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Ils en sont restés à la canaillerie façon Carco. Aux truands à gâpette et à rouflaquettes. Le cordéon (c’est masculin, pourquoi toujours dire la cordéon ?). La guincherie chaloupée. Le frotti-frotta musette. Renoir, avec son Moulin de la Galette, a plus fait pour le prestige de Pantruche que tous les sadiques de l’initiative.

Je me la suis donc dégringolée en souplesse, Natacha. À la française. La pression de paluche, l’œillade fondante, le bisou volé ! Et allez donc ! Une pucelle, slave de surcroît, pouvait pas résister à de tels assauts. En quatre jours je me l’étais annexée. Elle nageait en plein sirop, la demoiselle Bofstrogonoff ! Restait plus qu’à lui demander sa paluche. Le temps pour elle de consulter l’ambassade et elle me l’accordait, avec estampille du papa.

Jusque-là, j’ai tenu le choc à cause de sa petite camarade dont la présence et le pouvoir magnétique me flanquaient du lyrisme jusqu’au fond du kangourou. Me suffisait de contempler Anastasia et de me laisser aller dans les évanescences. Comme elle servait d’interprète, ça baignait dans l’huile d’olive, comprenez-vous ? En fait c’était à elle que je débitais mes déclarations en flammèches. Les trucs sur son regard pareil aux sources de la Volga, sur sa voix qui me faisait penser aux murmures du vent dans les herbes de la toundra, sur son teint semblable à un rayon de soleil dans les branches enneigées et autres biscorneries du même tonneau, j’avais pas de difficulté à les débiter vu que je fixais Anastasia et non Natacha pendant la séance. Seulement (j’y reviens car c’est ma hantise) elle sera plus à mon côté pour m’assister, cette noye, la sublime créature. Faudra que je me mette seulâbre à l’établi. Que je force ma nature, que je mobilise mes talents. Que je m’exhorte au sacrifice.

— … les v’là donc qui va se barrer dans la vie, la main dans la main, les yeux dans les yeux, continue Bérurier dont la trogne violine s’embue sans but. Les v’là qui va fonder un foyer franco-russe comme l’entremets du même nom. Y vont se mijoter des chiares moitié beaujolpif moitié vodka. En qualité d’en tant que témoin, mon vieux San-A., je me tourne vers tézigue tout espécialement pour te recommander de ménager ce p’tit être qu’arrive de son patelin perdu. T’as toujours z’été un rapide de la tringle, un surmené de la membrane fureteuse. Je peux bien le réclamer[6] aujourd’hui, à part un autre que je connais bien et dont auquel je peux pas dire le blaze, biscotte ma bourgeoise est présente, y a pas pire défonceur de sommier que técoince, San-A. Des bergères, tu t’en as écossé un drôle de paxon, garnement ! Mes portugaises en ont entendu bramer plus d’une dans les hôtels où qu’on a traîné nos aumônières en peau d’homme ! Ah, mon gueux, ce que t’a pu leur bricoler, on le saura jamais. La toupie mongole par-ci, le presse-purée bulgare par-là ! Des combines jouissives qu’à côté desquelles les délices des gais-chats japonaises sont aussi anodins[7] que le catalogue de la Redoute.

Semblable au cordonnier surmené, Béru reprend haleine.

— Seulement, aujourd’hui, reprend-il te v’là marrida, mon pote ! Une épouse, si tu me permets de me permettre, ça se carambole pas à la tagadagada-veux-tu. Surtout que si j’en crois mon petit doigt, la tienne est franco de port et d’emballage. La percute pas à la cosaque, malgré qu’a soit ruskoff, tu risquerais d’y démembrer le moral et de lui faire péter un joint de culasse. Respec la période de rodage, mon salaud ! Si tu te mets à lui trépigner dans le magasin à folies, l’aura une mauvaise idée de la France. À se dira qu’elle eusse eu meilleur temps de se farcir un bachelier de la vodka. Y a qu’à mater ce trésor pour comprendre que sa vertu est briquée aux enzymes, qu’à connaît ballepeau de la vie et de ses vessies si tudes, qu’elle a jamais vu le moindre zifolard à ombrelle, cette mignonne. Alors fais gaffe de pas y épouvanter le baigneur, qu’ensuite elle serait trop matisée.

« T’as la veine de te faire une souris qu’a du moelleux dans la périphérie et qui cause pas français, abuses-en pas, San-A. Travaille-la en douceur, tout à la vaseline surchoix, camarade. Et surtout, t’hâte pas d’y apprendre notre langue ou d’étudier la sienne, car moins vous vous comprendrez, mieux vous vous entendrez !

« Là-dessus, mes drôles, je vous souhaite une nuit de noces éclatante sous une lune… de miel ! Comme cette petite mère n’a plus la sienne, pour le cas qu’elle aurait besoin des derniers conseils avant la séance de culbutos, Mme Bérurier ici présente, qui connaît pas le russe mais pour qui le sanitaire français n’a pas de secrets, se fera un plaisir d’y en donner avec planches esplicatives. » Ayant dit, il vient nous embrasser à pleines joues, nous engluant « ma femme » et moi de sa généreuse émotion.

Après son triple baiser à Natacha, Béru me déclare :

— Enfin une gonzesse qui se parfume pas ! Ce qu’elles me font tarter, les frangines, avec leur marotte de se fout’ de la reniflette ! Ça les dénature ! J’aime qu’une sœur sente son odeur personnelle, même si qu’elle serait rouquine. Avec celle-ci t’es bien tombé, San-A., réellement, parce que, je sais pas si t’as remarqué, mais elle sent la charcuterie fine.

II

MARDI 22 H 20

— Alors, mon petit, où en êtes-vous ?

— Presque à la minute de vérité, monsieur le directeur.

Il a un rire tellement sarcastique que le diable, s’il l’entend, doit le repiquer sur sa mini-cassette pour l’étudier à tête reposée. Ce rire-là, je voudrais l’arroser d’acide sulfurique. Non seulement il me propulse dans des abîmes d’angoisse, ce vieux hibou-genou-caillou, mais il a de plus le front (jusque de l’autre côté de la tronche) de se foutre de moi !

— D’où appelez-vous ?

— De l’auberge du Grand Cerf, monsieur le directeur, en déplorant de ne pas être le grand cerf en question.

— Votre… heu… épouse ?

— Procède à sa toilette nocturne, monsieur le directeur. Je vous appelle de la cabine de l’hôtel.

— Comment se présente la suite ?

— Plutôt mal, soupiré-je.

Il grommelle :

— Je ne vous parle pas de l’heure qui va suivre, San-Antonio…

— Je ne pense qu’à elle, monsieur le directeur. C’est un très sale moment à passer.

— Bast, vous ne serez pas le premier époux trop ému pour pouvoir consommer dès la première nuit. Votre carence, si vous savez vous y prendre, peut passer pour de la délicatesse. Quel est le programme de demain ?

— Moscou !

— Déjà ?

— On ne chôme pas à l’ambassade soviétique. Ces messieurs m’ont expliqué qu’il serait de bon ton d’aller faire la connaissance de mon beau-père en guise de voyage de noces. Ils ont ajouté que le gouvernement soviétique se faisait un plaisir de m’offrir le voyage, m’ont remis deux billets d’avion pour demain matin, ce qui est clair, net, péremptoire et précis !

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6

Il est probable que Béru a voulu dire proclamer.

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7

Pour le Gros, un vulgaire pluriel ne saurait féminiser des mots tels que délices ou orgues.