous êtes parfaitement d’accord ?

On sort dans l’éblouissante lumière. Des jets d’eau tournicotent au-dessus de la pelouse[7]. Une Rolls blanche, décapotable, nous attend devant le perron. Un chauffeur noir en livrée blanche à col bleu (j’oubliais de vous préciser que la garniture intérieure de la tomobile est faite de cuir bleu) nous tient la porte ouverte.

— C’est que j’ai ma voiture, objecté-je, je vais vous suivre, si vous le permettez.

— Mais non, je vous ramènerai ! dit Mme Farragus d’un ton sans réplique.

Elle prend place dans son carrosse. Je l’y rejoins. La Rolls démarre. Ses gros boudins chuchotent sur l’asphalte rose des allées.

Nous passons devant ma bagnole. Je suis surpris de ne pas apercevoir Béru à l’intérieur.

Mais il fait tellement soif dans ce pays !

CHAPITRE VIII

L’usine Farragus, c’est des rues, des blocs de vingt-cinq z’étages en verre teinté, des carrefours avec des feux de signalisation, des squares pourvus de bancs chargés d’affirmer à l’employé que le repos existe pour qui le mérite, des places, des restaurants, des superbes-marquettes, des voies ferrées, des autoroutes, des tours de contrôle, des trolleybus, des businessmen, des menpowers, et des powerless.

L’ensemble constitue davantage qu’un quartier : une ville. Du reste, cela se nomme Farragus City.

Au cœur de cet état s’élève un buildinge plus mieux beau que les autres. Avec de la verdure autour et par-dessus. En marbre blanc délicatement veiné de rose. Les vitrages sont rosés également. Le tout fait songer à une merveilleuse pâtisserie. Ce qui frappe, c’est le silence, l’efficacité, la mécanisation de cette ville-usine. Personne ne se presse, mais tout le monde est en place et agit opportunément. Ça fait songer à des rouages bien réglés.

La machine tourne rond et sans bruit, comme le moteur de la Rolls.

On stoppe devant l’entrée du grand immeuble d’apparat. Une volée de marches mobiles, recouvertes d’un faux vrai tapis synthétique, nous hisse jusqu’à un hall immense, frais, pénombreux, délicat. Des tableaux sur les murs. D’immenses fresques modernes à la gloire de Neptuno Farragus. Elles le représentent tout chiare, dans les rues de Napoli, en train de confectionner des avions de papier. Puis dans les faubourgs de Nouille-York où le futur milliardaire joue avec un pigeon apprivoisé. Ensuite, c’est la plage de Miami où Neptuno, grandi, mais encore adolescent, vend des cerfs-volants… Sa devise rutile en lettres d’or massif ; je vous la cite de mémoire : « Autant en supporte le vent. »

Je ne peux admirer la suite car Mme Farragus m’entraîne à la sienne vers les ascenseurs. On pénètre dans une large cabine d’acier rose où des haut-parleurs invisibles diffusent la Quatrième Symphonique Pneumonique de Francisco Lopez pour flûtes et râteaux. Juste qu’on est dedans, la lourde se ferme et se rouvre. J’en crois pas mes châsses : nous v’là au terminus, mes frères.

La dame rit de mon étonnement.

— Neptuno en est très fier, dit-elle, c’est l’ascenseur le plus vite du monde, et le seul qui fonctionne en encéphalotechnie. Il suffit de penser à l’étage pour qu’il vous y monte.

Je la suis en pataugeant dans mes éberluements. Nous venons de débouler dans un merveilleux jardin tropical, plein de plantes rares et d’oiseaux de même nature (comme dirait Georges Gide, à moins que ce ne fût André Bernanos). Un enchantement. On pourrait y tourner le « Retour de Tarzan ». C’est immense, féerique.

Comme on se pointe devant une haie de palétuviers, cette dernière s’anéantit dans le sol et nous nous trouvons dans une pièce plus époustouflante que ce qui précède. Une boule de cristal ! Au milieu il y a un bureau archi-vachetement moderne, en plexiglas. Autour, quelques sièges également transparents. Seule chose opaque dans cette fabuleuse bulle : une secrétaire. Mais son opacité est réjouissante car avec une carrosserie pareille, il eût été dommage qu’elle fût transparente. La demoiselle est l’archétype de ce qui se fait de mieux comme nana aux States. J’ignore combien il a fallu de croisements pour obtenir ce magnifique produit de l’art contemporain, toujours est-il que le résultat est là.

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6

Je m’amuse, quoi !

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7

J’ai failli vous placer une tirade sur les perles d’eau irisées, mais je préfère me réserver pour une meilleure occasion car nous sommes pressés.