— Je l'ai perdu aussi ! bée-t-il.
— Y a du louche là-dessous ! meugla Lolita. Fais attention, chéri, ils veulent te fabriquer !
— Au lieu d'ameuter la garde, dis-je, vous feriez mieux d'aller récupérer le restant de votre orchestre pour coure-forts et orfèvres. On a mis la panique dans l'épicerie et les voisins pourraient bien se payer un saxophone en or en même temps qu'un jambon !
Le couple se met à cavaler, presque nu, en direction de la Cadillac stationnée devant la roulotte présidentielle.
Puisqu'on est en Italie, je peux bien vous le dire. Cette fuite au clair de lune a quelque chose de dantesque !
CHAPITRE XII
— A ton avis, demande le Gros, il est sincère ou pas ?
— Yes, monsieur. Les êtres sont en métal. C'est au son plus à la couleur que tu reconnais la nature du métal.
— C'est la nature de mes papiers qui m'inquiète, soupire la Gonfle. J'avais dans mon portefeuille, z'outre ma carte professionnelle et une centaine de mille lires, la photo de Berthe et mon permis de pêche avec le timbre piscicole de cette année. Ça la fout mal.
Je branle le chef.
— Tu ne trouves pas bizarre que nous ayons paumé l'un et l'autre nos papiers ?
— Qui, dit-il, ça tient de la magie noire.
Je me solidifie.
— Qu'est-ce qui te prend ! s'étonne le Mastar. On dirait un cheval qui n'ose pas sauter l'oracle.
— C'est de la magie, en effet. Mais pas de la magie noire ! Nous n'avons pas perdu nos larfouillets, Béru : on nous les a volés. Et volés avec un doigté extraordinaire. Tu piges ?
— Sachristie ! fait mon compagnon (qui fut enfant de choeur avant de devenir un ignoble adulte) c'est Nivunikônu !
— Après nous avoir fait la tronche pendant toute la tournée, le voilà qui nous invite à boire un punch au milieu de la nuit ! C'est bizarre. Il était surpris par nos agissements et voulait savoir qui nous étions. Alors, tandis qu'il nous servait son punch il nous a soulagés de nos porte-cartes.
Je n'en dis pas plus. Nous cavalons à travers le campement qui s'éveille, en direction de la roulotte du prestidigitateur. Des garçons d'écurie mal réveillés déambulent déjà, chargés de bottes de paille ou de foin, ou d'asperges, ou de radis, ou secrètes.
En moins de temps qu'il en faut à un Chinois pour se déguiser en Coréen, nous sommes au seuil de la demeure du mage.
La porte cogne doucement dans le courant d'air et la caravane est vide. Pas de Nivunikônu, pas de miss Lola ! Pas de valises, presque plus de fringues !
— Fonce chercher une bagnole, Gros, y a urgence !
Pendant qu'il se manie le pot-potin, je me mets à chercher dans la carriole quelque chose que je ne trouve pas. Est-ce l'extrême tension de mes nerfs ? Toujours est-il que je phosphore divinement bien. Tout est clair, simple et logique dans ma boîte à bonnes idées.
Béru revient avec un garçon de piste péquenot-slovaque au volant d'une traction d'avant (la guerre).
— Frztfrtlhucnorts ? demande-t-il.
Je le connais : il s'appelle Firmin.
— Oui, lui réponds-je. Mais au bureau central de la police.
Je prends place à l'arrière de la traction avant.
— Où que tu crois qu'ils ont gerbé ? demande Béru.
— Aucune idée. Mais la Suisse n'est pas très éloignée et…
— Dstzoulikhmytngh ? s'inquiète Firmin.
— D'accord, mais à condition de faire vite, lui rétorqué-je.
Il fonce dans la ville de Turin qui se remet à vivre. Des bus, des camions, des cyclistes… Des gens qui s'interpellent en riant.
Nous déhottons au bureau Central de la matucherie piémontaise. Je raconte qui je suis et je demande à parler au chef de la Sûreté. On me répond qu'il n'est pas rentré de sa campagne, car il n'est parti en weekend que le mercredi soir au lieu du mardi matin et il compense. On me propose de voir le vice-sous-secrétaire du chef de secrétariat du sous-chef-adjoint du valet de chambre de ce haut personnage et je me hâte d'accepter.
Je me trouve devant un monsieur aimable, avec une moustache brune effilée et un complet de soie sauvage vert pomme à rayures jaunes.
— Monsieur le vice-sous-secrétaire du chef de secrétariat du sous-chef-adjoint du valet de chambre du chef de la Sûreté, attaqué-je.
Il m'interrompt.
— Appelez-moi Basilio, signor.
— Basilio, mon cher collègue, il faut immédiatement donner l'alerte aux services de surveillance des gares et des aéroports. Que la vigilance aux frontières soit renforcée. Ordre d'arrêter coûte que coûte un artiste de music-hall du nom de Nivunikônu qui voyage avec son assistante. Cet homme a dans ses bagages plusieurs portraits de lui, grossièrement exécutés au pastel. Attention ! Ces portraits sont en réalité les tableaux volés en France et à Torino. Les experts n'auront qu'à les laver pour découvrir en dessous l'original…
— Madona ! Avanti, hurle le vice-sous-secrétaire, enfin Basilio.
Il décroche trois téléphones à la fois et se met à hurler dans chacun d'eux des ordres implacables. La machinerie policière se met en branle. Pendant que ça carillonne, vocifère, galope et tonitrue dans tous les coins, Béru, soufflé, me prend à l'écart.
— Sans charres, fait-il, c'était Nivunikônu le voleur ?
— C'était lui, mon petit cœur de pâquerette effeuillée. Comment n'y ai-je pas songé plus tôt ?
— Parce que ton bouquin n'était pas fini ? suggère-t-il perfidement.
— Non, me rebiffé-je, parce qu'avec cette histoire de drogue qui s'est greffée là-dessus, les cartes ont été brouillées. Un prestidigitateur, doué comme l'est Nivunikônu, pouvait détoiler un tableau et détaler sans attirer l'attention. Il avait la manière, le doigté et les accessoires. Ensuite il peignait son portrait par-dessus, au pastel, qui est une matière aisément nettoyable. Et ces tableaux, au lieu de les cacher, il les exposait à la vue de tous en les accrochant aux flancs de sa caravane. Génial, non ?
— Absolument génial ! Mais comment t'est-ce que tu as découvert le poteau rose, San- A ?
Je prends mon air modeste et mystérieux numéro Hun. Celui qui bouleverse les nanas et fout Béru en renaud (quelquefois d'ailleurs il le met en Peugeot).
— Eh ben cause ! gronde l'époux légitimement encorné de Berthe Bérurier.
Indifférent à nos apartés, Basilio continue de nous faire son numéro de téléphones valseurs. A côté de lui, l'organiste de Saint-Eustache n'est qu'un pâle joueur de tambour. Il parle dans cinq appareils à la fois maintenant, et il vient de téléphoner pour qu'on lui en emmène de nouveaux. Barnaby le verrait, il l'engagerait illico, car c'est un numéro unique au monde. Le Radio-City de New York mettrait le paquet pour l'avoir.
— Réponds, si t'es malin, continue le Gros. Qu'est-ce qui t'a mis la puce à l'oreille ?
— Eh bien ! la double disparition de nos coffres-forts individuels, évidemment…
— Evidemment, comme z'à moi ! Mais la chose du truc des tableaux ?
Je cligne de l'œil.
— En fouillant la caravane, pendant que tu allais quérir un véhicule doté d'un moteur à explosion, j'ai trouvé ceci que, dans sa précipitation à fuir, Nivunikônu a oublié. Ça se trouvait bizarrement dans sa boite à peinture.
Je prends dans ma poche un long fume cigarette rétractile. Il est constitué d'éléments qui s'emboîtent les uns dans les autres comme les tubes d'un trépied de caméra. Je le développe. Une fois étiré au maximum il mesure trente bons centimètres. Dans le pavillon est fichée une cigarette.
Le Gros examine ma trouvaille.
— Je pige pas, Gars. C'est pas que je soirs extrêmement plus bête qu'un autre. Mais franchement…