Выбрать главу

Béru le rompt avec sa délicatesse coutumière.

— Du temps que vous y êtes, annoncez la couleur ! dit-il. Ça commence à bien faire, vos simagrées. On comporte pas de cette façon avec les gens, que vous fussiez colonel ou marchand de râpes à fromage !

L’officier garde une expression aussi supérieure que son grade, et Béru en prend pour le sien.

— Faites-moi la grâce de vous taire, please ! gronde l’homme en attrapant la chaude plisse et en la jetant sur un siège. Nous allons mettre les choses au point !

— Et moi je risque très bien de vous mettre les poings aux choses, eh, colonel de mes deux ! aboie Béru en s’avançant d’une allure belliqueuse sur le maître du camp.

Il n’a pas le temps de passer aux actes. Avec une promptitude reptilienne, le colonel Birthday lui a fait sa fête. Un seul geste a suffi. J’ai rarement vu une manchette aussi impeccable, aussi imparable, aussi efficace. Au cou ! Le Gros s’abat, foudroyé. L’autre ne paraît pas avoir accompli le moindre effort. Il prend place à califourchon sur un siège et, s’étant accoudé au dossier de celui-ci, il commence en mettant des tirets de silence entre chaque articulation de phrase :

— Vous êtes… je suis… ici… dans un but très… précis !

En général, on ne s’intéresse qu’à la beauté des beaux hommes. Il est si rare qu’un homme soit joli. Pourtant, avec le colonel Birthday, il se produit un phénomène (curieux, ajouteraient mes confrères pléonasmeurs). Au bout d’un instant, on oublie la régularité de ses traits, le velouté de sa peau, la couleur enchanteresse de ses yeux pour ne plus s’intéresser qu’à la farouche énergie sourdant de cet homme. Je vais vous dire, le chef de la base est un type d’une puissance absolue. Il possède la force morale et la force physique. Il est ferme et déterminé. On le sent implacable, rigoureusement décidé à aller, par n’importe quels chemins, au bout de ses missions.

Il fascine. C’est si vrai que les deux filles n’ont d’yeux que pour lui.

— Ce but, je vais vous l’exposer clairement, continue l’officier yankee.

Il caresse sa joue du bout des doigts, ce qui produit un léger bruit soyeux. Il sent bon… Une odeur vaguement exotique de tubéreuse qui surprend votre sens olfactif et le charme tout en l’inquiétant.

— Le professeur Bofstrogonoff, ici présent, déclare Birthday en montrant le vieillard inanimé, est l’auteur d’une découverte sur la nature de laquelle il ne m’appartient pas de m’étendre. Il a pu la réaliser à partir de documents qui furent volés dans différents centres de recherches américains par des agents soviétiques.

À cause de sa formation, Anastasia se croit obligée de ponctuer la réplique d’un ricanement sardonique rappelant les mélodrames de jadis. Le colonel n’en a cure, comme disait un pauvre curé dont le presbytère s’était écroulé.

Il a les pouces coulés dans sa ceinture, à la cove-bois-occupé-à-suivre-les-péripéties-d’une-partie-de-poker-dans-un-saloon.

— Les États-Unis d’Amérique, reprend l’officier, sont fermement décidés à récupérer globalement leur bien. Pour ce faire, lorsque nous serons tombés d’accord, vous et moi, je ferai réanimer le professeur et il vous appartiendra alors de le convaincre. Il a la tête dure, m’a-t-on dit ; je compte sur sa fille et sur vous pour la lui ramollir. S’il cède, vous serez tous conduits à la frontière canadienne ; s’il s’obstine, il en découlera pour tout le monde de graves ennuis auxquels je préfère ne pas songer tellement ils me paraissent… heu… inesthétiques !

L’officier nous regarde l’un après l’autre, d’un œil vaguement navré. Béru récupère. Assis sur le plancher, il se masse la nuque en reniflant. Le Gros paraît se demander si les scaphandriers sont ovipares. Ses lotos lui tourniquent dans les orifices comme des écureuils dans leur cage. Entre nous soit dit, il paraît vachement ébranlé de la calbombe. Birthday, avec sa manchette, lui aurait lézardé le cervelet que ça ne me surprendrait pas outre mesure, comme se plaît à le répéter mon tailleur.

— C’est tout ? demande bravement Anastasia.

— Presque, rétorque le colon. J’ajoute qu’il existe dans cette base un laboratoire des mieux équipés, où Bofstrogonoff pourra travailler avec un maximum de facilités.

Ma tumultueuse maîtresse marche sur le gars Birthday, poings aux hanches.

— C’est dans votre pauvre tête capitaliste que vous avez conçu ce mauvais scénario, colonel ? Vous vous figurez qu’un savant soviétique de la classe de Bofstrogonoff va se mettre à plat ventre devant vous ? Qu’il vous livrera les fruits de ses travaux ? Pauvre utopiste ! Vous pouvez découper sa fille en menus morceaux sous ses yeux qu’il continuera de vous crier son mépris !

— O.K. ! soupire l’officier en abandonnant son siège.

D’un geste calme, il attrape la chaude plisse et l’enfile à la hussarde.

— Pas d’autres questions ? demande-t-il à la ronde.

Je lève le doigt. Il me regarde avec un regain d’intérêt (à dix pour cent).

— Que désirez-vous savoir, commissaire ?

— Le nom de votre eau de toilette, colonel, je n’ai jamais reniflé un truc plus suave !

Birthday éclate de rire.

— O.K., suivez-moi, je vais vous en offrir un flacon. Les petits cadeaux entretiennent l’amitié, comme l’on dit chez vous !

XVI

JEUDI 11 HEURES

(L’HEURE DU BOUILLON)

Il est arrivé à ski-doo à notre cabane. Je comprends la raison de cette motorisation une fois que j’ai pu apprécier la distance séparant notre cabane de son P.C.

Malgré la couverture pliée en quatre sur la selle de l’engin, et qu’il me conseille de jeter sur mes épaules, je suis mort de froid lorsque nous parvenons à destination ; bien que je me sois blotti derrière son large dos.

Je la croyais immense, cette base alaskienne. Erreur : elle est gigantesque. On parcourt au moins trois kilomètres avant d’arriver chez Birthday. Chemin pétaradant, on passe devant des groupes de bâtiments, des hangars, des bois de sapins.

Notez, on a toujours tendance à appeler tous les conifères des sapins. En réalité, il s’agit là de mordicus persistants à valvules circonflexes. Vous savez que moi, sans être un botaniste distingué, j’ai la marotte des conifères. Je vous l’avais jamais dit ? Ben vous ne l’ignorez plus maintenant ! Mon beau sapin, roi des forêts… Ça doit remonter à mes Noëls d’enfant, cet amour du sapin.

Quand je cannerai, je défends qu’on m’embourbe dans un lardeuss de chêne. Énergiquement ! Ce serait trop gland. Je veux du sapinuche pur sucre ! Du tout venant pas vernis, moucheté de beaux nœuds roses.

Constatant mon intérêt pour la chose sapinière, m’man m’avait offert un bel album de chez Payot (Lausanne, Suisse) où de baths planches en couleur racontaient toutes les catégories de conifères. (Fatalement, fallait des planches pour raconter les sapins !) Sur ce majestueux bouquin, on expliquait ce qui les différenciait les uns des autres, les conifères. Leurs feuilles quelquefois caduques. La forme de leurs branches. La qualité de leurs pommes. On peut pas se figurer, lorsqu’on est aussi analphabètes (et méchants) que vous, le nombre d’espèces existantes. Des conifères à épines, tenez ! Vous le saviez pas, hein ? Des qu’ont la forme d’un pébroque, d’autres qui ressemblent à des champignons. Certains qui se différencient mal des arbres normaux. Et puis des minuscules, bien nains, et des géants. Leurs manies aussi, à ces bons arbres. Leurs délicatesses pour certains. La manière qu’ils supportent pas les promiscuités. Foutez un marronnier tout près d’un sapin, par exemple, et vous verrez comme le second s’étiole. Il lui pousse pas de branches du côté marronnier. Il est blessé, étouffé par ce voisinage. Par contre, plantez des sapins très serré, vous constaterez qu’ils fraternisent. Leurs branches se glissent l’une sur l’autre.