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— V’là ma réponse, ricane l’Horrible.

La salve qui suit son avertissement aurait parfaitement convenu pour annoncer jadis la naissance d’un tsarévitch.

— Vous voyez ! dis-je à la mignonne (qui ressemble à Charpini déguisé en homme).

— En effet, ça n’est pas normal, convient-elle.

Comme pour apporter de l’eau au moulin de son inquiétude, le Gros y va de son récital complet. C’est le virtuose du vent, Béru. Le Toscanini de la modulation anale. La philharmonique du pet. L’apothéose du flageolet, son chantre.

Un feu d’artifesses, mes amis ! Oh, je sais, y en a qui finebouchent déjà sans mon auditoire, je m’en tamponne ! Ceux-là se biscornent dans mon estime, ils détritussent comme poisson au soleil ! Qu’ils aillent chez les raseurs cadémiques, je les retiens pas ! Pour vous en revenir aux prouesses béruriennes, c’est positivement la rétrospective de Pearl Harbor, les gars ! Hiroshima-mes-claouis-dans-le-pommier ! La catastrophe de Saint-Pierre-et-Miquelon ! Un ris-mec de Guerre et Pet. Ça tonne, ça étonne, ça étonne en force. Tous les sabords crachent ! Trafalgar sans son square ! Et rrran ! Pan ! Vive la reine ! Verdun ! On ne passe pas ! Le grand soleil ! Et je canonne à bâbord ! Et je te fais sauter le fortin ! Et je vous dynamite la Kommandantur ! Flaoff ! Oh la belle bleue ! Une traçante ! À retardement. Un chapelet ! Une cataracte ! C’est drôlement avalancheux dans le secteur ! Miné de partout ! La galerie saute ! L’arsenal explose ! L’artillerie délire. En gerbes ! En étoiles filantes ! Plus fort ! Vive la France ! Vive Arpajon ! Sa foire ! Ça foire ! Il est machiavélique du prose, Bérurier. Il a la boyasse diabolique ! Il porte en arrière son instrument à vents ! Le fion infatigable ! Il dispose du mistral, de la tramontane, du sirocco, du simoun pour décompresser avec une telle violence, une telle générosité. Il a une turbine dans le baigneur, non ? Un moteur à explosion dans le babe ? On lui a piégé le rectum ! Armstrong est planqué dans sa raie médiane ! Je vois pas d’autres solutions. Ou alors, si : une prothèse, vous pensez pas ? On lui aura bricolé la rondelle ! Mais oui, bien sûr ! Placé un fusil mitrailleur dans ce que Rabelais nomme le boyau culier. Je commence à entrevoir l’explication du phénomène. Je lui démasque le trou de balle, lui démystifie la bagouse. Assez de bluff et de blaofff ! La vérité, toute la vérité, au grand jour ! Et si c’était avec sa bouche qu’il fasse ce ramdam, hein ? Et s’il avait enregistré la bande sonore du Jour le plus long sur son mini-K7 ?

Elle se demande un peu tout ça, l’hôtesse de l’air. Pourtant ça contamine par-dessous la porte. Des effluves implacables tire-bouchonnent du trou de serrure. Une ponctuation olfactive nous crucifie dans les abominables réalités. On a l’imagination qui se désinterpose. Les suppositions qui pantèlent.

— Il faut prévenir le commandant, décide l’employée de l’Aeroflot.

D’un pas énergique elle se dirige vers le poste de pilotage. Je la suis, car je tiens à profiter de l’occase pour mater le comment t’est-ce que c’est fait des commandes d’un TU. J’ai un faible pour la technique, moi ! J’y crois !

Il est tout jeunet, le commandant Kouvrechev. Un peu dodu, poupin même, avec des bonnes joues rouges et un regard bleu faïence. C’est à remarquer : les commandants d’aviation sont jeunes, tandis que les commandants de barlu sont des vieux kroumirs. Faut de l’expérience pour piloter un bateau et des qualités physiques pour driver un coucou. Question de vitesse. Le zinzin qui file ses 25 nœuds, il a pas besoin d’être manœuvré en trombe. Tandis que le jet qui bouscule les nuages à mille à l’heure, on peut pas se permettre de le piloter à la papa.

L’hôtesse lui raconte comme quoi un passager est en train de se déchirer les entrailles aux tartisses et qu’il y agonise vraisemblablement. Faut faire quelque chose d’urgence, prévenir les ambulances, les sapiers-pompeurs et tout le chèze. Le commandant lui dit de placer l’écriteau « En dérangement » sur la porte et d’y laisser caner le voyageur en paix, vu que c’est l’endroit idéal pour qu’un cadavre voyage sans incommoder personne.

À ce moment-là, il se passe un fait vraiment inattendu ; mes amis. Il n’a rien de neuf, remarquez, pourtant il produit sa petit impression, soyez-en persuadés.

Deux hommes ont surgi sur nos talons dans le poste de pilotage. L’un d’eux est le gars à bouille de lézard vert qui écrivait près de Béru. L’autre est un grand costaud au menton carré comme un jeu de cartes. Les surgissants tiennent chacun un revolver à la main. Non pas une pétoire dans le genre de mon ami tu-tues, mais plutôt une sorte de lampe à souder miniature.

— Sorry, dit le costaud, nous allons vous demander de bien vouloir vous dérouter, cap’taine !

XI

MERCREDI 14 HEURES 15 MINUTES

(28 SECONDES)

Nous z’eûmes t’été dans le Nève-Yorque-Miami, par exemple, l’incident eusse passé pratiquement inaperçu tant il est courant que ces vols crochètent par La Havane pour y déposer un petit dégourdi soucieux d’aller s’approvisionner en cigares. Mais ce qui est fréquent aux z’Amériques constitue une novation dans la vieille Europe. Aussi une certaine stupeur se lit-elle sur les visages.

— De quoi s’agit-il ? demande enfin le commandant Kouvrechev dans un anglais plutôt laborieux.

Le costaud au menton carré rumine sept fois son chewing-gum avant de parler, preuve de sa prudence.

— Changement de cap ! répond-il laconiquement.

Pendant ce temps, le mec à la bouille de lézard vert s’est approché du radio et lui a fait signe de se décasquer. Il prend sa place avec une tranquille impudence. On entend l’hôtesse qui claque des dents dans son slip. Un court instant d’immobilisme succède à l’annonce faite par le pirate de l’air. Celui-ci se tourne vers moi.

— Inutile de prévenir les autres passagers, dit-il, dans ces cas-là, l’agitation ne fait que compliquer les choses. Vous allez regagner votre place comme si de rien n’était, commissaire, O.K. ?

— Qui êtes-vous ?

Il a un sourire mutin (d’ailleurs c’en est un).

— Ce n’est pas l’heure des présentations, faites ce que je vous dis.

Moi, vous me connaissez. Je n’aime guère qu’on me parle sur ce ton, aussi feins-je de me résigner pour mieux contrer le petit malin. J’ai un haussement d’épaules et j’amorce un demi-tour qui n’a pour but que de renforcer le formide parpinoche réservé à ce monsieur. Du grand art, mes gueux ! À la d’Artagnan, je l’opère ! Ma botte secrète, sa botte se crève ! Il efface mon bolopunch et s’écroule. Soucieux de ne pas en demeurer là je bondis sur le nouveau radio. Plus prompt, il me braque de sa lampe à souder. En un fulgurant travelling optique, je vois son index presser la détente de l’arme. Je m’attends à un boum. Il ne se produit qu’un léger frisson pareil au bruit d’un ascenseur ultramoderne. Aussitôt je ressens un grand froid dans mon ventre, mes jambes, ma poitrine… Un froid tourbillonnant qui m’envahit à toute vibrure. J’essaie de dire quelque chose, juste pour entendre le bruit de ma voix. Rien ne sort. Les êtres se sont pétrifiés. La scène du poste de pilotage se statufie. Une fresque ! Un haut-relief ! Une stupéfiante stratification. Plus rien ne bronche, ne respire ni ne parle. On est tous placardés dans le cosmos pour l’éternité. Le temps s’est interrompu. Il a cessé d’exister.

XII

PLUS TARD

(JE NE SAIS PAS COMBIEN DE TEMPS APRÈS)

Une buée recouvre la scène. Peu à peu celle-ci se décontourne et s’engloutit. Ça devient opaque. Et puis un immense chiffon efface la buée. La vie revient, en couleurs. Je découvre tout autre chose : un mur de bois, en rondins mal équarris. Une fenêtre, avec au-delà, des sapins enneigés. Face à moi, un homme en canadienne à col de loup, actionne une lampe à souder presque identique à celle qui m’a pétrifié. Je comprends que cet appareil me ranime ou plutôt me réanime (j’aime mieux réanimer). Le gars est jeune, brun, soucieux. Il agit lentement, par petits déplacements précis de son ustensile. J’amorce un geste.