Выбрать главу

Neptuno Farragus ne pipe mot. Il doit penser à sa bergère. Sa vengeance ne le satisfait pas. Elle ne guérira jamais cette plaie de son orgueil. Il a tout obtenu par sa volonté âpre, y compris la femme d’un autre, à laquelle il rêvait depuis longtemps. Mais il s’est fait pigeonner. Il a foutu sa main de fer dans un engrenage qui a bien failli le broyer… Une telle faillite sentimentale est cruelle pour un homme de sa trempe.

Un grand bruit sourd !

On tressaille, tous, se demandant si l’on ne vient pas d’écraser un type dont la carcasse aurait voltigé sur le toit de la voiture.

— Qu’est-ce que c’est ? s’inquiète Maud.

Beulmann ralentit et se range sur le bas-côté de la route.

— Le couvercle de la malle arrière s’est ouvert, dit-il.

Je repense à mon rafistolage de fortune pour permettre de fermer le coffre. Les trépidations auront chassé le tournevis qui le bloquait. Beulmann descend et se porte à l’arrière du véhicule.

Vous avez déjà vu les Cléran’s, au cirque ? Cette maestria, dites, quand ils font leur double saut périlleux entre deux trapèzes, se rattrapent sans bavure et retournent à leur perchoir de départ dans une magistrale envolée.

On dirait qu’ils fonctionnent à l’ordinateur. Chaque geste de l’un est le complément du geste de l’autre. Ils n’ont qu’une pensée commune, qu’une même volonté, qu’un seul œil ! Ben, il est des instants où Béru et Bibi c’est du kif. On est pile sur la même longueur d’ondes. Nous existons à l’unisson. Tenez, prenons le cas présent, par exemple. Nous n’avons besoin d’aucun signal. On ne s’est même pas coulé un début de bout de regard. Ça part simultanément, mieux que si on avait répété ce numéro pendant trente-deux ans.

Que je vous décompose… Béru a ramené ses deux mains bloquées par les menottes complètement sur sa gauche. Lorsqu’il a achevé ce premier mouvement.

Beulmann se trouve à la hauteur de la portière arrière. Alexandre-Benoît exécute alors un mouvement de rotation pareil à celui du lanceur de marteau. En l’occurrence, le marteau c’est ses mains chargées de chaînes. Farragus déguste les cartilages et les bracelets d’acier sur la tempe. Il pousse un cri étouffé et bascule contre cette pétasse de Maud, qui reste coite pendant une pincée de dixièmes de seconde. Beulmann pendant ce… coup de main est venu se placer derrière l’auto. Il a empoigné le rebord du coffiot et l’a rabattu. Surprise : le couvercle ne tient pas fermé. Il se penche pour voir ce qui ne va pas. Reprenons les choses une seconde et demie plus tôt. Bibi n’est pas resté inactif. Il a soulevé ses longues jambes d’adolescent devenu homme et les a coulées de l’autre côté du bloc de commande gainé de cuir fauve séparant le conducteur du passager. Un coup de reins, je suis assis à la place de Beulmann.

Ce dernier a commis une sottise impardonnable : il a laissé tourner le moteur. Cette tuture, comme toutes les grosses ricaines, est à embrayage automatique. Beulmann s’est contenté de placer la fiche de commande à la position Parking. Maud, folle de terreur, se met alors à gueuler. Elle tâtonne pour bicher la poignée d’ouverture de sa lourde. Le corps inerte de Farragus, jouant les Président Kennedy à Dallas, la gêne.

Beulmann qui a perçu ses cris se relève et commence de radiner de l’arrière, au pas de course. Moi, malgré mes mains menottées qui ne peuvent s’écarter de plus de trente centimètres l’une de l’autre, j’ai mis le petit levier de la boîte sur le « D ». De mes deux pinceaux ligotés, j’appuie sur la pédale d’accélération.

Dans ces cas-là on ne contrôle pas l’intensité de sa pression. Impossible ! Gavé de jus de derrick, l’auto décarre comme un boulet. À l’instant précis où la môme vient d’ouvrir sa lourde. La secousse du démarrage fait basculer Maud sur la route. Elle tiendra compagnie à Beulmann. Ce dernier n’ose pas défourailler, à cause de l’illustrissime boss qui se trouve dans le carrosse. Je bombe tant que je peux. Pas commode de conduire une bagnole dont : le couvercle de malle, la portière avant gauche et la portière arrière droite sont ouverts. Et de la piloter en ayant les mains et les jambes entravées. Mais il est des circonstances où l’on se fout des recommandations de la Sécurité Routière.

Je me farcis trois ou quatre kilomètres ainsi, me réjouissant de ne rencontrer aucune autre guindé. Enfin, avisant un chemin très secondaire, à droite, je m’y lance sans hésiter. Je parcours deux ou trois cents mètres, coupe le moteur et les phares et me retourne.

Béru est épanoui.

— Bien joué, Gros, applaudis-je. Je crois que nous continuons de former un beau tandem, toi et moi. Avance ton groin que je te débâillonne.

Dont acte.

— Comment va Monsieur ? m’enquiers-je en désignant Neptuno, toujours inanimé.

— Y s’fout du fléchissement de la Bourse, répond sobrement le Gravos après l’avoir rapidement ausculté.

— Il doit avoir un revolver, non ?

— Il avait ! répond mon laconique camarade en brandissant l’arme.

— O.K. ! Comme les clés de nos poucettes sont restées dans la poche de l’autre pomme, va falloir opérer en catastrophe.

J’élève mes poignets.

— Vise bien la serrure, Gros, et veille à ce que le canon respecte un bon angle, j’ai pas envie de dire adieu à mes mains.

— Fais-toi z’en pas, rassure mon ami. La serrurerie, c’est comme qui dirait mon violon d’Indre-et-Loire.

CHAPITRE XVII

Moi, franchement, j’adore la nature. J’aime la montagne en automne, avec son tapis brun. Et puis les écharpes de brume accrochées aux branchages dépouillés. Et les prés verts (comme disait Jacques) où pâturent de belles vaches nonchalantes[42].

Mais j’aime terriblement les villes aussi. Leur grouillement. Leur mystère. Leurs lumières.

Ce que je demande à une ville, c’est de ne jamais s’arrêter. J’attends d’elle un quartier, voire une simple rue où l’on puisse débarquer à n’importe quelle heure en étant assuré d’y trouver la vie en activité. Une ville qui ferme complètement à partir d’une certaine heure n’est qu’un bled. Voilà pourquoi j’adore Paris, et New York, et puis des endroits pourtant pas tellement sublimes, tel que Juan-les-Pins en juillet.

À Miami Beach, il est une longue rue où flamboient les enseignes les plus tapageuses, les plus saugrenues et qui n’arrête pas de gronder, de musiquer, de pétarader. Une rue où à quatre plombes du matin, tu peux faire l’emplette d’un rasoir ou d’un cendrier orné du portrait de ce pauvre Martin Luther King.

J’arrête la pompe dans une ruelle, en lisière de la rue Luna-park, et je dis à Bérurier :

— Tiens compagnie à M. Farragus, Gros. Moi, je vais aller remettre ce que tu sais à notre correspondant. Y a urgence.

L’Enflure ne sourcille pas. Dieu sait (Dieu et moi) que la connerie ne lui manque pas, au Mastar. Il a son taf. Son plein de super. C’est un con surchoix, équipé grand tourisme. Un con à toutes épreuves. Incassable. Incasable. Un con classé monument historique. Et pourtant, dans les cas importants, son hérédité paysanne le pourvoit d’une ruse aussi efficace que le serait l’intelligence.

вернуться

42

La seule différence existant entre San-Antonio et un très grand écrivain, c’est que San-Antonio n’écume pas le bouillon avant de le servir.

Raymond Oliver