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— Dites, trésor aimé…

Là elle se fend le tiroir.

Elle s’approche, la croupe nonchalante.

— Quoi ?

— La semaine passée, lorsque M. Réveillon est parti d’ici, vous avez fait la chambre, naturellement ?

— Bien sûr.

— Je vois que vous avez l’air intelligent et j’en conclus que vous comprendrez merveilleusement ma question. Voilà : vous n’avez rien trouvé, par hasard, en faisant le ménage ?

Elle se rembrunit.

— Je suis t’une honnête fille, commence-t-elle. Quand je trouve quelque chose, je le porte au patron.

Le jour où elle trouvera des méninges en bon état, elle pourra les garder.

— J’en suis persuadé, m’empressé-je. Aussi je ne voulais pas parler d’un objet, mais d’un détail qui aurait accroché votre attention. Il y a des clients qui emportent les cendriers, d’autres qui cassent leur verre à dents… Vous voyez ce que je veux dire, mon enfant ?

Son fin visage s’illumine comme une nuit de 14 Juillet.

— Oh oui !

Je la laisse réfléchir tout en lui massant nostalgiquement les soubassements pour la mettre en confiance. Que va-t-il surgir de ce front large de trois centimètres ? De ce regard limpide comme un chapitre de Jean-Paul Sartre ? De ce cerveau minutieux qui produit un bruit de vélo mal graissé ?

J’attends, anxieux… N’osant ni proférer un son, ni stopper mon massage…

Enfin elle parle :

— Oui, fait-elle, y avait quelque chose… Je me demande comment vous avez pu le savoir, c’est formidable…

— Quoi ? croassé-je.

— Un morceau de carte Michelin…

— Vous dites ?

— Ben oui, vous savez, un truc où qu’y a des routes marquées !

Charmante linotte ! Elle m’explique, à moi, le superman des services secrets, ce qu’est une carte routière !

— Je sais, je sais, ma tendresse !

— Ce que vous dites de jolies choses, roucoule cette colombe apprivoisée !

Mais elle, c’est pas dans le bec qu’elle se cloque le rameau d’olivier.

— Faites pas attention, je suis bucolique, ça vient de naissance, la sage-femme qui a assisté Môman se parfumait à la violette.

« Vous disiez une carte Michelin… Où l’avait-il laissée ?

— Dans un tiroir de la commode.

— Une carte de quelle région ?

Elle ouvre une bouche qui lui permettrait de fumer un cigare de Churchill.

— Comment ça ?… C’était une carte Michelin, quoi !

Inutile d’insister. Sa formation scolaire ne va pas au-delà d’une ligne de bâtons sur du papier quadrillé.

— Évidemment, suis-je bête. C’était une carte Michelin. Elle n’avait rien de particulier, cette carte, ma douce enfant ?

— Y en avait juste un morceau, et y avait un grand cercle rond écrit dessus au crayon rouge.

— Un cercle rond, murmuré-je, voilà qui me paraît suspect, n’avait-il pas la forme d’un pléonasme ?

— J’sais pas, avoue-t-elle, nettement dépassée.

— Peu n’importe. Ensuite, qu’avez-vous fait de cette carte Michelin, farouche beauté ?

Elle s’assied carrément sur le paddock, passe la main sous les draps et demande la communication pour Prends-Moi-Tout-les-Bains. On lui répond qu’il n’y a pas de circuit pour le moment et qu’il faut patienter quelques instants… Elle décide alors de répondre à ma dernière question.

— La carte, bafouille-t-elle, ne sachant plus très bien où elle en est… La carte ? Ah oui… Bon… Je l’ai laissée dans la commode, parce que là elle craignait rien. Comme le 4 c’est la chambre à M. Réveillon, je m’ai dit qu’il la retrouverait la semaine d’après !

— Fort bien raisonné, ma suprême enjôleuse, et ensuite ?

— Quand le gros policier a logé ici, il a pris la carte…

— Vous en êtes certaine ?

— Oui. Le matin qu’il est parti, il l’avait à la main…

— Il m’a demandé si c’était bien M. Réveillon qu’avait oublié ça. J’y ai dit qu’oui. C’est du coup qu’il a demandé pour louer une auto.

Bravo. Cette fois je commence à piger… Le Gros est allé faire une virouze à l’endroit marqué sur la carte. Et c’est là qu’il lui est arrivé un turbin. Ouais ouais ouais ! Seulement, ça ne m’explique pas que Pinaud ait agi de même puisqu’il n’avait pas trouvé la carte…

— Chérie inoubliable, avez-vous parlé de cette histoire de carte au deuxième policier ?

— Non.

— Vous l’avez accompagné lorsqu’il a visité cette chambre ?

— Oui.

— Qu’a-t-il fait ?

— Il a regardé partout. Puis il a pris le buvard du sous-main, là… Il l’a regardé dans la glace comme au cinéma. Vous n’avez pas vu L’assassin mange sa soupe avec Pécho-Siro ? Y a un policier qui lit les buvards à l’envers…

Oubliant que je suis nu comme Yul Brynner, je bondis au sous-main.

Je trouve un buvard neuf. Du coup mon excitation tombe et je l’utilise comme cache-sexe (chez Pinaud ce serait un cache-misère) pour rejoindre ma base.

— Qu’est devenu l’ancien buvard ?

— Le vieux l’a gardé !

Merde arabe ! on en apprend des trucs au fur et à mesure. Ces gens-là, faut une cuillère à café pour les vider. On ne réussit à en attraper qu’un tout petit peu à la fois…

— Qui s’était servi de ce buvard, ma lumière d’été ?

— Le Gros, il m’avait demandé du papier z’à lettres et n’une enveloppe.

Bing ! Le Béru m’avait fait un rapport. Il ne l’a pas posté avant de se faire mettre hors commerce, mais le rusé Pinaud a trouvé le buvard et y a lu des renseignements capitaux.

S’agit maintenant de savoir où ces trois messieurs se sont rendus ! Pas moins ! Demain sera une journée décisive…

— C’est tout ce que vous avez besoin ? murmure Marthe.

Son regard languissant exprime le plus vif espoir !

Pourquoi la décevrais-je ?

Toute peine mérite salaire (selon Georges Arnaud). Ce n’est pas la première fois que je distribue des billets d’extase à deux dames coup sur coup ; et croyez-moi, les gars, ce ne sera pas la dernière.

Je suis comme le Sahara, j’ai des richesses inexplorées qui épatent le monde.

La petite Marthe s’en rend compte.

Lorsqu’elle s’en va, elle fait penser à la retraite de Russie. En plus exténué.

* * *

Je pionce comme un loir (une Loire-Inférieure, une Haute-Loire, un Loiret et un Loir-et-Cher) jusqu’à huit heures du matin.

C’est un coq qui me réveille. Il a la voix d’Aznavour, en plus mélodieux, et il veut que ça se sache.

Je me lève en soupirant, je gagne le cabinet de toilette et une douche froide achève de me mettre dans une condition physique optima. J’ai les joues râpeuses, mais comme il est relativement tôt, j’irai me faire raser la couenne par le merlan du cru tandis que ma Dora se fera la beauté d’usage.

Frais comme rose de mariée, je vais toquer à la chambre de Mme Réveillon. Personne ne me disant d’entrer, j’actionne la chevillette pour faire chérir la bobinette.

La chambre est vide. Pas plus de Dora Réveillon que de musique d’orgue dans la réserve d’un juke-box[19].

Elle s’est levée tôt, ma belle maîtresse. Je ne l’aurais jamais estimée aussi matinale. En général, les pétasses de son rang ne voient guère le jour avant midi.

Je bigle autour et alentour (sans les confondre) et je constate que sa valise n’est plus là.

Elle l’a déjà descendue !

Aussitôt, les coudes au corps, je fonce dans l’escalier.

En bas, la salle est vide. Je me mets en quête d’une âme qui vive et je dégauchis le patron dans l’arrière-salle, très occupé avec Marthe. La petite serveuse est accoudée à une table comme à un bastingage et cet enfoiré lui fait le coup des bateliers de la Volga que c’en est une honte !

Cette pauvre môme a vraiment fort à faire dans cette maison.

J’interromps les réjouissances d’un tonitruant :

— Mande pardon, m’sieur-dame, qui les fait sursauter, ce qui, dans la position où ils se trouvent, n’est pas une mauvaise chose.

Je chique au gars qui trouve ça très naturel :

— Vous n’avez pas vu Mme Réveillon ? m’enquiers-je…

— Non, bredouille le marchand de plats cuisinés, pourquoi ?

— Elle n’est pas dans sa chambre…

Une débandade se produit chez le bonhomme.

— C’est donc ça que ce matin en me levant j’ai trouvé la porte de l’hôtel ouverte !

Du coup, je n’y entrave plus que pouic. Dora se serait fait la paire au petit jour ?

— À quelle heure vous êtes-vous levé ?

— Six heures !

Que déduire de tout ça ? Je suis plus perplexe qu’un sergent de ville qui vient d’entendre crier : « Mort aux vaches ! » Dora s’est-elle sauvée, ou bien l’a-t-on kidnappée à son tour ? Pourquoi serait-elle partie de son propre chef, hmm ? Allons, répondez au lieu de vous gratter le nez de cet air ahuri ! D’autre part, si on l’avait kidnappée, ça aurait fait un certain bruit que j’aurais entendu, puisque je me trouvais dans la chambre voisine. De plus, il est peu probable qu’on aurait songé à emmener aussi sa valise…

— On ne l’a pas appelée au téléphone, personne ne lui a apporté de message ou l’a demandée ?

Le couple secoue la tête avec un ensemble de duettistes. Il est vrai qu’ils ont l’habitude d’accorder leurs instruments.

— Non. Rien…

J’ai la sensation, pas tellement agréable, de ressembler bien davantage à un cornichon qu’à Louise Mariano. Des poulets comme moi, il n’en défile pas beaucoup dans ce restaurant.

Je souris.

— Parfait, murmuré-je. Je vois !

Je réclame ma note au braiseur de langue, je carme l’orgie de la nuit et je fiche le camp.

Caïn poursuivi par le lampion de Dieu jusque dans la fosse commune ne devait pas se sentir plus mal à l’aise que votre San-Antonio chéri. Il me semble que tout Montreuil est sur le pas de sa porte et se poire en m’apercevant. Vous savez ? C’est le flicard qui perd ses clients, ses hommes, ses maîtresses et la notion des réalités ! Pourvu que je n’aie pas paumé également la clé de contact de ma charrette ! Heureusement non, les voilà !

Je grimpe dans mon toboggan et je fais un démarrage à l’arraché. Je ne vais pas loin. L’autobus est là, qui barre la route. Je tressaille. D’après Durandal, Pinaud aurait employé ce mode de locomotion…

Je stoppe derrière le lourd véhicule dont le tube d’échappement crache une fumée noirâtre de moteur épuisé. Je bondis de mon tréteau et parviens à la hauteur du chauffeur au moment où celui-ci va démarrer.

— Arrêtez ! crié-je d’une voix de centaure.

Il me prend pour un client et rouvre la portière.

— Descendez, ajouté-je…

Comme il fronce les sourcils, je porte la main à la poche revolver de mon slip.

— Police !

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19

On se demande où je vais chercher des comparaisons pareilles !