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— Eh ben dis donc ! s’exclame le Mastar, il marche au mazout, ton beau-dabe ! Tu parles d’un vicelard, mine de rien ! Ah ! la vieille frappe ! Comment qu’elle cache son jeu ! Et devant sa grande fifille encore ! Si tu voudras mon avis, dans cette famille que t’es tombé, ils sont menés par les sens. J’ai vu bien des gendres s’embourber leur belle-mère histoire d’économiser leur légitime, mais des qui calcent beau-papa c’est plus rarissime !

Tandis que se dévide le lamento bérurien sur ce que mon ami croit être des instincts familio-homosexuels, je chuchote à l’oreille du camarade beau-père :

— Quoi qu’il se passe, ne leur livrez rien et méfiez-vous des micros branchés dans cette pièce.

Tout ça le temps d’une accolade.

Boris Bofstrogonoff acquiesce d’un air pénétré.

Il ne demande pas d’explications superflues. C’est un homme qui vit hors des considérations secondaires… Des micros, mes ravissantes, croyez-moi, y en a plein la piaule. Comment je les ai retapissés fastoche, malgré l’astuce de leur planque ! Figurez-vous que le plaftard et le haut des murs sont garnis de plaques isolantes perforées. Un velours quand on veut dissimuler ces petits indiscrets, mes jolies chattes. Si bien qu’on vit en stéréo dans ce baraquement. Doivent pas louper un seul de nos éternuements, ces bons bougres…

La môme Anastasia leur en cloque pour leurs frais d’installation, espérez ! Sa diatribe sur le capitalisme, la chiennerie américaine et la perfidie de ses méthodes empliraient les deux plages d’un 33 tours grand format !

Béru, good pâte, lui donne la réplique. Il condamne formellement, lui aussi. Pas exactement l’Amérique, il s’en tamponne, mais ceux qui nous séquestrent.

Agacé par ces vitupérations stériles, je m’isole afin de mieux gamberger. Faut un drôle de démêloir à idées pour venir à bout de cet écheveau, croyez-moi. Pas pleurer sur sa potion au phosphore, ma doué ! Lorsque j’empoigne un bout de fil, il me conduit droit à un nœud tellement serré que je sais plus si c’est le même fil qui continue ensuite.

Je pense aux 627 bonshommes morts empilés dans le hangar… Au plan de Joe Birthday… Et surtout oui, surtout, à la présence de ma chère Félicie au milieu de tout ce bigntz. Je me dis que si on arrive à se dépatouiller de ce pesant merdier (et on y arrivera sûrement, sinon mon éditeur pousserait une drôle de frite !) je raccrocherai. Finie la poule ! J’achèterai un bureau de tabac ou une papeterie avec nos éconocroques, et ma vieille tiendra la caisse pendant que je ferai du rentre-dedans aux jolies clientes… Classe à la longue ! À force d’à force on y laissera nos montants dans ces noirs pastis !

Mon petit San-Antonio, tu tiens les rênes d’un char romain dont on aurait scié les essieux. Si ça gaufre, tchao, les potes : vous allez tous à l’équarrissage, toi et tes camarades d’infortune.

Y a que deux manières de se comporter dans la vie : comme un con ou avec brio. Si tu n’optes pas pour la seconde éventualité, vous pouvez préparer vos Ausweis pour l’au-delà.

Parce que enfin, mes greluches chéries, malgré vos petites cervelles ajourées, vous vous doutez bien qu’après l’échec ou la réussite de leur plan, ces bons messieurs de la base ne nous remettront plus dans le circuit. Plus jamais ! Ce serait trop risqué ! Vous nous voyez radiner en force chez Pierrot Lazareff pour lui étaler nos Mémoires ? Et je cause pas des incidents diplomatiques qui en découleraient ! Croyez-moi ! Il est écrit en lettres de feu, notre destin, mes frères ! Avec des tentures noires semées de larmes d’argent comme toile de fond.

— Tu viens faire un tour ? proposé-je au Gros.

— T’es pas dingue ! s’insurge-t-il. T’t’à l’heure j’ai voulu sortir pour lancebroquer vu qu’avait une dame aux lavabos et j’ai cru pisser du verre pilé ! Zézette était devenue une succursale de Murano !

— Mets-toi des couvrantes sur les endosses et viens faire un tour !

À mon ton, ce brave chien de chasse comprend que j’ai besoin de lui parler en privé. Docile, il s’affuble d’une couvrante et me suit.

La neige est immobile car la bise a cessé. On décèle même des promesses de soleil dans le ciel gris.

— Courons, dis-je à Pépère, ça ravigote !

On se fait un trot dételé entre les baraquements derrière les vitres embuées desquels on aperçoit des visages malgracieux. Ce qu’il y a de plus déprimant peut-être dans ce camp, c’est l’absence de toute agitation. On dirait une cité morte. Un pays évacué. Tout est figé, silencieux. La seule note réconfortante, c’est la fumaga sortant des cheminées.

Béru file des coups de périscope de droite et de gauche. Lorsque nous arrivons à l’orée du premier bosquet, il s’arrête et se retourne. Un gros nuage blanc l’environne.

— Ma cabane au Canada, je la voyais autrement, halète mon pote en considérant les mornes constructions disséminées dans la neige.

Puis, intéressé :

— Tu voulais me causer, m’sieur l’baron ?

— Oui, Béru. Tu vois ces arbres ?

— Les sapins ?

— Ce ne sont pas des sapins, grosse pomme, mais des mordicus

— On dirait des sapins, insiste Sa Majesté.

— Seulement ce sont des mordicus ! Note que leurs branches ne sont pas pendantes, mais orientées vers le haut et que leur feuillage est d’un gris bleuté. En outre, leur tronc est tordu, ce qui est exclu chez les sapins…

Le Dodu pose sur moi un regard gélatineux.

— C’est pour me causer de ces faux sapins que tu me fais sortir par un froid sibérien, Mec ?

— Oui, mon chéri.

Il en crache de mépris, ce qui produit un grand trou dans la neige.

— Alors, je risque la pneumonie double, la conjonction pulmonaire, la grippe-donc-Con, le rhume des foins ! J’ai les valseuses gelées au point que je devrai me les ramollir au chalumeau. Quand je glaviote, c’est des cailloux qu’arrivent dans la neige ! J’ai la viandasse tellement en transite qu’il faudrait pour me réchauffer un brin, que je me fasse bouillir au bain-marie, et tout ça pour que môssieur vinsse me causer sapin ! Dis donc, Sana, t’aurais pas morflé un coup de gel dans le vase d’expansion, des fois ?

— Calme-toi, Gros. Je voulais simplement t’apprendre une chose, loin des micros indiscrets…

— Ah parce que tu crois qu’on est branché sur Luxembourg dans notre cagna ?

— Faut être aussi truffe que toi pour en douter !

Il est tout honteux, l’inspecteur Béru. L’aime pas être pris en flagrant délit d’imprévoyance.

— Tu voulais m’apprendre quoi t’est-ce ?

— Le mordicus à valvules circonflexes que tu vois là est un arbre extrêmement rare, Béru.

— Ah bon ! Merci du tuyau, j’en prendrai une bouture quand je rentrerai à la maison. Tu crois qu’il viendra bien sur le balcon de not’ salle à manger ?

— Non, mon père, il ne viendrait pas car il n’existe qu’un endroit au monde où il vient, le mordicus.

— Au Ca-na-da, récite l’élève Alexandre-Benoit Bérurier.

— Non, Béru. Il n’a jamais poussé un seul mordicus à valvules circonflexes sur le continent américain ! Il ne vient qu’en Sibérie septentrionale !

Un silence succède.

Puis le Gros demande :

— Alors pourquoi qu’en a ici ?

J’explose :

— Parce que nous sommes en Sibérie, eh, patate !