Выбрать главу

Au début, je crois que l’interpellé me dit des choses à voix basse, en fait il rumine seulement de l’hévéa-mentholé. Il a les cheveux coupés court, le regard indifférent et le menton carré.

— Mouais ? me lâche-t-il enfin, mais en américain, avec, crois-je, l’accent de New York.

— Pourrez-vous me dire où nous nous trouvons ? je murmure en m’asseyant sur un banc métallique !

Ses yeux vagues foncent sous l’effet d’un mécontentement intense.

— Dites, fiston, écrasez un peu ! répond-il après avoir mûrement réfléchi.

Je lui vote un sourire que j’aimerais désarmant.

— Parole, je viens de débarquer ici et j’ignore le nom de ce petit paradis, mon vieux.

Il s’avise de mes deux vestes superposées et émet un ricanement dans le genre de ceux dont on salue le numéro d’un clown qui ne fait pas rire.

— Ça s’appelle Secret-militaire-U.S., fiston, déclare le zig en tournant une page de sa revue.

Une pulpeuse blonde vêtue d’un fume-cigarette accapare instantanément son potentiel cérébral. Je la lui laisse regarder complaisamment et lui permets de récapituler la liste des trucs qu’il lui ferait si elle consentait à s’aventurer en chair et en os jusqu’à son lit de camp ; après quoi, comme il s’humecte le médius pour affronter la page d’après, je stoppe son geste en posant ma main sur son avant-bras.

— Écoutez, vieux, pensez de moi ce que vous voudrez, mais répondez à ma question, je vous en supplie. Ce camp est situé à quel endroit ? Norvège, Suède, Finlande ?

Mon énumération semble quelque peu le divertir.

— On ne peut pas dire que vous brûliez, fiston ! répond-il avec un sourire franc et massif.

— Pourquoi ?

— Parce que nous sommes à l’extrême nord de l’Alaska.

Ma gamberge a un soubresaut géographique. Illico une carte du monde se développe dans ma tête. Notre avion a été piraté alors que nous devions survoler l’Allemagne orientale ou la Pologne. Il faudrait donc admettre, si l’on en croit cézigue, qu’il a rebroussé chemin, traversé l’Europe, l’Atlantique et le Canada… M’est avis que la chose était irréalisable par manque de carburant, à moins que…

Bon, je commenterai plus tard. Pour le moment il faut que j’en apprenne davantage.

— L’Alaska, répété-je.

Il a un soupir à défriser un chauve professionnel.

— Eh oui, l’Alaska, répète-t-il, comme un médecin confirmant un épouvantable diagnostic.

— C’est pas la porte à côté, lâché-je.

— À côté de quoi ? demande ce réaliste.

— À côté de la porte de Saint-Cloud, vieux. Et on y fabrique quoi, dans votre camp, du hockey sur glace ou des bonshommes de neige ?

Le mecton mâchouille deux petits coups sa gum, puis il revient en arrière dans la revue pour reconsidérer le dargiflard d’une gonzesse bottée de cuir noir et qui, penchée en avant, nous regarde à travers ses jambes écartées, ce qui nous offre sa tête à la renverse, mais son prose bien à l’endroit.

— Je vais vous apprendre une bonne chose, fiston, annonce-t-il après avoir fait pivoter son magazine pour voir la tête de la fille à l’endroit, et, par voie anale de conséquence son popotin à l’envers, je vais vous dire une bonne chose.

— C’est très aimable à vous, vieux !

— Ce qu’on fabrique ici, j’en sais fichtrement rien, assure cet examinateur de l’anatomie féminine. Mais alors rien de rien ! Et je vais encore vous dire autre chose, fiston : c’est que je m’en tamponne.

— Vous avez radiné ici à la suite d’une croisière-surprise ?

— C’est ça, exactement ça ! Une croisière-surprise offerte par mon gouvernement à tous les tordus reconnus bons pour le service armé.

— Et votre job consiste en quoi ?

— À éviter les refroidissements, principalement, fiston.

Réflexe conditionné sans doute, le gars tire un flask de bourbon de sa poche arrière et en tutte une lampée.

— Mais encore ? insisté-je.

Il revisse son flacon de potion magique, le rempoche et me propulse dans les naseaux un rot lesté d’alcool.

— Mais encore, y en a classe, fiston ! M’est avis que vous feriez mieux de retourner là d’où vous venez avant que je perde patience !

— Retourner là d’où je viens est mon plus cher désir, vieux, si vous entendez parler d’un autobus qui s’y rende, je m’inscris d’office.

Comprenant qu’il ne faut pas trop asticoter cet intellectuel surmené, je remonte le col de mes vestes pour replonger dans le froid noir et glaçant.

Un curieux engin jaune bouton-d’or passe en pétaradant près de moi. Il s’agit d’un ski-doo, ou chenillette des neiges. Ça ressemble à une énorme Vespa. Y a un petit ski à l’avant et une bande chenillée sous le corps de l’appareil, lequel est piloté par un type tellement emmitouflé de fourrures qu’on dirait un ours. Je regarde foncer le ski-doo vers des espaces immaculés.

Un frisson, pas seulement dû au froid, me parcourt. Voyez-vous, mes frères, je ne suis pas heureux en ce moment. Ça machiavélise trop autour de moi. Je sens que continuent de se tisser des rets ténébreux. On s’est fait piéger comme des loutres, si vous voulez mon avis. Des puissances supérieures jouent au ping-pong avec nous. Notre endormissement dans le coucou… Notre réveillement en plein Alaska (c’est tes skis)… Le professeur Bofstrogonoff à nos côtés… Enlevé idem, ce qui a dû être coton ! Mais qu’on ne réveille pas, lui ! Ma doué, ce sac d’embrouilles ! Tenez, vous quitteriez ce bouquin en cours de lecture, je m’en formaliserais pas, parole ! Je me dirais que, pour moi une fois, j’apporte de l’eau au moulin de votre connerie. Et Dieu sait pourtant qu’elle m’arpente la prostate, votre sottise, mes pauvres cancrelats ! Depuis le temps qu’elle me macule la félicité ! Me l’éclabousse ! Me la dévaste ! Vos réflexions, quand on se connaît, je peux plus les souder ! Ça commence pourtant bien, nos rencontres occasionnelles. « Ah ! vous êtes Santonio ! Quelle merveille ! Vous z’enfin ! » Mais vite ça bifurque ! Ça louvoie (comme disait Colbert) ! On dirait que vous avez honte de vos louanges. Elles vous tournent en radis sur la conscience. Vous font roter aigre rapidos. Ça vire vite au : « Tout de même, votre cabulaire !… » Ou bien : « Y a des moments, VOTRE Béru, il répugne… » Ou z’encore : « Vous n’avez pas envie d’écrire un VRAI livre ? » De quoi devenir neuneu, je vous jure, si je ne possédais pas une grande faculté d’emmerdage. Plus ils sont vieux, plus ils sont cons. Leur cervelet fait la colle à force d’âge ! Ils pigent plus. Les voilà déserts, déshumourés et chipoteurs. Ils osent plus oser rien. Ils se terrent dans toutes les idées reçues qui ne sont pas reparties ! Un de ces matins, je prendrai des mesures. Je me prohiberai la prose aux croulants, vous verrez ! Je leur subirai des examens de pas sages ! Je suis trop violent pour finir mes jours avec eux. Je me déguiserai en hippie pour me planquer parmi les jeunes. Le duraille, c’est de toujours changer de jeunes pour rester jeune. Ça se défraîchit si vite, un jeune. Ça devient si rapidement vioque. D’une année à l’autre, pan, terminé ! T’as quitté un fumant garnement, et tu retrouves un schnock. Faut repartir à la conquête des nouveaux bourgeons. Sans compter que tu prends du carat pendant ce temps, tu touches ta part de moisissure. Seulement ta bénédiction, c’est d’être anticon une fois pour toutes ! Antiformiste, antitout. Ça te fait une bonne couche de minium contre la rouillerie pernicieuse de l’existence. Mais pour en revenir à ce boxon, je comprends que l’accumulance des giries de toutes sortes vous fasse déclarer forfait. D’accord : caltez, volailles ! Je me la continue pour mon usage exclusif cette singulière aventure. Je tiens à savoir où elle mène, bonté divine !