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— Fais ! me répond-il, sans poser de question. Et dis-lui qu’il se grouille !

Puis se tournant vers Neptuno dont c’est le tour d’être entravé :

— J’sus sûr que m’sieur Farragonze a hâte de rentrer se pieuter, si ce serait pas trop m’abuser ?

Je n’ai pas besoin d’aller très loin dans Fiesta-street. Le magasin que je cherchais est là, qui me tend sa porte pivotante. Il est bourré de fracas. Un monstre brouhaha, avec de la musique à vous massacrer les méninges. L’air conditionné, glacial. Des odeurs fortes de sueur, de friture, de caramel brûlé. Je m’y plonge voluptueusement. À cet instant seulement, j’éprouve l’enivrant sentiment d’avoir remporté une grande victoire. Je drague entre les rayons quincailleux de ce gigantesque bazar. Aux U.S.A. plus encore qu’ailleurs, la babiole est souveraine. L’article « cheap » fascine.

Je labyrinthe pendant quelques minutes, allant d’un présentoir à une vitrine, avant de trouver ce que je souhaite : le département photo. Une montagne d’appareils ! Depuis le gadget à un dollar jusqu’au Leica d’importation, en passant par l’éventail complet des japonouilleries.

Je découvre ce qu’il me faut : des Minox. Je choisis le plus perfectionné.

— Vous prenez combien de rouleaux de pellicule avec ? me demande la vendeuse, une radieuse fille couleur de bronze, aux lèvres presque noires.

— Pas de pellicule, merci.

Elle a l’air un peu surpris, mais ici c’est plein de tordus dont il ne faut pas trop essayer de percer les intentions.

Je sors le Minox de son étui, je jette ce dernier et glisse l’appareil dans la poche supérieure de mon veston.

Après quoi, je descends au club du sous-sol pour m’octroyer quelques reconstituants bien mérités.

De retour à la pompe, je trouve Bérurier avec une boutanche de rye dans la main. Comme quoi le mimétisme continue de nous lier. Il l’a, m’apprend-il, découverte dans le minuscule bar ménagé sous l’accoudoir. Son regard allumé m’apprend que ce flacon presque vide devait être naguère presque plein.

— T’as été long, murmure le Gros. Il n’était pas chez lui ?

— Si, mais j’ai préféré attendre qu’il ait développé les photographies, dis-je en retirant le Minox de ma poche. On a sa petite conscience professionnelle pour soi.

Malgré son début de blindage, Pépère entre dans le jeu cent-coups-fait-rire.

— Elles étaient réussies ?

— Mieux encore que je n’espérais. À l’agrandissement ça doit payer.

C’est tout.

Et en français.

J’espère que Neptuno a pu suivre ? Il est italien, donc, il ne peut pas ne pas avoir saisi le sens de notre courte conversation.

— Détache M. Farragus, Gros !

Il tique un brin, c’est plus fort que lui.

— Ah bon ?

— Oui !

Sans insister, mon compère délie le magnat de l’aéronautique.

— Monsieur Farragus, fais-je à notre prisonnier, je pense que le moment de nous quitter est arrivé. Auparavant, je voudrais vous préciser quelques points qui pourraient vous sembler obscurs. Il est vrai que votre défunte femme n’était pour rien dans le rapt de Maud. Je suis le seul responsable de ce kidnapping. J’appartiens aux Services Secrets Français. Ceux-ci, disons-le carrément, avaient besoin d’une monnaie d’échange pour discuter avec vous d’une certaine affaire de prototype. Le procédé manquait d’élégance, j’en conviens, mais la mort prématurée d’un groupe d’ingénieurs de chez nous en manquait également, n’est-ce pas ? Les événements de cette nuit, Dieu merci pour ma conscience, nous permettent de vous restituer votre fille sans plus attendre car nous venons d’opérer un transfert de valeurs.

Je ressors mon Minox.

— Grâce à ce joujou, j’ai pris des clichés qui valent leur pesant d’hyposulfite. Ils montrent le célèbre Neptuno Farragus regardant périr sa femme dans la cage d’un boa. L’image fera sensation, croyez-le. Elle sera publiée après-demain à la une de tous les journaux français accompagnée d’un texte approprié. À moins naturellement que vous envisagiez une collaboration franche et honnête avec la France pour réaliser l’avion en question. Une haute autorité parisienne vous appellera demain pour s’enquérir de votre décision. Vous avez donc toute la nuit pour réfléchir, du moins ce qu’il en reste car l’aurore n’est plus loin. Moi, à votre place, je n’hésiterais pas. Quand on a bâti un empire on ne joue pas à le dynamiter… Cela dit, Pearl se trouve à Bimini, Bahamas, chez un vieil ecclésiastique un peu fou, le père Léveillé, qui ignore tout de ce micmac et auquel vous serez gentil de ne pas causer le moindre ennui. Si vous voulez bien me procurer un bout de papier blanc et un stylo, je vais vous faire un mot pour que tout soit en ordre auprès de ce vénérable vieillard et de son ami, le révérend-père Pinaud.

Je griffonne quelques lignes rassurantes sur le carnet à couverture de croco qu’il me tend.

Puis, satisfait, je drive la tuture jusqu’au « Dorade Hôtel ».

— Adieu, monsieur Farragus. Nous voici parvenus à destination. Si vous avez besoin d’un renseignement complémentaire, appelez-moi ici.

Il me file un regard tout chose. Songeur, admiratif. Puis il me dit :

— J’aime bien rencontrer un homme, de temps en temps.

Et croyez-moi ou allez vous faire honorer le balzac chez les Grecs, mais il me tend la main.

Moi, jamais bêcheur, je la lui serre.

Je sais d’ores et déjà que c’est gagné.

CLUSIONCON

— Écoutez, mon petit, j’ai là monsieur le ministre à mon côté… Son Excellence me charge de vous dire combien elle… à quel point vous… En un mot : bravo ! For-mi-da-ble ! C’est Neptuno Farragus en personne qui a appelé la maison Blum-Dattaque voici une heure en lui annonçant que les fameux plans avaient été retrouvés et que les travaux allaient pouvoir reprendre…

Il est en transe, le Dabuche.

Va se payer une extinction de voix. Devant le ministre, il s’applique à en rajouter. Il fait mousser la savonnette ! Un vrai bain d’O-Bao, son burlingue, je gage…

Il parle, il exclame, complimente, applaudit, pouffe, glousse, promet, certifie, vivelafrance, anticipe, participe, déclare, prend à témoin, sermente, glorifie, sanglote. The délire…

C’est p’t-être bon de se faire astiquer les tympans au sirop de chef ; pourtant, depuis un instant je n’écoute plus.

La porte de ma chambre s’est ouverte. Dans l’encadrement se tiennent Pinaud et Pearl. Ils me regardent… Je leur souris.

L’héritière de l’empire Farragus fait quelques pas dans la pièce.

J’obstrue de la main l’émetteur pour lancer un velouté :

— Bonjour, beau petit oiseau des îles Bahamas !

Elle s’approche du lit où je suis vautré, vêtu seulement de mon pantalon de pyjama.

— Oh, darling, me dit-elle[43].

Elle s’assied près de moi. Elle a des larmes plein son magnifique regard couleur de je-ne-sais-plus-quoi-je-chercherai-plus-tard.

— Est-ce vrai, dites, est-ce bien vrai, réellement vrai ?

— Quoi, ma beauté pure ?

— Que je ne suis pas malade, ne l’ai jamais été ?

— C’est vrai, Pearl. Je vous en donne ma parole d’homme.

Elle se signe[44].

— Dieu soit loué, darling, alors je vais pouvoir aimer à ma guise ? Sans arrière-pensée ? Sans retenue ? Aimer de tout mon être ?

— Oui, mon ravissement, vous allez pouvoir, garantis-je en lui ouvrant les bras.

Elle semble ne pas voir mon geste. D’un élan elle s’est déjà redressée, elle court à Pinaud, noue ses bras au cou de Baderne-Baderne et lui plante un baiser à crampon en pleine bouche.

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43

En réalité, Pearl m’a dit « Oh, chéri ». En français. Mais comme nous parlons anglais et que je vous traduis les dialogues au fur et à mesure, toutes taxes comprises, je suis obligé d’écrire darling pour trouver l’équivalence de chéri. C’est bête, hein ?

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44

Fille d’italien, vous pensez !