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Tenez, si je vous dis que je lui fais le Tourbillon Bulgare vous ne saurez pas de quoi il s'agit, d'ac ? Et pourtant je le lui fais le Tourbillon Bulgare ; et le Cigare à Fidel aussi, et puis la Toupie Turque, et puis l'Abri Anti-Atomique, sans oublier le Missile Téléguidé, la Banane à fermeture éclair, le Courant alternatif, le Nettoyage par le Vide, le Hareng saur qui sort, le Hareng saur qui rentre, le Ticket d'admission ; la Marche triomphale non plus que le coup du « Pose-le-là-je-reviens-tout-de-suite » et celui du « Il-fait-trop-chaud-je-sors-prendre-l'air ». Elle est contente. Elle me le dit, elle me le crie, elle me le hurle, me le trépigne, me le glapit, me le vocifère, me l'affirme, ne me le dément pas, me le prouve, me le confirme, me l'indique, me le jure, me le bredouille, me le répète en morse, en anglais, en allemand, en suédois, en gesticulant, en bégayant, en hindoustan, en insistant, en un instant, en deux temps, en plus de trois mouvements. Elle est en transes, en transit, en transpiration, transportée, transie, transbordée, transférée, transfigurée, transfusée, transgressée, transparente.

Une chouette partenaire, en un mot ! Le domptage d'éléphants, ça vous forge une femme ! Ne vous y trompez pas. Quand j'abandonne Mademoiselle, elle a les jambes en forme de 8, les yeux en forme de 4 et le pélogène de torsion en forme de signe.

En expirant, elle réclame de la lumière et elle l'obtient. En titubant elle va se repasser du rouge à z'yeux et du noir à lèvres dans la salle de baths. Je remarque alors un objet plutôt bizarre sur le plancher. Il s'agit d'un pantalon. Je le déclare bizarre car il n'appartient ni à Béru ni à moi et qu'il est en lambeaux. Je me demande qui peut bien être le monsieur qui l'habite d'ordinaire lorsque celui-ci sort de sous le divan où Muguet et moi batifolâmes. L'homme que je vous cause c'est mon éminent confrère Fernaybranca. Un Fernaybranca qui abdique toute élégance et une bonne partie de sa dignité. Il est dargif nu, en lambeaux et couverts de griffures. Il a sa cravate dans le dos, les cheveux en bataille, le nez coupé, les lèvres et le slip fendus, une oreille décollée, une moitié de veste et les mains en sang.

Je le regarde, médusé.

— Qu'est-ce que vous fichiez là, vous attendez l'autobus ? je lui demande.

Il bavoche.

— Où est-il ?

— Qui ça, il ?

— Le tigre ? Je perquisitionnais chez vous, et puis un gros tigre m'a sauté dessus… Je…

Il s'évanouit à l'évocation du combat homérique qu'il a livré céans. Je le ranime en lui introduisant dans le corps quelques centilitres de whisky. Ensuite de quoi je sors et j'interpelle un garçon d'écurie.

— Appelle une ambulance, d'urgence ! fais-je.

Le gars pose la balle de foin qu'il coltinait vers les écuries et s'éloigne.

Fernaybranca claque des dents.

— Il a failli me dévorer, sanglote mon collègue, heureusement j'ai pu me glisser sous le divan. Où est-elle, cette sale bête !

— On la retrouvera, collègue. Et on lui fera payer cher ses plaisanteries. Déculotter un officier de police dans l'exercice de ses fonctions ! C'est honteux !

Je lui virgule un clin d'œil.

— En tout cas vous voilà tranquille, vous allez être à l'assurance pendant que d'autres se farciront cette enquête compliquée.

Mes paroles lui mettent un peu de baume sur les griffures.

— C'est pourtant vrai, renifle-t-il.

— Quelle idée de venir perquisitionner chez moi ! Vous n'avez donc pas confiance en votre bon San-Antonio ?

— Vous m'avez fait tellement de cachotteries !

— Et dans les autres roulottes, vous avez trouvé quelque chose ?

— Niente !

L'ambulance se pointe et je dis au revoir à Fernaybranca. Maintenant j'ai le champ complètement libre pour opérer. Par contre, je ne peux plus espérer la collaboration de la police italienne.

Une fois mon éminent confrère embarqué, je vais voir dans la salle de bains si j'y suis. J'y découvre un spectacle assez étonnant pour paraître surprenant. Imaginez miss Muguet accoudée au lavabo, le visage enfoui dans son bras. Un tigre (le tigre du Gros) est debout derrière elle avec les pattes sur ses épaules et lui pourlèche la nuque avec application.

Et miss Muguet roucoule de sa voix pâmée qui cloquerait le tricotin à une statue de marbre.

— Non, chéri ! Non, plus, c'est trop. Mais tu es donc insatiable !

— Ma parole, mais je vais finir par être jaloux ! dis-je.

Elle se redresse, sursaute, voit le tigre, comprend, pousse un cri, porte la main à son front, titube, tourne de l'œil, s'évanouit.

Comme quoi une femme est une femme, les gars. Ça a beau dompter des pachydermes, ça part dans les vapes comme tout un chacun devant un malheureux, tigre — (en anglais tiger).

Je dis à Médor de rester tranquille, vu que cette dame est peut-être une vraie panthère dans certains cas, mais qu'elle ne saurait remplir les devoirs d'une tigresse. Ensuite de quoi je bassine le visage de la donzelle avec un peu d'acide sulfurique, ce qui la ranime promptement. Elle repart, revigorée, tendis que Bérurier, lui, fait son entrée. Vous remarquerez à quel point les allées et venues sont parfaitement réglées dans mes bouquins. On se croirait dans une pièce de Labiche.

Le Gros est tout guilleret. Il tient un petit paquet de gâteaux à la main.

— C'est pour Médor, m'explique-t-il, après tout on est dimanche.

Il va gâter son chérubin et revient au rapport.

— Mission z'accomplie, commissaire, fait-il. J'ai pu suivre Barnaby jusque z'à son terminus. Il est allé dans une petite rue à promiscuité de la gare. Cette rue, j'ai noté son blase, elle s'appelle via Duc. Le patron s'est arrêté devant le numéro 12. Il a sonné à une porte et deux gars qui devaient l'attendre sont sortis : à z'eux trois ils ont débarrassé le cofio de sa marchandise. Et puis ils sont tous rentrés et ça a duré une paire d'heures. En suite Barnaby z'a réapparu seul, l'air content et il a repris sa Cadillac pour rentrer. T'es Joyce, on peut aller faire notre virouzette maintenant ?

— Un instant, Pépère. Elle ressemblait à quoi la marchandise en question ?

Il remonte ses mécaniques et fait avec la bouche un bruit qu'il devrait faire autrement.

— J'ai pas pu voir. Il a trouvé une bath astuce, le boss : il l'avait mise dans des z'housses d'instruments de musique. On aurait dit qu'on déchargeait un orchestre, tu comprends ? Ça ressemblait à des pistons, à des saxes-aphones, été sera, été serai.

Je prends note mentalement, ce qui est assez difficile. Il est trop tôt pour faire des visites nocturnes chez des gens qu'on ne connaît pas, faudra aviser plus tard. Comme nous nous apprêtons à sortir, Barnaby radine, les lèvres agrémentées d'un sourire.

— Merci, fils, me dit-il. Tiens : voilà pour faire le garçon.

Et il me farcit la main d'un billet de la Banque d'Italie. Je mate ce dernier à la dérobée il s'agit d'un bifton de cinq cent lires. Un peu radinuehe aux entournures, le boss, on risque son honneur et sa dignité pour lui et il vous refile un pourliche qu'un portier d'hôtel refuserait ! C'est un manque d'éducation total.

— Je ne sais comment vous remercier, patron, pleurniché-je. C'est trop ! C'est beaucoup trop ! Comment vous exprimer ma gratitude ? Je reste sans voix ! Votre générosité me noue la gorge. Je ne vivrai jamais assez pour vous revaloir cela.

Il me tapote l'épaule.

— Allons, allons, ça n'est rien, fils. Tu l'as bien mérité.