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— J’attends l’autorisation de la tour de contrôle, répondit le flotteur.

— Considère tous les programmes d’autorisation comme annulés. »

Toujours rien. Morrissey se demanda comment il pourrait bidouiller une annulation de programme. Mais le flotteur ne trouva de toute évidence aucune raison de conclure à un bluff et, un instant plus tard, les signaux de décollage illuminèrent la cabine et un bourdonnement sourd s’éleva à l’arrière. En douceur, le petit véhicule rétracta ses ailerons tout en se mettant en position de départ, et s’élança dans l’air lourd et humide traversé de turbulences.

Il avait décidé de commencer son voyage par un survol rituel des environs immédiats – en principe pour être sûr que son flotteur était encore en état de voler après toutes ces années, mais il se soupçonnait aussi de vouloir se montrer aux groupils du voisinage, leur faire savoir qu’au moins un véhicule humain traversait encore les cieux. Le flotteur semblait bien fonctionner. En quelques minutes il atteignit la plage, survola son propre chalet – c’était le seul dont le jardin n’avait pas été envahi par la brousse – puis se retrouva au-dessus des profondeurs sombres de l’océan travaillé par la marée. Il mit alors le cap au nord vers l’immense port de Janeville, où des navires de plaisance croupissaient dans le bassin en forme de croissant, poussant un peu à l’intérieur des terres jusqu’à un complexe agricole abandonné où les sommets d’imposants gattabangus, lourdement chargés de succulents fruits écarlates, étaient à peine visibles au-dessus du grouillement étrangleur des plantes grimpantes. Puis, via une série de collines sablonneuses embroussaillées, retour vers les Dunes. Le sol offrait un aspect morne et désolé. Il aperçut un grand nombre de groupils qui formaient par endroits de longues colonnes, surtout des femelles à six pattes, éventuellement à quatre, les mâles ouvrant la marche. Curieusement, ils semblaient tous s’éloigner de la côte pour gagner la sécheresse des Terres Brûlantes, comme si quelque migration était en train. Possible. Pour un groupil l’intérieur des terres était plus sacré que la côte, et l’endroit sacré par excellence était le grand pic crénelé du centre que les colons appelaient le mont Olympe ; en raison de sa situation juste au-dessus d’Argo, l’air y était assez chaud pour faire bouillir l’eau et seules les créatures les mieux adaptées pouvaient y survivre. Les groupils mourraient presque aussi vite que les humains dans ce désert calciné, mais peut-être, songea Morrissey, voulaient-ils se trouver aussi près que possible de la montagne sacrée à l’approche du séisme. Le retour cyclique de ce séisme était l’événement central de la cosmologie groupil, après tout – une sorte de millénium, un temps de prodiges.

Il compta cinquante colonnes de groupils migrants. Il se demanda si son ami Dinoov était parmi eux. Il comprit soudain à quel point il avait envie de trouver Dinoov l’attendant aux Dunes d’Argovista au retour de son voyage autour de Médée.

Il lui fallut moins d’une heure pour faire le tour de la région. Quand les Dunes furent de nouveau en vue, le flotteur exécuta une élégante pirouette au-dessus de la ville et fila vers le nord en longeant la côte.

La route que Morrissey avait en tête devait lui faire remonter la côte ouest jusqu’à Arca, traverser les Terres Brûlantes jusqu’à Cap Nord et descendre l’autre côte jusqu’à Madagozar, en zone tropicale, pour le ramener finalement aux Dunes. Ainsi pourrait-il se poser partout où l’humanité avait laissé sa trace sur Médée.

Médée était divisée en deux vastes hémisphères séparés par la ceinture d’eau que formait l’Océan Anneau. Mais Grandloin était un désert glacé qui n’avait jamais connu la chaleur d’Argo, et aucune colonie n’y avait jamais été établie de façon permanente, seulement des centres de recherche, et encore très peu au cours des quatre derniers siècles. Le but originel de la colonie de Médée avait été la recherche scientifique, l’exploration méticuleuse de tout un environnement étranger ; mais naturellement, avec le temps, les buts originels ont tendance à être oubliés. Même sur le continent chaud l’occupation humaine s’était limitée à deux arcs symétriques le long des côtes, dans la bande située entre les tropiques et les latitudes de hautes températures, et à quelques timides incursions à l’intérieur ne dépassant pas quelques centaines de kilomètres. Le haut désert était inhabitable, et rares étaient les humains qui trouvaient hospitalières les Terres Brûlantes limitrophes, quoique les ballons et même certaines tribus de groupils parussent en apprécier le climat. Les humains n’avaient trouvé à s’implanter nulle part ailleurs si ce n’est sur l’Océan Anneau, dans des cités flottantes érigées au milieu des eaux équatoriales gorgées de varech. Mais durant les dix siècles de leur séjour sur Médée les enclaves humaines dispersées un peu partout avaient développé des extensions amibiennes jusqu’à former un tissu pratiquement continu sur des milliers de kilomètres.

À présent, constatait Morrissey, cette bande d’acier de prolifération urbaine était interrompue çà et là par des intrusions de broussailles d’une extrême densité. De grandes taches de végétation orange et jaune avaient commencé à recouvrir autoroutes, aéroports, centres commerciaux, banlieues résidentielles.

Ce que la jungle avait entrepris, songea-t-il, le tremblement de terre l’achèverait.

Le troisième jour Morrissey arriva en vue de l’île d’Hansonia, sombre entaille orange sur le poitrail de la mer, et peu après le flotteur procédait à l’approche de la piste de Port Kato, sur le rivage oriental de la vaste presqu’île. Morrissey essaya d’établir un contact radio mais ne tomba que sur du silence ou des parasites. Il décida de se poser quand même.

Hansonia n’avait jamais compté une forte population humaine. Elle avait dès le départ été réservée à un centre de recherche écologique, car ses étranges formes de vie avaient évolué depuis des milliers d’années complètement à l’écart de la masse continentale, et elle avait en quelque sorte gardé son statut particulier même durant les années d’expansion de Médée.

Quelques véhicules-sol étaient garés sur la piste. Morrissey en trouva un encore alimenté en énergie, et dix minutes plus tard il arrivait à Port Kato.

L’endroit puait la moisissure rouge. Les bâtiments, des huttes en osier à toit de chaume, tombaient en ruine. Des arbres anguleux d’une espèce inconnue de Morrissey poussaient un peu partout, dans les rues, sur les toits, dans les branches d’autres arbres. Un vent frisquet soufflait de Grandloin. Deux groupils, des femelles quadrupèdes, encadrant des petits à six pattes, sortirent nonchalamment d’un entrepôt en ruine et fixèrent sur lui de grands yeux manifestement étonnés. Leur pelage était si bleu qu’il en paraissait noir – l’espèce propre à la presqu’île, différente des groupils du continent.

« Vous êtes de retour ? » demanda l’une. L’accent aussi avait ses particularités.

« Simplement en visite. Y a-t-il des humains par ici ?

— Vous », dit l’autre groupil. Il eut l’impression que les deux femelles se moquaient de lui. « Sol trembler bientôt. Vous savoir ?

— Je sais. »

Elles poussèrent leurs petits du museau et s’éloignèrent sans se presser.

Trois heures durant Morrissey explora la ville, se gardant de se laisser gagner par l’émotion, de laisser la pourriture, la dégradation et la décomposition déteindre sur lui. L’endroit semblait abandonné depuis au moins un demi-siècle. Il ne l’était en fait que depuis cinq ou six ans.

En fin de journée il pénétra dans une petite maison où la ville rencontrait la forêt et y trouva un lecteur de vivo-cubes en état de marche.