Bref, j’en saute, et des moins belles.
En panne de texte, j’improvise. On nous amène le champagne dans un seau à glace. Maintenant, il n’y a plus loin de la coupe aux lèvres. Trois gorgées et Dora quitte son pull… Cinq et elle se laisse dégrafer son futal. Je vous vois rougir déjà, les potes ! Bande de tourmentés du sous-sol ! Vous croyez que je vais vous raconter la séance ainsi qu’il m’arrive de le faire dans mes moments d’épanchement (comme dirait mon amie Synovie). Eh bien, vous pouvez toujours courir et vous racler la colonne vertébrale avec un rince-bouteille ! Pas la peine de vous faire briller les lampions de cette façon ! Vous me débecquetez, tiens ! Ah, mes vicelards, vous aimeriez savoir comme ils sont carrossés, les roberts de Dora, hein ? Des nèfles, je ne vous dirai pas qu’ils sont en forme de poire williams (ceux que préférait Shakespeare), ni qu’ils sont fermes comme des pommes vertes et doux comme des pêches mûries au soleil. (C’est simple, cette môme a un verger dans son corsage !)
Vous voudriez que je vous raconte son ventre plat, ses soupirs, ses baisers brûlants ? Hein ! Allez vous faire f… (Je ne suis pas poli, mais je suis de bon conseil) !
Jamais, vous entendez, jamais plus je ne me complairai dans des descriptions de ce genre. N’oubliez pas que l’Académie me guette. Vous voyez pas qu’un gnard se lève pendant mon discours de réception et dise : « Monsieur, dans un de vos romans vous avez écrit… Je lui fais le truc du Cacheteur-d’enveloppes, ce qui la fait sauter au plafond… Et plus loin : Je lui réussis la Bissectrice-ombilicale, le Pousse-pousse-cambodgien et le Sous-marin-en-cale-sèche… Non, vous voyez la bouille que je ferais ! Dites, imaginez la scène ! Moi stoppé net au milieu de mon éloge du maréchal Fouignozoff (qui sauva l’argenterie de sa famille de l’invasion allemande et organisa la défense de Delatour lors des championnats du monde d’échecs), ce serait le scandale ! Faut se méfier, je vous jure ! On n’a pas le droit de jouer avec sa carrière ! C’est trop lourd de conséquences. Les gens se figurent que le temps passé s’effrite, tombe en poussière… C’est pas vrai pour les pedigrees. Parce qu’ils accèdent aux honneurs, ils oublient les cacas qui jalonnent leur route… Mais le monde est plein de ramasseurs de crottins qui courent vous attendre sous les dais dorés de la réussite pour flanquer vos vieux excréments à travers l’auréole…
Voilà pourquoi je ne puis vous dire que je m’offre avec Dora Réveillon une partie de bête à deux dos à côté de laquelle Bonaparte aurait l’air d’un veau avec sa bataille de Marengo.
C’est la grosse, complainte des sommiers outragés ! C’est le pont des soupirs… C’est le gros turbin. L’union sacrée de la police avec la bourgeoisie ! L’alliance du poulet et de la sardine ! Mais bref, qu’il n’en soit pas question ici. Je veux consacrer à ces pages la pureté virginale du papier blanc. Un de ces jours, j’écrirai mes bouquins à l’encre sympathique… Et puis enfin, lorsque j’aurai pleinement réalisé mon retour sur moi-même (je suis des cours du soir d’homme serpent) je ne les écrirai plus. Et alors, vous aurez dans vos bibliothèques les plus purs de tous les livres… Deux cent vingt-quatre pages de papier blanc, mes petits, parfaitement. Sans un mot grossier, sans une faute de syntaxe, sans une répétition, sans un subjonctif qui déconne, sans le moindre passé simple déficient !
Un livre pour rêver… Un livre pour comprendre toutes les grandes vérités à travers les âges, d’Homère à Montaigne, de Voltaire à Françoise Sagan on essaie de dégager de la tourbe humaine. Le livre du silence et de la méditation ! Mais m’éditera-t-on encore ? That is the question[17] !
C’est un être victorieux, provisoirement détruit mais prêt à renaître de ses ruines après une nuit de sommeil, qui regagne sa chambre.
La chambre numéro 4 qu’occupa Bérurier, ne l’oubliez pas !
Les grandes amours sont comme les grandes douleurs : elles sont muettes. Muettes mais bruyantes ! Quand je quitte la chambre de ma princesse, il y a gros rassemblement dans l’escalier : Marthe, le patron, le plongeur, Durandal, le grainetier (la présence de ce dernier est légitime, car il est lieutenant des pompiers).
Aussi suis-je confus en faisant mes quatre pas dans le corridor.
Je me hâte de relourder derrière moi.
CHAPITRE VIII
Chambres[18]
Cette piaule est légèrement plus grande que l’autre et sa fenêtre donne sur la cour (chacun donne ce qu’il peut et où il peut, comme dit l’abbé Laquête !).
Je me déloque en moins de temps qu’il n’en faut à un carré pour constituer deux triangles et je me zone avec un soupir de soulagement si intense que ça soulève les rideaux de la croisée.
Comme je m’apprête à éteindre, je commence à réfléchir ; et vous ne l’ignorez certainement plus : lorsque je réfléchis, il n’est pas dans tout Venise un miroir qui puisse me faire la pige.
Prenez pas votre air le plus gland et écoutez-moi.
Je me dis exactement ceci : c’est dans cette chambre que Réveillon a passé sa dernière nuit avant de s’escamoter. Bérurier idem… Et Pinaud est venu également là avant d’accomplir son chétif destin de protozoaire sous-alimenté. En sortant de cette pièce, les trois hommes ont disparu… Bérurier est allé louer une auto pour remonter en direction de Boulogne… Pinaud aussi. Qu’avaient-ils découvert, ces chéris ? Seulement qu’un homme vêtu de noir et portant des lunettes était arrivé de cette ville le matin de la disparition de Réveillon. J’en viens à me poser la question suivante : connaissant mes loustics comme je les connais, le simple fait de savoir que Réveillon avait rendez-vous avec un homme venant de Boulogne justifiait-il un voyage dans cette ville ? Franchement, je ne le pense pas. Car rien ne laissait supposer que l’homme en noir venait chercher le marchand de poissons en boîte, pour retourner avec lui d’où il arrivait !
Vous mordez bien le paysage ?
Donc, le Gros a dû trouver un indice. Et il l’a trouvé dans cette chambre puisque c’est ici qu’il a pris la décision de louer une guinde.
Je décroche le tubophone. La voix grasse comme une bassine à friture du tôlier me répond.
— Un renseignement, patron. Avez-vous loué la chambre 4 à d’autres voyageurs entre la nuit que M. Réveillon y a passée et celle où mon gros flic y a dormi ?
La réponse est brève, rapide, catégorique et en trois lettres :
— Non !
— Qui fait le ménage ici ?
— Ben, Marthe, voyons !
C’te question ! C’est la bonne à tout faire, quoi !
— Pouvez-vous lui demander de venir ici un instant ?
— D’accord.
Il raccroche en beuglant : « Maarthe ! Y a le flic qui te demande. »
M’est avis que je chanstique la paix morose de cet établissement.
Mon micmac commence à leur paraître un peu bizarre, à ces aimables gargotiers.
Toc-toc !
C’est la soubrette. Elle boude because les échos de ma partie de pic pneumatique. J’essaie de la dérider avec mon sourire 119 ter particulièrement recommandé pour les bonnes d’enfants, les demoiselles des postes et les assistantes sociales.
17
18
Quelle concision, hein ? C’est fou ce que j’arrive à faire sobre quand je m’en donne la peine.