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Parfait, je poursuis, histoire de continuer. Dos à moi, se tient Neptuno. Un Chinois lui tend quelque chose. Il s’agit d’un masque. Un masque de Chinois ! Y a de la logique dans leurs simagrées, non ? Le milliardaire se file le masque sur la pipe.

— Il n’y a pas de danger ? demande-t-il.

— Aucun, assure le Chinetoque.

— Alors, allons-y.

De quoi veulent-ils parler, hein ?

Dites-le-moi, ça me rendrait service…

Vous ne savez pas ? Alors attendons, nous allons sûrement l’apprendre.

Le Chinois sort. Malgré la température élevée, Farragus relève le col de son veston gris et recule dans une zone d’ombre due à un grand panneau chargé d’éduquer les visiteurs.

Quelques minutes…

Que va-t-il se passer ?

Bon, ben si vous l’avez deviné, c’est pas la peine de le dire aux autres, bande de truffes ! Quels casse-cabanes vous faites, mes salingues ! Toujours à essayer de me scier les pieds de la chaise !

À l’autre extrémité du vivarium, la deuxième porte s’ouvre pour livrer passage à deux Jaunes encadrant Ann Farragus.

L’épouse du roi de l’aéronautique cligne des yeux à la vive lumière des lieux. Elle regarde. Voit où elle se trouve et a un brutal mouvement de recul.

— Non ! Non ! s’écrie-t-elle[34].

Les deux jaunes-gens[35] la poussent, sans brutalité mais assez inexorablement.

Elle se cabre.

— Je vous en prie, je ne peux supporter les reptiles. C’est physique…

L’idiote ! C’est bien sur sa phobie qu’ils comptent, ces petits malins, vous pensez… Comme quoi les femmes les plus intelligentes deviennent puériles lorsqu’elles ont peur.

Comme elle refuse d’avancer, le plus grand des deux gonzes (ou des deux bonzes, c’est à voir) la ceinture par-derrière et la soulève de terre pour l’emporter. Son acolyte ouvre la cage du boa. Mme Farragus pousse alors des cris d’orvet[36]. Elle a beau regimber, la voici dans la cage. Ces messieurs referment la porte à clé.

La malheureuse secoue la grille éperdument en glapissant plus fort que tous les renards, les chacals, les éperviers et les grues du zoo réunis.

— Vous venez de le réveiller ! déclare alors l’un des deux puérils jaunes. Il a le sommeil si léger.

Fectivement, le boa remue nettement, comme un mec qui s’arrache difficilement des toiles et qui cherche du bout (j’ai pas dit Dubout) du pied ses pantoufles sur la descente de bed.

La terreur d’Ann se fait muette. La trouille portée à son paroxysme devient silencieuse. Tenez, voyez un contribuable par exemple, la façon qu’il hurle lorsqu’il reçoit sa feuille jaune, et comme il se tait, brusquement, quand il se trouve en face de son contrôleur. Lui cause d’une voix blanche. On dirait une converse de confessionnal. « Pardonnez-moi, mon père, parce que j’ai beaucoup gagné. » Il a des petits rires pleutres, des mimiques amadoueuses, le gosier qui dérape… La cage thoracique qui ratatine.

Le deuxième Chinois, celui qui jusqu’alors semblait vouloir faire jaune et abstinence[37] s’approche de la chère madame. Elle lui tend une main désespérée de l’autre côté du grillage. Il feint d’ignorer ce geste pathétique.

— Madame Farragus, dit-il, vous avait fait kidnapper Pearl, votre belle-fille, n’est-ce pas ?

Le ton est doucereux. Très bas. Cordial.

— Oh, non ! Non ! Non ! Je jure que non ! répond Ann plus faiblement encore.

— Pourtant c’est vous qui avez introduit cet homme auprès de votre mari ?

— Parce que j’étais intriguée.

— C’est vous qui avez insisté pour aller avec lui à la « Résidence » !

— Je voulais savoir. Je sentais que quelque chose venait de s’y passer… Quand cet homme, ce San-Antonio est venu me parler, je l’ai cru.

Il y a un silence éperdu.

Le Chinois a un jaune sais quoi[38] de terrific. Son impassibilité, je suppose ?

— Je crois que vous n’êtes pas encore disposée à dire la vérité, madame Farragus, déclare-t-il. Nous nous verrons plus tard…

Ils repartent, lui et son ami. Et ces diaboliques coupent la lumière en sortant.

L’effet est saisissant, mes frères. Vous imaginez un peu le topo. Cette malheureuse folle de terreur dans la cage du boa. EN PLEINE OBSCURITE ! Elle ne perçoit que le glissement feutré, cloaqueux, de l’énorme reptile qui se déroule lentement.

Elle lance un cri terrible. Un cri annonciateur de la folie imminente qui la gagne.

— Noooooooon ! Revenez !

Ils sont psychologues, les Chinois[39]. Savent reconnaître l’instant propice ; la seconde clé. Intervenir opportunément, tout est là !

Ils rallument et s’avancent.

— Parlez, madame, fait l’homme aux yeux bridés.

— Je jure que je ne suis pour rien dans l’enlèvement de Pearl ! hoquette Ann.

Le zig a un claquement de doigt pareil à une brisure de branche morte. Son pote ressort.

Quelle va être la suite des événements, dites ? Elle ne peut rien avouer, la pauvre dame, puisqu’elle ne sait rien ! Puisque c’est le gars bibi le coupable. Ah ! que ne disposé-je d’une mitraillette, ou autre babiole de ce genre, histoire d’intimider ce joli monde et de libérer Mme Farragus.

Le deuxième Jaune revient. Il n’est pas seul. Maud, ma jolie petite camarade, l’accompagne. Elle est vêtue, cette fois. Elle porte un bermuda et un chemisier jaune, des chaussettes blanches… C’est vachement excitinge, la chaussette, quand c’est bien porté. Je connais des pédoques qui assistent à des matchs de football uniquement à cause des chaussettes des joueurs.

L’infirmière s’avance jusqu’à la cage d’une allure décidée.

— Maud ! lamente faiblement Mme Farragus. Oh ! Maud…

Mais Maud manque de compassion. Elle a ce visage faussement impénétrable des judas qui tentent de camoufler leur trahison en esprit justicier.

— Vous feriez mieux de tout dire ! jette-t-elle insolemment à sa patronne.

Dans la cage, le boa se déroule comme l’action dans un ouvrage de M. Robbe-Grillet : très lentement. À vrai dire il n’a pas l’air de se passionner pour Ann Farragus. Simplement, elle l’importune. Alors il cherche une position plus adéquate lui permettant d’oublier cette présence importune dans son domaine.

Le seul fait que le reptile remue met le comble à la frayeur d’Ann.

— Sortez-moi de là, je n’en peux plus ! supplie-t-elle. Quelle horreur, je vais mourir ! Vite !

— La vérité au sujet de Pearl ! fait le Chinois, en élevant un peu le thon[40].

— Je ne l’ai pas fait kidnapper !

— Nous allons éteindre et vous laisser ici jusqu’au matin, madame Farragus. Si vous êtes toujours vivante à ce moment-là, peut-être direz-vous la vérité !

— Non ! Écoutez… Je jure que je ne suis pour rien dans son enlèvement. Par contre je peux vous avouer quelque chose…

Jusqu’ici, j’étais au supplice, mes bons asticots. J’avais honte de ne pas intervenir pour stopper le martyr de cette femme. Mon silence la torturait. Je pouvais, en me manifestant, la délivrer. Et tout à coup, changement : elle me paraît autre ! À travers sa peur, je lui découvre un nouveau visage. Et cette figure qui m’est révélée n’a rien de commun avec celle que je lui connais. Elle est dure, elle est noire.

— Que pouvez-vous nous avouer, madame Farragus ? Dites-le vite, sinon je siffle d’une certaine manière et votre compagnon de cage quittera son arbre pour s’enrouler à vous. À dire vrai, il n’est pas foncièrement méchant, seulement il ne connaît pas sa force. Un jour, pour voir, on l’a mis en présence d’un mouflon. Au bout d’une heure, le mouflon ressemblait à une carpette roulée, et au bout de dix il avait disparu, cornes comprises…

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34

En anglais, ça donne No, no… Et j’ai envie d’ajouter Nanette. Seulement l’instant est trop critique. Je me casserais l’atmosphère, ce qui serait ridicule.

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35

Plus avant, j’ai déjà fait « jaune homme », mais j’avais envie de vous offrir le pluriel pour votre collection.

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36

Je préfère « orvet » à « orfraie » c’est plus en situation. Si je te souligne pas la chose, tu la remarques seulement pas ! La différence entre orvet et orfraie, t’en saurien, hein ?

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37

Je vais essayer d’en trouver encore d’autres, mais ça ne va pas être fastoche.

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38

Qu’est-ce que je vous avais annoncé ? Ah, je me connais, allez ! Je me demande même pourquoi, me connaissant comme je me connais, je continue de me fréquenter !

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39

Je continue de les appeler chinois au bénéfice du doute.

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40

Il est pêcheur à ses moments perdus.