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J’en veux à l’humanité entière.

Pour me calmer, la Pinuche affirme :

— J’ai le sommeil tellement léger que s’il y avait eu le moindre bruit, j’aurais entendu. Une mouche sur un pot de miel, ça me réveille !

— Mais pas le quadrimoteur de Bérurier ! nargué-je. Ce type-là, c’est la régie Renault à lui tout seul !

— T’as rien à dire, proteste le Mahousse. Quand tu dors, ça s’entend…

— On ne va pas se tirer la bourre ! proteste le vieux débris. On a mieux à faire…

Bérurier remet ses pompes en geignant. Ses cors se sont dilatés, à cause de la chaleur sans doute.

— J’ai encore faim ! dit-il.

Et comme preuve de ce qu’il avance, il nous fait entendre un borborygme significatif.

— Vous vous rendez compte ! Après une diète pareille, c’est normal.

— Tu ne penses pas que je vais encore te payer un gueuleton…

Je mate ma toquante.

— D’ailleurs, fais-je, il est trop tard… Dix plombes, tu parles, y a plus une lumière dans Étaples…

Le Gros rouscaille de plus en plus. Il dit qu’il va démissionner en arrivant. Ce métier de c… lui sort par les pores (qu’il a d’ailleurs dilatés et obstrués de crasse). On prend des gnons, on est absent de chez soi, donc cocu, on touche un salaire de misère, on est mal vu des commerçants de son quartier et en plus de ça, on ne peut même pas bouffer à sa convenance…

— T’as qu’à ouvrir une boîte de conserve, suggère Pinaud. Y en a plein le coffre de la bagnole à Réveillon.

L’idée séduit le Gros. Il quête une permission, je la lui accorde.

Aussitôt, le v’là qui fonce vers le garage…

— Qu’est-ce que tu veux, soupire Pinaud, il aime la jaffe, c’est sa seule joie…

Béru revient, épanoui. Il brandit une boîte de tripes à la mode de Caen… Son régal ! Il se lève la noye pour en manger… J’invente rien.

Dans la cuisine, il prend un ouvre-boîte rouillé, dégauchit sous l’évier une assiette ébréchée qui devait servir à faire bouffer minet et le voilà à l’attaque de sa boîte.

Il la décalotte en moins de temps qu’il en faudrait à un rabbin.

— Dégrouille-toi d’avaler cette charognerie, dis-je. On les met dès que t’auras fait le plein.

— T’occupe pas, j’en ai pas pour longtemps.

En effet, il vide sa boîte dans l’assiette. Pendant ce temps, n’ayant plus d’allumettes, force m’est d’allumer ma cigarette à celle que tète Pinaud.

Lorsque nos visages s’écartent, nous regardons Bérurier. Au lieu de bouffer, il est immobile. Ses yeux lui pendent sur les joues… Il ressemble à un bœuf qui vient de trouver un manuel sur la gravitation universelle. Un filet de bave coule au coin de sa bouche.

Il considère son assiette de ses yeux béants.

On fait comme lui.

Illico, Pinaud émet un vilain hoquet tandis que je sens mon estomac affluer à ma gorge.

Ce qu’il y a dans l’assiette, ce ne sont pas des tripes découpées en morceaux, mais une main…

Une très jolie main d’homme !

Je ferme les yeux, pensant être victime d’une hallucinante hallucination. Mais quand je les rouvre, la paluche est toujours là… Blême, un peu fripée.

— Qu’est-ce que t’attends pour déguster ? fais-je à la Grosse-Globule.

C’est le signal, le sauve-qui-peut… On se bouscule tous vers la sortie pour aller accrocher les wagons.

Au cours de ma putain de carrière, j’ai eu maintes fois l’occase de voir des débris humains, mais j’avoue que c’est la première fois qu’il m’est donné d’en voir « en conserve ».

Lorsqu’on a surmonté notre malaise, on se bigle tous les trois avec des yeux de poiscailles avariés.

— C’est impensable, déclare Pinaud.

J’admire son sens du raccourci (comme dirait le remplaçant de Deibler). Il vient de résumer magistralement la situation. Effectivement, c’est impensable…

Le Gros va récupérer l’ouvre-boîte et nous filons au garage. Mon valeureux compagnon me tend l’ustensile.

— Tiens, fait-il, moi je m’en sens pas la force…

Je montre un enthousiasme modéré.

— Non, c’est à Pinuche, décidé-je, il a une gueule de nécrophage.

Le vieux daim bredouille des protestations, mais s’empare néanmoins de l’appareil.

Il choisit la plus grosse des boîtes, du type cinq kilos. D’après l’étiquette, elle prétend contenir des haricots. Mais lorsque le père Pinuche la scalpe, nous trouvons dedans une cuisse humaine. Mince de jambonneaux, les potes ! P’t-être que Réveillon grattait pour l’exportation, ces boîtes devaient représenter le contingent cannibale, allez savoir ?

— Qui crois-tu que c’est ? questionne Béru.

Je me suis déjà posé la question in petto (car je parle couramment latin).

— Je suis prêt à te parier un louis contre un napoléon qu’il s’agit de Réveillon, en chair et en os !

Nous renonçons à ouvrir les autres boîtes. D’après leur nombre, il est aisé de conclure qu’elles recèlent un cadavre complet. C’est le nouveau jeu de puzzle très à la mode, mesdèmes ! Le Meccano-mec ! Une merveille, comprenez-vous ? Sans tournevis, sans colle forte, vous avez là un divertissement passionnant. C’est la joie des enfants, la tranquillité des parents. Une création de la maison Réveillon ! Envoi gratuit du catalogue sur demande. Voyez nos séries complètes… Nous faisons le gendarme, le garde champêtre, le maître d’école, le percepteur, le coureur cycliste ! Les boîtes d’emballage ne sont pas consignées !

— À quoi tu penses ? murmure Béru.

Pinaud ôte son chapeau et s’incline devant les boîtes. Il vient seulement de réaliser qu’il se trouve devant une tombe. La plus extraordinaire de toutes. Une tombe sans croix. Une tombe multiple…

— Alors, ronchonne le gros, qu’est-ce qu’on branle ?

— Filons, dis-je… Nous allons à Boulogne chez M. Lathuil…

— Qui c’est ça ?

— Le type qui a palpé le gros chèque ce matin. Il se peut qu’il ait fourni une adresse bidon, mais on doit s’en assurer !

— Et qu’est-ce qu’on fait de ça ?

Ça, se sont les boîtes de conserves.

— Pour l’instant, on va les laisser là. Mets les deux qui sont ouvertes dans le coffre de ma bagnole. Demain nous préviendrons l’Identité judiciaire.

Il nous faut une petite demi-heure pour nous rendre d’Étaples à Boulogne. Il reste encore un troquet ouvert sur la grande place et nous y entrons pour boire des choses réconfortantes. Naturellement, Bérurier en profite pour se faire servir un casse-graine.

Le mastroquet nous indique la rue du Professeur-Allacont. Elle est à deux pas d’ici, derrière la cathédrale. Je lui demande s’il connaît M. Lathuil, il me répond que oui. Point n’est besoin d’insister pour obtenir le curriculum complet du monsieur en question. En bref (comme disait Pépin) voici ce dont il retourne (comme dit Charpini).

Lathuil est préparateur en pharmacie. Il est originaire d’ici, mais il a travaillé à Paris jusqu’à la mort de son père survenue au début de l’année. Alors il est revenu s’installer dans la maison paternelle et a cessé toute activité. Il n’est pas marié. C’est un grand type blême, portant des lunettes de myope.

— Possède-t-il une propriété dans la région du Touquet ?

— Oui ; c’est là que son père allait passer ses vacances. Mais le fils Lathuil veut la louer…

Nanti de ces renseignements, je fais signe à mes guerriers de se lever et nous filons à l’adresse du préparateur en pharmacie.