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Je bigle autour et alentour (sans les confondre) et je constate que sa valise n’est plus là.

Elle l’a déjà descendue !

Aussitôt, les coudes au corps, je fonce dans l’escalier.

En bas, la salle est vide. Je me mets en quête d’une âme qui vive et je dégauchis le patron dans l’arrière-salle, très occupé avec Marthe. La petite serveuse est accoudée à une table comme à un bastingage et cet enfoiré lui fait le coup des bateliers de la Volga que c’en est une honte !

Cette pauvre môme a vraiment fort à faire dans cette maison.

J’interromps les réjouissances d’un tonitruant :

— Mande pardon, m’sieur-dame, qui les fait sursauter, ce qui, dans la position où ils se trouvent, n’est pas une mauvaise chose.

Je chique au gars qui trouve ça très naturel :

— Vous n’avez pas vu Mme Réveillon ? m’enquiers-je…

— Non, bredouille le marchand de plats cuisinés, pourquoi ?

— Elle n’est pas dans sa chambre…

Une débandade se produit chez le bonhomme.

— C’est donc ça que ce matin en me levant j’ai trouvé la porte de l’hôtel ouverte !

Du coup, je n’y entrave plus que pouic. Dora se serait fait la paire au petit jour ?

— À quelle heure vous êtes-vous levé ?

— Six heures !

Que déduire de tout ça ? Je suis plus perplexe qu’un sergent de ville qui vient d’entendre crier : « Mort aux vaches ! » Dora s’est-elle sauvée, ou bien l’a-t-on kidnappée à son tour ? Pourquoi serait-elle partie de son propre chef, hmm ? Allons, répondez au lieu de vous gratter le nez de cet air ahuri ! D’autre part, si on l’avait kidnappée, ça aurait fait un certain bruit que j’aurais entendu, puisque je me trouvais dans la chambre voisine. De plus, il est peu probable qu’on aurait songé à emmener aussi sa valise…

— On ne l’a pas appelée au téléphone, personne ne lui a apporté de message ou l’a demandée ?

Le couple secoue la tête avec un ensemble de duettistes. Il est vrai qu’ils ont l’habitude d’accorder leurs instruments.

— Non. Rien…

J’ai la sensation, pas tellement agréable, de ressembler bien davantage à un cornichon qu’à Louise Mariano. Des poulets comme moi, il n’en défile pas beaucoup dans ce restaurant.

Je souris.

— Parfait, murmuré-je. Je vois !

Je réclame ma note au braiseur de langue, je carme l’orgie de la nuit et je fiche le camp.

Caïn poursuivi par le lampion de Dieu jusque dans la fosse commune ne devait pas se sentir plus mal à l’aise que votre San-Antonio chéri. Il me semble que tout Montreuil est sur le pas de sa porte et se poire en m’apercevant. Vous savez ? C’est le flicard qui perd ses clients, ses hommes, ses maîtresses et la notion des réalités ! Pourvu que je n’aie pas paumé également la clé de contact de ma charrette ! Heureusement non, les voilà !

Je grimpe dans mon toboggan et je fais un démarrage à l’arraché. Je ne vais pas loin. L’autobus est là, qui barre la route. Je tressaille. D’après Durandal, Pinaud aurait employé ce mode de locomotion…

Je stoppe derrière le lourd véhicule dont le tube d’échappement crache une fumée noirâtre de moteur épuisé. Je bondis de mon tréteau et parviens à la hauteur du chauffeur au moment où celui-ci va démarrer.

— Arrêtez ! crié-je d’une voix de centaure.

Il me prend pour un client et rouvre la portière.

— Descendez, ajouté-je…

Comme il fronce les sourcils, je porte la main à la poche revolver de mon slip.

— Police !

CHAPITRE IX

Du neuf !

Sur la portière du car il y a marqué : Le Touquet. Et le chauffeur est un bon gros en blouse bleue qui doit se peigner tous les samedis avec un clou.

Éberlué, il coupe les gaz et descend de sa machine à battre.

— Qu’est-ce qu’y a ? s’inquiète-t-il, croyant avoir commis une quelconque irrégularité[20].

— J’ai un renseignement à vous demander.

Tout en parlant, je fouille dans mon portefeuille et j’en extrais une photographie représentant Pinaud à la pêche. Il m’a donné cette image un jour de largesse et je l’ai conservée parce qu’elle vaut son pesant d’hyposulfite.

Là-dessus, le vieux gland ressemble à un Terre-Neuva déguisé. Il porte des bottes-cuissardes qui lui donnent l’aspect d’un scaphandrier qui n’aurait pas eu de quoi compléter son équipement ; une veste militaire qu’il a achetée aux puces (sa marotte) et sur laquelle sont encore brodés des brandebourgs ! Enfin il est coiffé d’une casquette à carreaux ressemblant à une grille de mots croisés. Néanmoins, nonobstant cet accoutrement, sa bouille est très nette.

— Vous connaissez ce monsieur ?

Le chauffeur se fait sortir les gobilles.

— Y me semble, avoue-t-il. Mais quand je l’ai vu, il était pas habillé comme ça !

— J’ose l’espérer…

— Il avait un pardessus déchiré, un chapeau à bord rabattu…

— C’est bien ça… Il a pris votre bus ?

— Oui. Avant-hier, je crois.

— Nous sommes d’accord. Maintenant, tâchez de vous souvenir où il est descendu.

L’autre n’hésite pas.

— Sur la route entre Étaples et Le Touquet.

— Vous êtes certain ?

— Oui. Il s’était assis à l’avant et il regardait la route. À un moment donné, comme on passait devant un chemin, il m’a dit de l’arrêter !

— Il y avait un panneau de signalisation à cet endroit ?

— Oui.

— Quel est ce chemin ?

— Celui qui se trouve tout de suite après l’embranchement sur Berck.

— Parfait, je vous remercie…

J’abandonne le conducteur à son autobus et je rallie ma charrette.

Il fait une matinée splendide. L’air marin, à défaut de la douceur angevine, arrive de la côte (on ne voit d’ailleurs pas d’où il pourrait venir). Les petits oiseaux chantent dans les arbres. C’est un hymne à la vie auquel pourtant je ne prête qu’une oreille distraite. Trop de choses m’occupent, et m’inquiètent.

En pilotant mon véhicule automobile, je me dresse un petit résumé de la situation. J’aime procéder à un recensement des valeurs.

Qu’ai-je jusqu’ici ?

Une dame qui vient me trouver pour me dire que son marchand de poissons morts a disparu.

Un premier inspecteur lancé à ses trousses qui disparaît à son tour.

Un deuxième lancé à la recherche des deux quidams précédents qui ne donne plus signe de vie.

Ça, c’est la première phase de l’affaire.

Deuxième phase : je prends les rênes de l’attelage fantôme.

La dame du disparu insiste pour me suivre à Montreuil.

À Montreuil où j’apprends :

A. — Qu’un homme habillé de noir, portant des lunettes, est arrivé de Boulogne et a pris place dans l’auto de Réveillon au moment où celui-ci quittait l’usine.

B. — Que Réveillon avait laissé une carte Michelin dans sa chambre, et qu’un cercle rouge la compostait.

C. — Que Bérurier a trouvé ladite carte et, à la suite de cette trouvaille, est allé louer une voiture qui a été retrouvée sur la route, par la suite.

D. — Qu’avant de déhotter, le Gros m’avait fait un rapport écrit qu’il n’a pas eu le temps de poster et dont Pinuche a découvert des traces.

E. — Que ces traces ont amené le très honorable débris à filer dans la région du Touquet.

Bon, voilà qui est clair.

Maintenant, troisième phase.

Mme Réveillon qui a insisté pour me suivre. Qui s’est donnée à moi avec autant de fougue que je me suis donné à elle, a quitté l’hôtel avec armes et bagages avant le jour, pour une cause indéterminée et ce sans m’en avertir…

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20

De nos jours, on ne sait jamais avec les perdreaux. Pour vraiment être en règle avec eux faut avoir ligoté le Journal officiel du jour (dernière édition) et avoir acquitté le droit d’être en règle.