L’immeuble est très vieux. M’est avis que si on ne l’a pas encore classé monument historique, ça ne saurait tarder.
Il est tout noir avec des vestiges gothiques sur la façade.
Le bas est occupé par un marchand de couronnes mortuaires, ce qui convient admirablement à l’atmosphère de cette rue tortueuse, bombée, aux pavés gras… Si j’étais metteur en scène de cinoche, je viendrais dare-dare y planter ma caméra pour tourner les principales séquences de De profundis.
Aucune lumière ne brille aux fenêtres.
— On entre !
La porte vermoulue obéit à ma poussée. Nous pénétrons dans un couloir suintant qui sent le pipi de chat ! Au fond, un escadrin grimpe au premier et unique étage.
— Qui m’aime me suive, dis-je, très pont d’Arcole !
Au premier se trouve une porte à deux battants. L’ouvrir est pour mon sésame un jeu d’enfant. Nous pénétrons dans un petit intérieur bourgeois qui renifle l’homme seul à plein chapeau.
Une salle à manger le plus Henri II possible ; une chambre à coucher conçue et réalisée par les ancêtres de Lévitan ; une cuisine décrépie où s’empile la vaisselle sale. Voilà le topo. Le tout est sombre, cradingue, triste comme une catastrophe minière ou un enterrement de clown. Personne à l’horizon. Et l’architecte qui a construit cet immeuble ne prévoyait pas qu’un jour l’homme découvrirait l’usage externe de la flotte. Pas la moindre salle de bains ; pas le plus petit cabinet de toilette. Un maigre évier au-dessus duquel pend un brise-jet pareil à un zizi de vieillard. C’est tout !
— Au turbin, les gars ! ordonné-je en désignant les meubles. Faut me trouver quelque chose de substantiel !
Voilà mon tandem favori qui s’abat sur les tiroirs comme une volée de condors sur le cadavre d’un général de brigade.
Et je te fouille ! Et je te remue ! Je t’inventorie ! Je t’explore ! Je te sonde ! Je te dissèque ! Je…
Je m’arrête, because Pinaud-la-Baderne me tend un carnet de banque. Il est établi au nom de Victor Lathuil. Je le feuillette. Ne sommes-nous pas, plus ou moins, sous le signe de la banque depuis le début de cette affaire ?
Là j’ai des vapeurs, mes mignons jolis. Par six fois, au cours de ces derniers mois, le nommé Lathuil a déposé cinq cent mille balles à son compte. Dites, ça ne vous laisse pas pensifs ?
Il est vrai que pour penser, faut avoir autre chose qu’un caramel dans le bocal !
Trois briques ont été retirées par tranches de cinq cents tickets du compte Réveillon. Trois briques ont été versées par tranches de cinq cents laxatifs à celui de Lathuil. Pas besoin d’avoir gagné le premier prix de Constipation au concours des Fructines-Vichy pour piger. Ce Lathuil était l’heureux bénéficiaire des retraits opérés par Réveillon.
Je dépose sur le couvre-lit de satin broché deux fesses sur lesquelles la main de l’homme n’a jamais mis le pied et je brode un peu. Bien que ce soit un travail de dame, j’aime m’y livrer de temps à autre.
Et comme résultat, ça donne très exactement ceci :
Mais faites excuse, c’est au tour de Bérurier-le-Dilaté de me fournir du matériau. Ce qu’il me tend, c’est un certificat de turbin délivré à Totor Lathuil par un pharmago de Passy. Le faf déclare que l’intéressé s’est produit dans son numéro d’analyseur d’urine de 1950 à 1958. Il a fait ses classes dans l’aspirine chez le potard en question… Et il l’a quitté, paraît-il, de son plein gré, en laissant des regrets derrière lui comme les Arabes en voyage laissent des noyaux de dattes.
Pharmacien à Passy ! Réveillon habitait Passy ! Ça se met à danser la java de la grosse gamberge sous mon dôme. Je peux renforcer ma démonstration…
Lathuil faisait chanter Réveillon. Parfaitement. Je vous parie vingt ans de votre vie contre une place de sous-préfet à La Tour-du-Pin que c’était là la signification de ces retraits de fonds suivis de rentrées…
Lathuil n’avait plus besoin de faire des albumines ! Il a voulu à son tour pisser dans les éprouvettes ! M. Réveillon lui servait une rente confortable… Seulement les dents poussent au fur et à mesure qu’on vous donne à manger. Il a décidé de se payer le grand coup. Il a voulu palper le paquet ! Alors il a entraîné Réveillon dans un traquenard… Moui, moui, moui ! Il l’a emmené dans sa casba du Touquet, pour être peinard et pouvoir planquer la bagnole. Il s’est assuré de la personne de l’industriel… L’a obligé à lui signer un chèque. Après quoi il l’a buté et, pour se débarrasser de sa carcasse, il a mis en boîte le fabricant de conserves.
C’est une chouette fin tout de même pour un bonhomme qui a passé sa vie à aligner des poissons morts dans du fer-blanc.
Soudain un juron formidable retentit. Tellement osé que je ne puis le transcrire ici. (Ceux qui voudraient à toute force le connaître n’auront qu’à me téléphoner, en joignant un timbre pour la réponse, et je le leur enverrai écrit sur du papier gras.)
Ce juron, c’est bibi, autrement dit mézigue, re-autrement dit San-Antonio qui vient de l’émettre à haute fréquence, sur une longueur d’ondes de cinquante centimètres.
— Nous perdons notre temps ici ! fais-je. Quel trio de savates nous formons ! Ne pas avoir songé à ça plus tôt !
— À quoi ? bêlent mes adeptes du cul-cul-clan !
— Suivez-moi. Votre bêtise me fait mal partout ! Vous n’êtes bons qu’à prendre des pains sur la hure et à vider des tiroirs.
— Tu permets ! proteste Béru en reboutonnant sa braguette qui bâillait comme le lion Atlas un jour qu’il aurait bouffé un conférencier des Annales.
— Arrivez, vous dis-je ! Faudra vous faire psychanalyser, messieurs. C’est pas normal d’avoir les cellules grises à ce point atrophiées !
« Je connais justement un psychiatre spécialiste des dégénérés, le professeur Tabitat-Hungout…
« Il vous fera des prix !
Secoués par cette tornade, mes complices me suivent.
Le temps d’éteindre les loupiotes, de relourder la puerta et nous nous retrouvons dans ma guinde, volant à tire-d’aile vers Le Touquet.
CHAPITRE XIII
Pan ![29]
Les Laurel et Hardy de la police dorment lorsque je parviens dans la villa tragique (style grand reporter) du Touquet.
Sans me donner la peine de les éveiller, j’entre dans le garage pour cramponner une boîte de ces étranges conserves qui feraient choir la cote des harengs de Réveillon si on les mettait en solde.
Malgré l’emballage, ça me fait tout chose de manipuler ces déchets humains. Vous parlez d’une camelote ! Ils ont l’arête sur le côté, ces merlans-là ! C’est la pochette-surprise. Les boîtes dont je me suis muni sont marquées « noix de porc », mais si on les ouvrait, on découvrirait probablement un genou, un pied ou peut-être bien une paire de radadas à contrepoids !
La nuit est obscure. Elle sent la mer qu’on voit danser le long des golfes clairs. Y a de l’embrun national dans l’air… Un vent violent me fait la bise par la vitre baissée.
Cette froide caresse me tient éveillé. J’aime piloter la nuit. C’est au poil, cette obscurité qu’on laboure de ses phares, telle une terre noire ouverte par un soc lumineux[30].
De temps à autre, un nuage capricieux s’écarte de la lune, démasquant pour quelques secondes le visage blafard de cette dernière[31].
Il est minuit et des poussières astrales lorsque je stoppe mon chargement de ronfleurs devant l’Hôtel de la Manche à Montreuil.
L’hôtel est endormi comme une marmotte au mois de janvier. Pas une lumière ne brille dans sa façade blême. Je descends de charrette et j’actionne de mon index fureteur la sonnette de notche.