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On dirait qu’il récite un poème en prose, notre jaune ami. Sa monocordie, chose curieuse, renforce l’horreur de ce qu’il dégoise.

Ann Farragus l’écoute sans perdre le boa des yeux. Elle se gave d’épouvante, comme Gavarnie se gave de Pau (diraient j’en suis convaincu, mes adorables confrères Francis Dac et Pierre Blanche)[41].

— Eh bien, dites, madame Farragus ! Dites !

Elle hoquette.

— Pearl n’est pas malade !

Le silence qui succède à cette déclaration est si profond qu’on entend glisser les reptiles dans leurs cages.

— Qu’est-ce que j’avais dit ! s’écrie brusquement Maud. Et l’on ne voulait pas me croire…

Le Jaune vient tout contre la grille.

— Madame Farragus, chuchote-t-il. Qu’entendez-vous par « Pearl n’est pas malade ! »

— Je me suis arrangée pour faire croire…

— À sa leucémie ?

— Oui. Je lui ai fait administrer certains produits qui provoquent les symptômes de cette maladie. C’est… C’est mon ex-mari qui m’a guidée, m’a aidée…

— Vous aviez combiné ça avec lui ?

— Il en a eu l’idée…

— Quand ?

— Lorsque Neptuno m’a eu retrouvée et m’a demandé de divorcer tout de suite. Je ne voulais pas. Mais Robert m’a expliqué qu’il ne fallait pas laisser passer une occasion pareille. Pour notre fils handicapé à vie. Nous n’étions pas riches. Mon ex-mari avait un modeste cabinet insuffisant pour assurer une vie confortable à notre enfant, plus tard…

— Si bien que vous vous êtes décidée à divorcer et à épouser M. Farragus ?

— Exactement.

— Ensuite de quoi, vous n’avez plus eu qu’une idée : vous débarrasser de sa fille ?

— Oui.

— Espérant amener ensuite votre actuel époux à tester en faveur de votre fils ?

— Oui.

Là, il y a comme un temps mort. Plus mort que vif pour Ann Farragus qui voit le boa se désenrubanner de son arbre. Le Chinois contourne la cage pour s’approcher de Neptuno, toujours tapi dans l’ombre. J’oserais, j’ajouterais : immobile comme une statue, tant l’image est fidèle à la réalité. Mais je m’abstiens car, en général, une statue ne parle pas. Or, Neptuno Farragus chuchote. Le Jaune acquiesce, revient à la cage.

— Madame Farragus, comment vous y êtes-vous prise pour faire admettre que Pearl était leucémique ?

— Au début, je lui ai administré une drogue qui l’a rendue malade. J’étais seule avec elle à la « Résidence ». J’ai appelé un médecin. Ce médecin était Robert qu’elle ne connaissait pas. Il lui a fait subir un traitement grâce auquel elle a bientôt présenté tous les symptômes de la leucémie. Les spécialistes eux-mêmes s’y trompèrent car chaque fois, les analyses étaient communiquées par les laboratoires directement à Robert, lequel les falsifiait avant de les répercuter ici.

— Vous la faisiez en somme périr à petit feu sous couvert de sa fausse maladie ?

— Je… J’ai perdu la tête. Je n’aimais pas Neptuno… J’étais jalouse de cette fille riche et désœuvrée… Vous ne pouvez savoir le calvaire que représente pour une mère le fait d’avoir un enfant paralysé à vie… Cela tournait à l’obsession, au cauchemar…

Ses nerfs achèvent de craquer. Elle se met à hurler de façon continue, en pleine hystérie.

À ce moment-là, Neptuno quitte son poste d’observation et marche à la cage. D’un geste de robot pensant, il arrache son masque. Ann l’aperçoit. De saisissement, se tait. Les deux époux s’affrontent. Je ne vois pas la gueule du milliardaire pour l’élémentaire raison qu’il me tourne le dos, mais je vois celle de sa femme. Une autre épouvante succède à la première. Elle se transforme de plus en plus irrémédiablement. Elle vieillit. Elle est vieille. Ravagée. Finie. Disloquée…

— Ann, murmure Neptuno.

C’est la plainte d’un amour assassiné. Tout ce qui subsistait de tendre dans cet homme vient de s’évaporer.

Il se ressaisit, à peine son gémissement exhalé.

Elle murmure, hagarde :

— Neptuno !

On se croirait à la fin d’un film genre « Eternel Retour ». Ann-Neptuno ! Neptuno-Ann ! The end of a love story. Musique douce… Contre-plongée sur le ciel où se bousculent des nuages malmenés par la tempête.

— La petite Maud avait des doutes, dit-il. Un jour, elle m’a pris à part et me les a révélés. Je n’ai pas voulu la croire. J’ai failli la gifler. Je me méfiais car cette gosse est amoureuse de moi. Je me disais : les filles amoureuses sont fanatisées, donc capables de tout. Je ne me doutais pas à quel point ! Elle est revenue à la charge. Je me suis mis à étudier votre comportement. Certaines de vos démarches m’ont troublé. Vous preniez un peu trop à cœur la maladie de ma fille. Vous étiez toujours présente lorsqu’il s’agissait de lui faire subir des tests. C’était vous qui preniez les grandes décisions, concernant sa maladie et la façon de lutter contre elle. Maud aidant, j’ai fini par être gagné par le doute, Ann.

« Alors nous avons échafaudé toute une mise en scène, avec certains bons amis ici présents que disons je… heu… patronne. Ils devaient emmener Pearl dans un hôpital spécialisé, à Houston. Mais vous ne deviez rien savoir. On a préparé tout un système de montages sonores avec la voix de ma fille, captée à son insu au cours de ses communications téléphoniques avec vous. Celles-ci étaient tellement rituelles et immuables que la chose fut facile. Notre technicien du son composa toute une programmation des différentes répliques susceptibles de convenir à vos différentes questions. Bref, tout était près, lorsqu’on a enlevé Pearl. J’ai tout de suite su que vous étiez à l’origine de ce rapt. Alors j’ai eu peur. Je me suis dit : « Surtout éviter l’intervention de la police. Ensuite, ne rien brusquer. » J’ai usé du montage que nous avions programmé pour vous dérouter.

« Lorsque vous êtes venue — avec quelle impudence ! — dans mon bureau en compagnie de ce type, j’ai utilisé le système de renvoi, sachant bien que vous n’auriez rien de plus pressé, dès lors, que de vous précipiter à la « Résidence » afin de vérifier si Pearl s’y trouvait. Je vous ai adjoint Beulmann, lequel était prévenu de ce qu’il avait à faire. Par exemple surveiller votre comportement, intervenir au cas où vous auriez appelé vos complices en quittant mon bureau. À la « Résidence », tout était prêt pour vous recevoir. Dans l’hypothèse où nous nous serions trompés à votre endroit — l’amour vous cheville la crédulité au cœur, ma chère — nous vous aurions fait croire à un attentat dirigé contre ma puissance.

Il s’essuie le front avec un mouchoir de soie.

— Vous êtes une foutue garce, Ann. Et une criminelle. Je veux savoir ce que vous avez fait de ma fille, et vous allez me le dire. N’oubliez pas que vous avez affaire à Neptuno Farragus. Et sachez que Neptuno Farragus ne recule devant rien pour parvenir au but. Devant rien, Ann ! Devant rien !

Il hurle si fort que les vitres des cages en vibrent.

— Vous m’entendez ?

— J’ignore tout de cet enlèvement. Je vous le jure, Neptuno !

— Gardez vos serments, ma chère.

Il adresse un signe au jaune et va se placer de l’autre côté de la cage, près de Maud qui, triomphante, s’accroche doucement à son bras.

Le supposé-Chinois (un milliard d’habitants, j’ai quand même une chance de ne pas me gourer, non ?) glisse ses deux médius dans sa bouche et émet un long trémolement bizarre.

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41

Dire qu’il existe des gens qui préfèrent François Mauriac à Pierre Dac. Comment se peut-ce ? Si je devais écrire une biographie un jour, j’écrirais celle de Pierre Dac. Je voudrais tant expliquer aux cons et aux jeunes l’importance de cet homme dans la pensée moderne. Pierre Dac est à l’esprit d’aujourd’hui ce que Charles Trénet est à la chanson. Merci, Pierre Dac, de nous avoir enfoncé tant de portes !