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La veille du tremblement de terre il regagna les Dunes d’Argovista.

« Alors comme ça tu as choisi de ne pas rentrer au bercail », observa Dinoov.

Morrissey secoua la tête. « La Terre n’a jamais été mon bercail. Médée l’était. C’est ce bercail que j’ai retrouvé. Et je suis revenu ici parce que cet endroit a été mon ultime bercail. Ça me fait plaisir que tu fasses encore partie du paysage, Dinoov.

— Où aurais-je pu aller ?

— Tous tes congénères sont en train de migrer vers l’intérieur des terres. Je pense que c’est pour être plus près de la montagne sacrée quand la fin arrivera. Exact ?

— Exact.

— Alors pourquoi es-tu resté ?

— Pour moi aussi mon bercail est ici. Il me reste si peu de temps que peu importe où je serai quand la terre tremblera. Mais dis-moi, ami Morrissey, es-tu content de ton voyage ?

— Je le suis.

— Qu’est-ce que tu as vu ? Qu’est-ce que tu as appris ?

— J’ai vu Médée, en entier. Je n’avais pas idée de la part que nous nous étions taillée sur votre monde. À la fin nous couvrions tout ce qui valait la peine d’être couvert, n’est-ce pas ? Et vous n’avez jamais rien dit. Vous vous êtes contentés de laisser faire. »

Le groupil demeura silencieux.

Morrissey reprit : « À présent, je comprends. Vous attendiez tranquillement le tremblement de terre, n’est-ce pas ? Vous le saviez à l’horizon bien avant qu’on se soucie de le repérer. Combien de fois est-ce arrivé depuis que les groupils ont commencé leur évolution sur Médée ? Tous les 7160 ans les groupils se dirigent vers les hautes terres, les ballons se laissent emporter vers Grandloin, la terre tremble et tout tombe en morceaux. Alors les survivants réapparaissent, les flancs déjà pleins d’une nouvelle vie, et rebâtissent. Combien de fois est-ce arrivé dans l’histoire des groupils ? Ainsi vous saviez quand nous sommes arrivés ici, quand nous avons érigé nos villes un peu partout et les avons transformées en cités, quand nous vous avons rassemblés et fait travailler pour nous, quand nous avons mêlé nos gènes aux vôtres et modifié les microbes de l’air ambiant pour nous rendre la vie plus confortable, vous saviez que ce que nous faisions ne durerait pas éternellement, hein ? C’était votre secret, votre consolation cachée, que cela aussi passerait. Hein, Dinoov ? Et effectivement cela appartient désormais au passé. Nous sommes partis et les jeunes groupils s’accouplent joyeusement. Je suis le seul de mon espèce qui reste, à part quelques cinglés qui galopent tout nus dans les bois. »

Une lueur passa dans les yeux du groupil. Amusement ? Mépris ? Pitié ? Qui pouvait lire dans les yeux d’un groupil ?

« Pendant tout ce temps, poursuivit Morrissey, vous ne faisiez tous qu’attendre le tremblement de terre. Exact ? Le tremblement de terre qui remettrait tout en place. Eh bien, le voilà presque sur nous. Et je vais rester ici à l’attendre avec toi. Ce sera ma contribution à l’harmonie entre les espèces. Je serai le sacrifice humain. Je serai la victime expiatoire pour tout ce que nous avons fait ici. Qu’est-ce que tu en dis, Dinoov ? Est-ce que ça te va ?

— J’aurais aimé, dit lentement le groupil, que tu t’embarques sur un de ces vaisseaux pour retourner sur Terre. Ta mort ne me procurera aucun plaisir. »

Morrissey hocha la tête. « Je reviens dans quelques minutes », dit-il, et il entra dans son chalet.

Les cubes de Nadia, Paul et Danielle reposaient à côté de l’écran. Il y avait des années qu’il ne se les était pas passés, mais il les glissa dans les alvéoles de lecture, et les trois personnes qu’il avait le plus aimées au monde apparurent sur l’écran. Elles lui sourirent. Danielle lui adressa un mot gentil, Paul lui cligna de l’œil et Nadia lui souffla un baiser. Morrissey dit : « C’est bientôt la fin. Le tremblement de terre est pour aujourd’hui. Je voulais juste vous dire au revoir, c’est tout. Je voulais juste vous dire que je vous aime et que je serai bientôt avec vous.

— Dan… dit Nadia.

— Non. Pas la peine de dire quoi que ce soit. Je sais que vous n’êtes pas vraiment là de toute façon. Je voulais juste vous revoir. Je suis très heureux comme ça. »

Il retira les cubes de leurs alvéoles. L’écran s’assombrit. Il ramassa les cubes, les emporta dehors et les enterra soigneusement dans le sol humide de son jardin. Le groupil le regarda faire sans curiosité particulière.

« Dinoov ? lança Morrissey. Une dernière question.

— Oui, mon ami ?

— Durant toutes ces années où nous avons habité sur Médée, nous n’avons jamais réussi à apprendre comment vous appeliez votre propre monde. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de le découvrir, mais tout ce qu’on obtenait comme réponse à nos questions, c’était qu’il était tabou ; même quand un groupil acceptait, à force de cajoleries, de nous le dire, un autre groupil nous donnait un nom complètement différent, de sorte qu’on ne l’a jamais su. Je vais te demander une faveur toute spéciale, là, à la fin. Dis-moi comment vous appelez votre monde. S’il te plaît. J’ai besoin de le savoir.

— Nous l’appelons Sanoon, répondit le vieux groupil.

— Sanoon ? Vraiment ?

— Vraiment.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire le Monde, tiens. Qu’est-ce que ça pourrait bien vouloir dire d’autre ?

— Sanoon, fit Morrissey. C’est un nom magnifique. »

Plus que trente minutes – à peu de chose près. Au cours de l’heure qui venait de s’écouler, les soleils blancs avaient disparu derrière Argo. Morrissey n’avait pas remarqué cela. Mais il percevait à présent un grondement sourd, puis il sentit d’étranges vibrations dans le sol, comme si quelque chose de puissant bougeait sous ses pieds, prêt à se réveiller. Non loin de la côte de formidables vagues s’élevèrent et déferlèrent. Calmement Morrissey dit : « Je crois que ça y est. » Dans le ciel une douzaine de ballons miroitants se mirent à sautiller en une danse qui avait tout l’air d’une danse de triomphe.

L’atmosphère se fit orageuse et une convulsion secoua le cœur du monde. Dans un moment la pleine puissance du tremblement de terre serait sur eux, la croûte de la planète frémirait, les premières secousses sérieuses déchireraient la terre et la mer se soulèverait, recouvrirait la côte. Morrissey se mit à pleurer, mais non de peur. Il réussit à sourire.

« Le cycle est complet, Dinoov. Des ruines de Médée s’élèvera Sanoon. Ce monde est enfin redevenu vôtre. »

Titre original :

Waiting for the Earthquake

paru dans The Best of Omni SF2,

anthologie composée par Ben Bova et Don Myrus

(Omni, New York, 1981)