— Merci, petit. À bientôt.
Je raccroche. Me voilà regonflé. Pourquoi ? Ça, je serais bien en peine de vous le dire. Et d’ailleurs, si je vous le disais, vous ne comprendriez sûrement pas.
Deuxième partie
… AVEC BEAUCOUP D’ADRESSE
CHAPITRE X
Ah ! Ah !
Je quitte Étaples avec ma voiture et le sentiment très net que je suis dans le droit chemin, c’est-à-dire sur celui qui conduit au succès.
Le temps est de plus en plus beau, le soleil de plus en plus chaud, les oiseaux de plus en plus mélodieux et l’air marin de moins en moins angevin.
À ma gauche, la route de Berck ! Je relève un chouïa le pied, car c’est à la seconde route que je vire. À ce fameux carrefour de Locdu où Pinaud descendit et où fut retrouvée la voiture de Durandal, le vaillant colleur de rustines.
M’est avis, les gnards, que d’ici peu, pour ne pas dire plus, votre délicieux San-Antonio, le roi de la Minette-chantée, va avoir l’occasion de donner la pleine mesure de ses pectoraux.
V’là le chemin qu’on m’a causé. Il est tout blanc, comme sur les tableaux de Vlaminck, et il sinue dans les dunes en direction de la mer.
Le paysage est désert. Y a des cormorans ou assimilés qui font du vol à voile en poussant des cris de vieilles dames à qui on montre des photos cochonnes.
Çà et là, des maisons se dressent, fermées pour cause de morte-saison.
Je roule une paire de kilomètres sur cette voie déserte et je parviens à la mer qu’on voit danser le long des golfes clairs.
Elle étincelle de mille feux, de dix mille reflets, et de un million trois cent quatorze mille cinq cent vingt-deux lueurs argentées.
C’est féerique. Le soleil se joue sur la pointe des vagues, mettant des traînées d’incendie jugulé[23] sur la crête blanche des vagues[24].
La ligne d’horizon se dilue dans une brume dorée, marquée çà et là par la tache vive des bateaux de pêche. Le grondement infini de la mer compose une symphonie fantastique avec Lionel Hampton à la batterie. C’est infini, troublant, aqueux, salin, iodé, vivifiant et ça vous prend là, là et là (je ne fais pas de gestes, mais suivez mon regard).
La route se termine en un gazon galeux et se divise en deux sentiers qui s’en vont le long du littoral en un double ruban (je pars un peu en guimauve, mais le classicisme a ses obligations).
J’ai beau scruter à gauche et à droite, je ne vois que la côte blanchâtre, découpée par le Bon Dieu dans une terre stérile comme un mulet.
Ces sentiers se perdent sur la lande. Par temps clair, on aperçoit sûrement la côte anglaise, mais sûrement pas Pinaud, Bérurier et Réveillon, les trois chers disparus à leurs mémères. Le sentier de gauche mène à Berck (un si joli petit pelage, comme dirait Révillon ou Allégret) ; celui de droite au Touquet.
Pas la peine de m’y engager, j’aurais meilleur compte de m’engager dans les méharistes. C’est pas sur cette côte que je découvrirai mes potes, elle est en effet constamment arpentée par les chercheurs de crabes, et il y a belle lurette que ces bonnes gens auraient repéré les vieux crabes que je cherche.
Alors ?
Eh bien alors, mes paquets de nouilles fraîches, je dois me rendre à l’évidence, en attendant mieux : mes bonzes à roulettes se trouvent peut-être dans l’une des maisons qui jalonnent la route.
Elles m’ont toutes paru fermagas, mais il faut y regarder de plus près.
Je fais machine arrière, toute ! En tout, il y a une dizaine de propriétés. Je commence par le commencement, c’est-à-dire par mater leur cheminée. Bien que le soleil répande ses rayons de miel (en vente dans toutes les bonnes épiceries et chez le producteur) sur la nature engourdie, il fait un temps à ne pas oublier son lardeuss au portemanteau des bistrots. Pour pouvoir habiter une carrée de la côte, en cette saison, faut pas chialer sur l’anthracite de la Ruhr, parole !
Mais va te faire lanlaire, comme le dit si pertinemment la duchesse Lagout-Gnote du Monocle. Pas plus de nuage de fumée s’élevant, rectiligne, dans un ciel dégagé, que de Dunlopillo dans le pageot d’un fakir.
On peut parier Une nuit sur le mont Chauve contre une chauve-souris que si des naturels crèchent dans le quartier, ils se chauffent par catalyse.
Je suis plus perplexe qu’une dame ayant le choix entre André Claveau et Suzy Solidor. Que doit faire votre San-Antonio bien-aimé ? Hmm ? Je suis là, je vous pose des questions et vous ne me répondez jamais. Tout ce que vous êtes foutus de faire, c’est de tourner la page suivante pour voir comment je me suis débrouillé !
Ah ! vous alors, vous me la copierez. J’ai justement la crampe de l’écrivain depuis que je me suis fait une entorse en jouant à la belote !
Mais vous le savez pour l’avoir appris par voie d’affichage, je suis l’homme des grandes décisions (la dernière que j’ai prise mesurait deux mètres de long sur cent trente de large).
Je me chope par le revers du veston et je me tiens le langage suivant : « Mon San-Antonio joli. Puisque ton renifle-mystère t’a amené ici, c’est qu’il y a eu du louche dans le coin. Or, le louche, avec le Rouge Baiser, c’est ce qui laisse le plus de traces. À toi de les découvrir en faisant gaffe qu’elles ne prennent pas froid. »
Aussitôt pensé, aussitôt fait. Me v’là au labeur, les mecs. Je joue à la Gestapo sur le sentier de la guerre. Mon Cézame à la main, je commence l’exploration systématique des baraques alignées le long de cette petite route.
C’est un drôle de jeu, mais je suis vaillant[25].
J’entre dans la première et je trifouille la serrure avec application. Si jamais le proprio se la radine, ça va faire un drôle de pet !
Pour expliquer mon business, faudra certainement que je lui fasse de la géométrie dans l’espace avec mon poing. Mais qui ne risque rien n’a rien, assure ma chère Félicie qui n’a jamais osé traverser une rue au feu rouge.
J’inventorie la carrée sans résultat. Elle est vide. Il y a des toiles d’araignée, des plaques d’humidité, une odeur de moisi et de renfermé et des traces de boue sèche… That’s all !
Je passe à la suivante, à la troisième, à la quatrième… Ballepeau !
Ce turbin me prend un temps inouï. Lorsque j’ai terminé la visite des dix crèches, l’après-midi est très avancé pour son âge. Et moi je me retrouve comme une cloche qui se serait paumée le jour de Pâques en rejoignant sa base. Non seulement je n’ai découvert âme qui vive, mais z’encore ces dix casbas ne contiennent pas la moindre trace humaine récente. La poussière les saupoudre comme du sucre en poudre saupoudre des gaufres.
Force m’est de revenir à la mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs.
Je joue ma décision à pile ou face, comme on doit toujours le faire dans les cas graves. La pièce retombe sur le buste d’une aimable jeune fille au tifs longs, portant un bandeau au front (lequel a dû lui glisser sur les yeux depuis quelque temps) et qui s’appelle, paraît-il, République française.
D’après les conventions récentes prises avec moi-même, ça signifie que je dois prendre à gauche. Dont acte. Voilà donc le valeureux San-Antonio, l’homme qui remplace l’index et le café décaféiné en route pour Berck !
Au loin, je vois la localité nichée au bord de la Manche comme les galons rouges d’un caporal[26].
Je fonce, le nez traînant à terre, les yeux soudés au chalumeau sur la sente herbue.
Je parcours cent mètres, deux cents mètres, trois cents mètres, quatre cents mètres, cinq cents mètres, six cents mètres, sept cents mètres[27], etc. Lorsque soudain, je tombe en arrêt, sans me faire de mal heureusement, sur un minuscule objet qui me laisse plus rêveur que si on venait de me jouer la Berceuse de Jocelyn au fifre harmonique ou à la moulinette à légumes.
23
On se demande où je vais chercher tout ça. Mon subconscient doit faire des heures supplémentaires, sans doute !
24
C’est trop beau, je continue. J’écris carrément pour les manuels scolaires, vous ne pensez pas ?
25
Astuce compréhensible uniquement par les lettrés. Inutile que les autres prennent de l’aspirine.