Je mate dans les tiroirs des meubles, mais ceux-ci sont vides… Idem pour les placards, penderie, etc.
Nous caltons après avoir relourdé… Nous traversons le jardinet planté d’arbres jeunots que la brise incline et longeons le garage en léger. Je m’empresse de relever le volet de fer — après avoir parlementé avec la serrure — et quel n’est pas mon émoi de découvrir dans le garage une mahousse Chevrolet noire portant le numéro minéralogique de celle de Réveillon.
Voilà qui change la face des choses…
Premier résultat probant dans la recherche du marchand de marée.
Mes deux assistants émettent une double exclamation, ce qui vaut mieux que d’émettre un chèque sans provision.
— C’est la chignole à Réveillon ! affirme le Gros.
— Et comment !
Nous explorons le véhicule. Il ne révèle aucun indice. Pas de traces de lutte. Rien ! Dans le coffre, il y a deux caisses de boîtes de conserve que le bonhomme s’apprêtait à emmener à Pantruche au moment de sa disparition… Un point c’est tout.
— Tu vois que mon agresseur n’avait pas menti en me disant que Réveillon était venu ici, fait Pinaud…
Je hoche la théière. Moi, je trouve tout ça très troublant.
Pas vous ?
Voyons, v’là un type (l’agresseur) qui se trouve avec un poulet qu’il s’apprête à assommer. Pas à buter, à assommer seulement ! Et il lui fait des confidences en sachant qu’il y a de fortes chances pour que le poulardin aille porter le deuil sitôt sorti de son blockhaus ! D’accord, il pouvait y clamser d’inanition dans le souterrain, Pinuche… Mais étant donné que deux flics s’étaient déjà alignés dans les parages, l’autre devait bien penser que la maison Pébroque allait dépêcher de nouveaux représentants…
Tiens, ça aussi c’est surprenant… Le fait que l’agresseur soit resté dans les parages plusieurs jours après avoir estourbi Béru…
Où a-t-il logé pendant ce temps ? Pas à la villa, c’est sûr ! À Étaples ? Peut-être, mais quelque chose me dit qu’il n’aurait pas pris le risque de se faire remarquer dans une auberge de petit bled en pleine morte-saison…
— À quoi que tu penses ? s’inquiète Bérurier.
— On va risquer un petit coup, les potes !
— Quoi ?
Je leur déballe mon paquet :
— Écoutez ! Le type était ici lorsque toi, Béru, tu as amené ta fraise… Il t’a suivi et t’a fait le coup du lapin… Bon !
— Comment, bon ! proteste la gonfle. On voit bien que c’est pas toi qu’as dégusté. J’ai cru que mon crâne était le hall de la gare Saint-Lago et qu’un rapide rentrait sans avoir pu fermer ses freins !
Je ricane.
— T’as le bol en bronze, Béru. Y a rien dedans, mais il est blindé ! Ta bouille c’t’un coffre-fort vide !
— C’est malin !
Je continue :
— Donc, le quidam en question est resté ici (ou y est revenu) malgré le risque que ça représentait. Pourquoi ? Nous le saurons peut-être un jour… En attendant, nous devons nous poser la question suivante, mes bons camarades syndiqués : puisqu’il est revenu, il reviendra peut-être encore… Ne serait-ce que pour se rancarder sur votre sort, non ?
— C’est improbable, décrète Pinuchet.
Il est gâteux dans le civil, mais sur le plan professionnel il lui arrive encore d’émettre des points de vue cohérents.
— Vas-y, Sophocle, je t’écoute.
— Écoute, il a assommé Béru sans que celui-ci l’ait vu. Il pouvait donc penser que même si notre ami s’en tirait, il ne ferait pas de rapprochement entre ce coup de matraque et la villa… Tandis qu’à moi il m’a parlé. Il m’a dit qu’il habitait Boulogne… Que la villa…
Boulogne. Oui… Comme le mec qui est allé retirer le pognozoff de Réveillon à la banque.
Je tranche, mû par une brusque décision :
— Nous allons attendre la nuit dans la villa, après avoir planqué la tire derrière la maison. On ne sait jamais. Si à minuit rien ne s’est passé, on foncera à Boulogne, j’ai l’adresse du zig.
— Quoi ! bavoche Pinaud. T’as son adresse et tu l’attends chimériquement ici ?
Je souris délicatement.
— Ce matin, le type était à Paris. Il ne peut être à Boulogne avant ce soir. Et nous sommes sur le chemin de Boulogne… Ceci dit, exécution. Le premier qui la ramène aura droit à mon pied occulte ! On va bivouaquer. Vous savez très bien que j’ai des pressentiments qui ne trompent pas ?…
L’argument peut sembler un peu spécieux, pourtant il est sans réplique pour mes hommes. Ils savent que j’ai un sixième sens à transistor.
Nous planquons la voiture et bivouaquons dans le salon de la villa sans ouvrir les volets. Y a rien de tel que la pénombre pour reposer les citrons survoltés.
CHAPITRE XII
Bon appétit, messieurs !
Naturellement, Béru commence par ôter ses pompes.
— C’est ça qui m’a été le plus duraille, avoue-t-il en guise d’excuse : passer plusieurs jours sans poser mes pompes…
Une odeur indescriptible se répand dans la pièce.
— Tu devrais t’emmitoufler les targettes dans une couvrante, conseillé-je ; tu sais qu’on s’enrhume par les pieds…
— T’as raison !
Il chope une nappe brodée couvrant la table et s’enveloppe les pinceaux dedans. Ensuite de quoi il croise ses francforts sur sa brioche et se met à ronfler comme un moteur d’avion sur un banc d’essai.
Pinaud ricane :
— Ce Gros, il est incroyable… Voilà qu’il trouve le moyen de dormir, alors que nous sommes tendus comme des peaux de tambour !
Il se tait et commence à roupiller sans ajouter une syllabe de plus. Charmante compagnie, mes canards ! Avec deux vaillants troupiers comme ceux-là, je suis certain de gagner la bataille de la Marne.
Résigné, j’allume une cigarette et je réfléchis.
Il est possible que je me trompe (comme disait le hérisson myope qui voulait calcer une brosse à cheveux) mais mon moi-second, celui qui se réfracte sur le conditionnement évasif de ma mutation catalytique, me dit que M. Réveillon, à l’heure où je mets sous presse, doit se choisir une auréole à bord roulée au vestiaire de chez saint Pierre.
D’après moi, en tenant compte naturellement de l’incidence égocentrique de mon rasoir Sunbeam sur la déflagration protubérante des idiosyncrastes, le bonhomme a été victime d’un kidnapping savamment organisé (avec, j’en ai l’intuition formelle) la complicité de sa nana. On l’a attiré ici sous prétexte de lui montrer une villa qu’il entendait louer l’été afin, sans doute, de passer ses vacances à proximité de son usine. On l’a neutralisé et il a eu droit à un solo de lampe à souder sous la plante des pinces jusqu’à ce qu’il signe un chèque pour sa rançon.
Lorsque ledit chèque a été signé, on a dû lui offrir, à titre de prime, une gobille dans l’indéfrisable.
Je continue de penser jusqu’au moment où, entraîné par leur exemple, je rejoins mes deux compères au royaume des cauchemars !
Lorsque je m’éveille, la pénombre a disparu pour laisser place à l’obscurité intégrale.
Je me lève, fais quelque pas, et je marche sur quelque chose de volumineux qui est le pied gauche du gars Béru. Aussitôt l’intéressé se réveille et pousse une beuglante qui réveillerait une nécropole. Pinuche bâille. Nous revoici d’attaque.
Je vais remonter le compteur électrique et je donne la lumière.
— Tu vois que le bandit n’est pas revenu, bougonne Pinaud.
Pas fiérot, je murmure :
— S’il est venu, il a cru rappliquer sur l’aéroport d’Orly, le pauvre mignon ! De la manière dont nous ronflions… Ah ! on peut se vanter d’être des poulmen à la hauteur ! Le corps d’élite, oui !