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Au lieu de regagner notre cabane, je fonce vers une construction plus grande que les autres et qui ressemble tellement à un hangar que ça doit en être un.

Ici, la porte est très large. Elle s’ouvre en coulissant sur un rail. Je la pousse et elle s’écarte docilement.

Le hangar (car c’en est bien un) n’est pas chauffé et il y règne un froid quasiment aussi vif qu’à l’extérieur. Le local n’est éclairé que grâce à l’entrouverture de la lourde. Je m’avance un peu, espérant y découvrir quelque véhicule susceptible de m’intéresser pour une éventuelle cavale. Tintin, les amis ! En fait de véhicule il ne contient que des hardes. Un fantastique amoncellement d’uniformes. Ça s’empile presque jusqu’au plaftard.

Curieux de vérifier s’il s’agit bien d’uniformes ricains, je m’avance au pied de la pyramide pour mieux mater.

Mes lampions s’habituant à l’obscurité, je distingue parfaitement de quoi il retourne.

Et j’en suis retourné moi-même, mes trésors chéris. Parce que, voyez-vous, nonobstant leur particularité d’être amerlocks, ils en possèdent une autre beaucoup plus importante ces uniformes : ils ne sont pas vides. Il y a un cadavre à l’intérieur de chacun d’eux. Un cadavre raide comme un mendiant biafrais. Ça représente une belle flopée de morts, j’ai le regret de vous le dire. Des morts empilés comme des carottes chez le primeur. Machinalement, je commence à dénombrer ceux de la rangée du dessous. En multipliant par le nombre de rangées j’obtiendrai le total. Mais je peux déjà vous dire dans la foulée qu’il y en a plusieurs centaines.

À vue de nez (s) !

XV

JEUDI MIDI

(L’HEURE DU BERGER)

Il a la question clé, Béru.

— Quelle idée que t’as eue d’aller à ce hangar ?

Avant de se déclarer bouleversé par ce que je viens de lui apprendre, il l’est par ma curiosité congénitale ; marrant, non ? Il m’admire en secret, le Mastar. Mon groin de cochon découvreur d’embrouilles l’époustoufle, l’épastouille, le convainc, le sidère, l’impressionne, le trouble et lui donne l’impression, toujours voluptueuse pour un subordonné, que son supérieur est un superman.

Je ne lui explique pas qu’il y a eu association de pensées dans mon esprit. En apercevant le ski-doo, puis le hangar, je me suis demandé si le second n’hébergerait pas des premiers, lesquels auraient pu éventuellement nous servir à jouer la fille de la tempête. Non, je préserve intacte ma sagacité de chef. Ayant vu le hangar, San-Antonio s’est dit qu’il devait probablement contenir 627 morts, voilà la version de rêve, l’explication idéale capable de me redorer l’auréole.

— Un pressentiment, laissé-je négligemment tomber.

Il secoue sa belle trogne de jouisseur assouvi.

— Toi, avec tes pressentiments, tu devrais participer au congrès de la magie !

— De quoi sont-ils morts, ces morts ? demande Anastasia.

— Aucune idée, avoué-je. Et comme ils sont plus raides que du bois, il est duraille de pratiquer l’autopsie… Apparemment, ils n’ont pas de blessures…

Ma femme reste assise du côté de son pauvre papa, toujours en léthargie. Elle semble prostrée, Natacha. Notre effarante odyssée la dépasse de cinquante centimètres au moins. Elle tient la main flasque du vieux bonhomme en marmonnant des russeries d’un ton de prière.

— Et tu dis qu’on est en Nalaska ? demande Béru.

Il ajoute, distraitement :

— C’est loin d’ici, hein ?

Cher homme qui, par toutes ses fibres, reste accroché à Paname…

— Tu situes ça où ? le collé-je.

— La Laska ?

— Oui ?

Son front se plisse jusqu’à constituer le sigle de la Maison Citroën.

— Ça se trouve quéquepart entre la Finlande et le nord de la Belgique, non ?

— Un tant soit peu plus à gauche, rectifié-je.

— Et elle appartient à qui est-ce, cette Laska ? s’inquiète le Dodu.

— Aux États-Unis, dont elle est le quarante-neuvième ou cinquantième État si mes souvenirs sont exacts.

— Donc, on serait en Amérique ?

— Donc, oui, Mec !

— Ben alors…

— Alors quoi, mon gros loup ?

— On craint rien !

Je lui souris. Chère âme candide, confiante, rassurée par les propagandes.

— On craint tout de gens qui vous kidnappent, vous endorment et vous transportent en plein nord, au cœur d’une base militaire où sont stockés 627 cadavres.

— Qu’est-ce qu’y nous veulent, les Ricains, selon toi ?

— À nous, rien. Nous ne sommes que des comparses, des questions subsidiaires. Le centre d’intérêt gît sur ce matelas.

Et de désigner le professeur Bofstrogonoff dont la pâleur cireuse commence à m’inquiéter. Leur lampe à souder magique comporte peut-être des conséquences fâcheuses sur certains organismes, vous croyez pas ?

L’existe peut-être des allergies à ce machin, non ? Autrefois, comme on ignorait l’allergie, personne n’en souffrait. Maintenant tout un chacun et toute une chacune s’en paye à tour de bras. Découvrir un nouveau mal, c’est le mettre à la portée de toutes les santés car on est préservé de ce qu’on ignore, fatalement.

Non, sans charre, le prof ne semble pas au mieux de sa forme. Son souffle est menu, et ce qui impressionne, surtout, c’est le regard blanc filtrant entre les paupières mal jointes.

— Comment expliquez-vous la présence de ce savant ici, Anastasia ? questionné-je. Je croyais qu’on les surveillait mieux que ça, les grands penseurs, chez vous.

Les mâchoires de ma belle amie se crispent.

— Ces chiens galeux d’Américains ont toutes les audaces ! grince-t-elle. (Vous remarquerez, mes amis, qu’un romancier écrit toujours d’un de ses héros qu’il « grince » lorsque celui-ci profère des répliques désobligeantes.)

— Voilà un qualificateur qui est ni très gentil ni très original, lance une forte voix, dans un français rocailleux.

Nous voltefaçons sans façon.

Et découvrons un grand diable d’au moins un mètre nonante, vêtu d’une chaude pelisse en peau de dzobbe[13].

Dieu que cet homme est beau ! Moi en blond ! En plus grand ! Avec de très beaux yeux pervenche ! Un visage régulier, aux traits à la fois doux et sévères. Il parle haut et net. J’ai jamais entendu causer Pierre le Grand, ayant bêtement raté son dernier voyage à Paris, mais je suppose qu’il devait s’exprimer ainsi, à plein registre, en toisant crûment son interlocuteur.

L’arrivant porte la quarantaine sans fatigue apparente. Il porte également un bonnet de fourrure en poils d’oku[14] qui lui confère un aspect romantique digne de la Rome antique. Outre la quarantaine et son bonnet, il porte la main à la hauteur de son front, en un salut qui pour être militaire n’en est pas moins américain.

— Tout est O.K. ? s’informe-t-il avec urbanité.

Une telle question, en un pareil lieu et dans de telles circonstances méduserait une méduse.

— Un beurre, lui réponds-je. Quand je pense que des gens vont passer leurs vacances à Capri, j’ai honte pour eux !

Il me sourit.

— Ah, certes, l’Alaska ne vaut pas Honolulu, admet le nouveau venu, mais son intérêt stratégique est beaucoup plus grand. Si vous voulez me permettre de me présenter ; je suis le colonel Joe Birthday, commandant de la base.

Un silence hostile accueille ses paroles.

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13

Le dzobbe est un petit mammifère qui vit dans la région du lac Honasse et dont la principale particularité est qu’il change très souvent de terrier.

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14

Le poil d’oku est particulièrement apprécié des gens méticuleux.