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Il ajoute, en me biglant à la frissonnante :

— Ne seriez-vous pas Français ?

— Si fait, palsambleu. Que vous avez donc l'ouïe exercée, Monseigneur !

— Votre accent transalpin est délicieux roucoule Humberto en me caressant la joue d'un léger revers de main.

Il sourit. Je mate nostalgiquement trente-deux ratiches en me demandant combien vont dégringoler sur le tapis si je n'arrive pas à me contrôler. Moi ; que voulez-vous il y a des cas où je pourrais pas retenir un ramponneau de first quality, même si je m'attachait les bras avec du fil de fer barbelé.

— Alors, comme cela, doux ami, c'est ces chers Grado's qui vous envoient ?

— Ce sont eux qui motivent ma visite, rectifié-je.

— Vous êtes un petit camarade à eux ?

— Si, Monsignor !

— Pourquoi ne vîntes-vous point au Turin avec eux l'autre nuit ?

— Parce que j'avais trop de travail au cirque. C'est moi qui peigne la girafe et un petit facétieux m'avait caché mon escabeau. J’ai dû la gravir par mes propres moyens.

— Mais c'est dangereux ! susurre Humberto.

— Il ne faut pas craindre le vertige, certes. Mais j'ai une bonne assurance.

— Et comment vont mes petits Grado's, aujourd'hui ?

J'en ouvre un bec large comme celui du corbeau qui paumait son camembert pour pousser sa tyrolienne au renard.

Ce zigoto bluffe-t-il ou ignore-t-il vraiment ce qui est arrivé aux Grado's ? S'il joue la comédie, croyez-moi, c'est bien imité, car son regard est d'une candeur totale.

— Vous ne lisez pas les journaux, Toto ? fais-je brusquement.

— Si, je lis la Gazetta di Roma.

— Et seulement cela ?

— Pourquoi cette question ?

Evidemment, s'il ne s'intéresse qu'aux salades romaines, il n'a pas encore appris les nouvelles de la nuit.

— Les Grado's ont eu un accident cette nuit, signor Monsignor.

— Sainte Vierge ! s'exclame-t-il dans la langue de Dante. En faisant leur numéro ?

— Non : dans leur roulotte. Ils ont été assommés !

— Assommés ! Mais ça n'est pas croyable.

— Hélas ! si.

— Et c'est grave.

— Extrêmement grave puisqu'ils sont morts !

Ma petite marquise pousse un faible cri de souris enrhumée et s'évanouit. Je m'empresse. Dans ces cas-là, on sait ce qu'il faut faire lorsque, comme moi, on a lu les romans de la Comtesse de Ségur. Je lui prends la main et je la tapote en implorant :

— Marquise ! Marquise ! Revenez à vous, ma chère !

L'effet ne se fait pas attendre. Di Tcharpinni ni rouvre ses jolis yeux et fait « Où suis-je ? d'une voix pâmée. Je lui réponds qu'il es chez lui. Il file un petit regard au mur, y découvre le portrait de son arrière-grand-père, et reprend ses esprits.

— Vous les aimiez donc tant que cela ? murmuré-je.

Au lieu de répondre, il soupire dans la langue de d'Annunzio.

— Que vais-je devenir maintenant ?

Faut croire que c'était le grand amour entre eux trois ! Seulement un truc me tracasse les Grado's étaient des gens de cirque. Ils ne devaient passer qu'une ou deux fois par an à Torino, et leurs relations avec le marquis étaient donc très épisodiques. Pourquoi ce grand chagrin, ou plutôt cette forte commotion ?

Ma petite pensarde fait tilt.

Je regarde mes ongles, souffle dessus comme fait un acteur américain dans un western avant de défourailler sur le shérif et les frotte contre mon revers.

— Je suis arrivé l'un des premiers sur les lieux, fais-je. Donato vivait encore. Il a pu me parler…

Je me force à ne pas regarder le marquis, mais je l'observe à la dérobée dans un miroir proche. M'est avis, les gars, qu'il pique son fard sous son fard Il se met à se poser des problèmes et c'est le moment de passer la surmultipliée.

— Il m'a dit certaines choses, lâché-je.

— Ah oui ? balbutie cette petite tronche de poupée.

Je m'enferme dans un mutisme farouche, lourd de menace. Le gars Toto n'a plus envie de vérifier si je suis rasé de près. Il a d'énormes difficultés à avaler sa salive. Lui non plus ne pipe pas (ce qui est très exceptionnel de sa part). Notre silence s'emmagasine dans le salon. De quoi assurer toutes les minutes de silence des prises d'armes pendant deux ans !

— C'est atroce, déballe l'Humberto sans la moindre conviction.

Il espère encore que je vais parler, le sens à point et je m'abstiens.

— Que vous a dit ce pauvre Donato ?

— Des choses, vous dis-je.

— Quelles choses ?

Je refais le coup des ongles polis, avec l'autre main.

— Vous savez, Toto, quand un homme assassiné fait des révélations, c'est à la police seulement qu'on doit les transmettre.

Il a un immense soupir d'enfant qui a beaucoup pleuré.

— Combien ? demande-t-il d'une voix peureuse.

Mot magique ! Quel renoncement il tient ! C'est la grande abdication ! L'abat suprême. Combien ? Combien pour avoir la paix ? Combien pour qu'un secret soit préservé ? Pour qu'une saloperie demeure un vice ignoré.

— Cela dépend de votre bon cœur, en lui souriant gentiment.

Il a le teint plombé, le Monsignor. Il va falloir qu'il se repasse une couche de Ripolin Express.

— Cinq cent mille lires !

— Vous me prenez pour un mendiant ! La lire est une monnaie si chétive…

— Ma combien voulez-vous donc ?

La faiblesse de sa proposition indique que ce qu'il a à redouter n'est pas d'une gravité extrême. Mais peut-être est-il radin ?

— Dix millions ! hasardé-je, c'est mon dernier prix.

— Non ! Cinq cent mille ! C'est ce que je donnerais aux policiers pour étouffer l'affaire, alors vous voyez…

Je lui donne une petite bourrade affectueuse et je sors ma carte de matuche.

— Admirez un peu ce paysage, Humberto.

— Police ! s'écrie-t-il. Police française ! Mais qu'est-ce que ça signifie ?

— C'est vous qui allez me renseigner, mon cher marquis. Donato, hélas ! était mort quand je l'ai trouvé. Mais je vous ai prêché le faux pour savoir le vrai. Alors le vrai vous allez me le dire. Si vous me le dites pas, je déclenche un pastis du tonnerre de Zeus et c'est pas avec cinq cent mille lires que vous endormirez les journaux.

La pauvre louloute éclate en sanglots du genre convulsif. Elle trépigne, se pétrit le visage à pleines mains en déversant sur le satin du canapé des flots de lacryma christie (comme dit Agata).

— Vous êtes une méchante, une grande vilaine policière ! trépigne Humberto.

— Au lieu de laisser déborder votre vase d'expansion vous feriez mieux de me rancarder. Si vous parliez sincèrement, je vous tiendrais à l'écart de cette vilaine affaire et ça ne vous coûterait même pas un fifrelin.

Du coup, ça endigue son inondation.

— J'ai votre parole d'honneur ?

— Vous l'avez, mais ne le dites à personne ; c'est la dernière qui me reste. Alors, beau platiné ?

— Eh bien, voilà… Je… Par moments j'ai des petites dépressions. Pour les surmonter, je suis obligé de me doper un peu…

Je revois les deux sachets de neige dans le tiroir secret des Grado's. C'est un trait de lumière.

— Ils vous approvisionnaient en came ?

— Oui. Chaque fois qu'ils passaient par Torino ils me procuraient de la drogue. Et à bon prix, car c'étaient vraiment de bons amis.

Je réfléchis.

— Où étiez-vous cette nuit, Marquis ?

Il s'indigne.

— Vous né me soupçonnez pas de les avoir tués tout de même ! Je suis le marquis di Tcharpinni, ne l'oubliez pas.

— Ah non ! grondé-je, faudrait pas chahuter avec votre octave, Toto. Inutile de monter le ton. Je ne vois pas pourquoi je ne soupçonnerais pas de meurtre un petit marquis drogué qui se vante d'être l'ami de trafiquants.