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Il secoue la tête.

— Comme vous prenez les choses à la légère, commissaire !

— Suffit tranche l'homme à la Lancia. Je vais te poser quelques questions. Tu y réponds ou tu n'y réponds pas, c'est ton affaire. Si tu y réponds ça va, si tu n'y réponds pas, ça ne va pas. Si ça va je te boucle dans la cave pour y attendre des jours meilleurs, Si ça ne va pas je te mets des balles dans la tête et on rentre se coucher.

Merveilleux discours, convenez-en. Ce sujet est carré en affaires. Il joue cartes on the table. A prendre ou à lécher (comme disent les Auvergnats). Et à sa voix, à son regard, à la crispation de sa mâchoire on pige qu'il ne bluffe pas.

— Que désirez-vous savoir, seigneurs ?

— De quoi tu es au courant, pour commencer.

— Facile. Tenez, je sais par exemple que les petits enfants ne naissent pas dans les choux, ainsi qu'on me l'avait raconté, je sais en outre…

Alors là je ne sais plus où j'en suis car le salingue vient de m'administrer un coup de savate vernie dans le temporal et j'ai la voie lactée au complet qui vient pique-niquer sous ma coiffe. J'aperçois quatre types au nez busqué, quatre marquis et quatre gonzesses. Parfaitement ; ils sont douze qui me cernent avec des expressions sévères. Ils deviennent tour à tour six, puis trois et je reprends la jouissance de mes moyens. Ce sont des Moyens classiques mais auxquels je tiens car j'ai eu le temps de m'y accoutumer.

— Tu as tort de faire le mariole, poulet ! assure l'artilleur. J'ai la détente très sensible et tu vas disparaître de la circulation avant d'avoir le temps de piger ce qui t'arrive.

Le marquis toussote en mettant sa main en cornet de frites devant la bouche, comme pour recueillir les produits d'une possible expectoration.

— Frantz, dit-il, je suis contre ces tergiversations. Que notre ami sache tout ou qu'il ne sache rien, importe relativement peu. Ce qu'il faut c'est qu'il disparaisse, hélas ! J'aurai beaucoup de peine à le quitter, mais la chose est devenue nécessaire.

— D'accord, fait Frantz qui est la complaisance en personne.

Et aussi bêtement que je vous l'écris, il me' défouraille en plein portrait. Du moins il cherche à, car mon ange gardien qui fait partie du cortège vient de câbler en urgence au bon Dieu. Et vous savez ce qu'il fait pour moi, le bon Dieu ? Il enraye le revolver de Frantz. Je vous devine déjà plein de sarcasmes jusqu'à la gorge ! Vous vous dites que je bouscule un peu grand-père dans les bégonias, hein, avouez ? Pourtant, vous savez, ça s'enraye, un revolver. Je vais même vous faire une confidence de flic : ça ne marche pas tellement souvent. Sauf si on prend des pétards suédois, naturlich. Mais l'automatique c'est traître. Avec le fluide glacial, le poil à gratter, la cuillère fondante vous savez où vous allez. Avec l'express Paris-Rouen aussi, vous savez où vous allez. Mais avec un revolver, que non point ! Il vous joue des tours, des contours et des tours de comte. Il n'a pas l'air malin, Frantz, avec son appareil à refroidir la viande qui fait « clic » au lieu de faire « boum ». Moi, vous me connaissez ? Je ne suis pas homme à laisser s'échapper une occase pareille.

Quand la chance vient secouer sa belle chevelure sous votre nez, il ne faut pas hésiter à l'empoigner par les tifs. C'est ce que je fais. En moins de temps qu'il n'en faut à un cannibale pour manger les bas morceaux d'un eunuque, je me suis remis d'aplomb et j'y vais bille en tête. Il prend man occiput blindé dans le placard et fait un saut de trois mètres en arrière. Ledit saut amène fâcheusement sa nuque contre le marbre de la cheminée. La violence de la trajectoire fait que l'un des deux doit céder. A titre exceptionnel, ça n'est pas le marbre qui se fend, mais la bonbonnière du gars Frantz. Sa souris hurle en constatant le désastre. Folle de rage, elle pointe mon revolver dans ma direction et appuie sur le distributeur de dragées. Mon feu à moi, c'est de l'outil professionnel. Quand il lui arrive de s'enrayer c'est parce qu'un plaisantin a fait un nœud au canon. Toute la sauce part dans la nature. La nana est plut douée pour le point de croix que pour la chasse à courre.

Enervement de sa part ? Emotion ? Maladresse ? Ces trois points ne seront jamais élucidés, surtout pas par Humberto di Tcharpinni qui se trouvait derrière moi et qui prend une bonne partie de la soudure dans le porte-écusson. Il a eut juste le temps de crier « aïe » en italien, et il s'écroule, touché à mort.

Ses aïeux s'étaient peut-être fait dessouder dans les Croisades ; lui, en tout cas, connait une mort moins glorieuse. Il avait pourtant l'habitude des trous de balles, non ? Enfin, pet à son âme…

La situation s'est drôlement éclaircie depuis pas longtemps, vous ne trouvez pas ?

Je m'avance vers la petite traqueuse.

— N'approchez pas ou je tire ! me crie-t-elle en pointant mon arme vide vers ma large poitrine à l'intérieur de laquelle bat un cœur d’or !

— Te fatigue pas, meurtrière, souris-je. Il y avait huit pralines dans la soute à bagages de cet objet et tu les as toutes tirées, je les ai comptées.

Lui prendre le revolver des mains est un jeu d'enfant.

— Voilà ce qui arrive quand on joue les Jeanne Hachette au lieu de tricoter dés chaussettes dans un ouvroir ! sermonné-je. Tu t'es mise dans des draps tellement sales, ma fille, que ni Omô ni Persil ne te rendront ta blancheur initiale.

Ses sanglots redoublent.

Je n'y vais pas avec le dos de la tuyère (comme on dit à Cap Carnaval).

— Une beauté comme la tienne, se flétrir bêtement dans unes geôles humides, c'est triste ! Maintenant tu ressembles à une rose, dans dix ans tu ressembleras à une Morille ! Et à une morille déshydratée, ce qui est encore plus grave. Que dis-je : dix ans ! Meurtre et tentative de meurtre, trafic de drogue, ça va chercher dans les vingt piges, et à condition de savoir faire jouer tes charmes pour impressionner les jurés !

Tout en bavardant je mets des suppositoires à tête chercheuse dans ma pétoire. C'est une opération qui intéresse et impressionne la môme.

— Tu vois, lui dis-je, lorsque j'ai achevé. Nous sommes tous les deux. Il y a deux défunts dans cette pièce. Une supposition que je t'allonge aussi, ça ferait trois.

— Vous n'allez pas faire ça !

— Légitime défense, ma gosse ! Toi, tu n'as pas hésité. Pourquoi voudrais-tu que j'hésite, moi ?

— Non ! Non ! supplie-t-elle, j'avais perdu la tête !

Je redresse le canon de l'arme. La môme se plaque contre le mur en regrettant qu'il ne soit pas en papier.

— Parle-moi un peu de cette organisation, ça me changera les idées…

— Oui, oui, tout ce que vous voudrez.

C'est inouï ce que ça peut intimider, une rapière. Les âmes les plus endurcies perdent les pédales en voyant l'œil noir d'un feu qui les fixe.

— Qui est cet homme ? demandé-je en montrant Frantz.

— L'inspecteur chef Frantz Tiffosi de la brigade des stupéfiants.

C'est ce que chez Wonder on appellerait un trait de lumière. J'ai pigé : un flic marron. Il becquetait du pain de drogue et s'est mouillé salement.

— Raconte, gosse d'amour !

Elle se met à table, sans hésiter. Tiffosi trafiquait avec des gangs. Il rackettait ces messieurs avec la collaboration de cette petite frappe de marquis. Leur association était savante et délicate. Humberto exploitait le côté mondain de la question et le poulet, lui, le côté demi-mondain.

Ils faisaient coup double en faisant chanter les drogués de la ville. Affaire extrêmement prospère, convenez-en ? Gagnants sur tous les tableaux, qu'ils étaient. Les fournisseurs les arrosaient et les clients idem. Le marquis pouvait rouler carrosse et le gars Frantz s'offrir des nanas à grand spectacle. Jusqu'alors ils n'avaient pas pressuré les Grado's, c'est grâce à une indiscrétion du chauffeur des Québellapina (pardon : Québellaburna) que les deux loustics eurent vent de ces trafiquants de la balle. La femme de l'industriel se bourrait le pif et c’était son chauffeur et néanmoins amant qui lui procurait la matière première.