Lorsqu'elle quitte la tente de ses bestiau y a des fétus dans le lamé ; si certains ont du foin dans leurs bottes, elle, elle en a dans les cheveux.
Pour me doper, je vais m'offrir' un reconstituant sérieux au troquet du coin. J'y trouve Béru en pleine séance de spaghetti. C'est une espèce de culture physique stomacale. Il s'échauffe avant la représentation. Depuis le bar je surveille l'esplanade, guettant le retour de la voiture amerlock. Mais je vois Dona descendre d'un taxi et rejoindre sa petite camarade. Je ne suis pas immensément rich mais je donnerais bien le contenu de votre livret de Caisse d'Epargne pour savoir où il est allé. Enfin ouvrons l'œil. Quelque chose me dit qu'il pourrait bien y avoir du nouveau ce soir. Les pressentiments, dans notre job, c'est primordial, vous le savez. Si les flics ne carburaient pas au pifomètre, 99 pour cent des délits resteraient impunis.
Le soir venu, comme le gars Béru passe en fin de programme, je m'embusque dans un coin du cirque et j'observe les allées et venues de chacun. C'est Mme Cavaleri qui débute la soirée avec ses alezans sauvages dressés. Aimable personne, Mme Cavaleri ! Elle est un peu vioque pour mon goût et un peu anguleuse pour son âge. Elle a douze gosses et un mari malade. Tout ça existe à la va comme je te traîne dans une roulotte qui ressemble à s'y méprendre à une poubelle. Le mari a les soufflets mités et, à part des enfants, il ne fait absolument rien. C'est sa' bonne femme qui soigne les canassons et qui se farcit le numéro avec ses aînés.
Ensuite, c'est le tour de Sprenett, le jongleur diabolique. Une drôle de maestria, mes fils ! Le seul jongleur à ma connaissance qui jongle en même temps avec des plumes de paon et des poids de cinq kilos. Faut le faire, non ? Il a beaucoup de succès. C'est un Anglish, Sprenett. Il vit avec une daronne plus vioque que lui : Daphné. Elle ne parle pas une broque de français et elle est jalmince comme douze tigresses. Pendant que son rosbif accomplit son numéro, elle se tient embusquée derrière le rideau, pour si des fois la fantaisie prenait à Sprenett de faire de l'œil à unes spectatrice des mezzanine. Lorsqu'il a fini, elle lui essuie le visage avec une serviette de bain dont le motif représente la Reine d'Angleterre à cheval et, vite fait l'ogresse d'Outre-Manche l'entraîne dans son antre, comme une araignée emporte la proie capturée.
Après Sprenett nous avons Nivunikônu, l’illusionniste. Il a l'allure et le maintien d’un diplomate. En frac, s'il vous plaît ! Y'en a pas deux comme lui pour les lâchés de colombes. Le coup de la malle mystérieuse, c'est son vice. Il enferme dedans mademoiselle Lola, son assistante et néanmoins amie ; un spectateur bénévole (apparenté à Bénévol d'ailleurs) vient ficeler la malle en long et en large. On la pose sur deux tréteaux, Nivunikônu fait une passe magique et c'est terminé ! Ensuite il démantèle le tout, y a plus de Lola. Elle est déjà dans sa roulotte en train de se préparer un cacao.
Viennent alors Voma et Rango, les fameux clowns. Ils ont mis au point un numéro de rigolade Kolossal. Moi, si j'étais l'auteur de leur principal sketch, je me réveillerais la nuit pour me dire que j'ai du génie. Jugez-en plutôt. Voma rentre en piste après Rango Il s'approche de lui et lui dit :
— Comment vas-tu, Yodopoêle ?
L'autre répond :
— Comme tu vois, Turabras !
C'est déjà follement drôle, non ? Mais attendez, c'est pas fini. Voma proteste vu qu'il s’appelle pas Turabras.
L'autre lui dit qu'il a cru à une astuce. Vous suivez toujours ? Ce serait dommage que vous ratiez ça ! Voma dit qu'il y a pas d'astuce là-dessous. Alors Rango déclare qu'il ne s'appelle pas Yodopoêle. Et, là, croyez-moi, mais l’assistance se tirebouchonne comme un pas de vis. Le numéro des clowns terminé, la première partie s'achève par la prodigieuse démonstration des Grado's.
Pendant la représentation, tel un chien de garde, je n'ai pas cessé de faire la navette entre la piste et les roulottes, surveillant discrètement les artistes et les garçons de piste. Ce sont les Grado's que je tiens plus particulièrement à l'œil ; car je n'ai pas encore digéré le coup de la Cadillac. Lorsqu'ils ont achevé leurs contorsions je vais rôder autour de leur guitoune. Ces bons enfants font la dînette en babillant comme des perruches, murés quant à leur comportement. Je vais dire au Gros qui somnole de se préparer, car, après les éléphants de miss Muguet, après les Exabrutôs et Une nouvelle séance de Nivunikônu (déguisé en fakir cette fois), après la réapparition des clowns, un numéro de clarinette en sucre qui a mis l'assistance en liesse, c'est à mon vaillant Béru de jouer. Quelques verres de limonade pour se dilater la panse au maxi, une cuillerée de bismuth histoire de se colmater les parois et le voilà disponible. Bath, avec son costume en peau de panthère et sa barbe d'homme des cavernes. Ses bras musculeux font impression. C'est un ogre superbe et généreux qui déclenche les applaudissements.
Je fais mon petit baratin dans un italien de cuisine. Et la séance commence. Béru se farcit une carpette usagée, un bougeoir, les œuvres de Dante, un vieil appareil à percer les trous des macaroni, un chapeau de bersaglier, une tunique de zouave pontifical, une bulle de pape en savon de Marseille, un p de Gênes, — une vue de Florence, une proue de gondole vénitienne, un Stromboli, un portrait en pied de Mussolini avec tous ses accessoires, une orange givrée une statuette représentant Romulus et Raimus avec leur maman adoptive, un vieux ballon de football et une calandre de Ferrari.
En se fiant à l'applaudimètre on s'apperçoit vraiment que son succès est plus considérable encore de ce côté-ci des Alpes. Des tiffosi le portent en triomphe. Le directeur d’une fabrique de nouilles lui propose un contrat à l'année pour sa campagne publicitaire ; enfin vous mordez le topo ?
Comme à l'accoutumée, Béru distribue des autographes ; puis il regagne sa roulotte, légèrement barbouillé because la plume du chapeau de bersaglier lui titille le gosier. Nous buvons deux ou trois scotches et nous nous carrons dans les toiles avec la satisfaction du devoir accompli. Comme je ferme mes jolis yeux, un brouhaha me fait sursauter. Des galopades, des exclamations et même des interjections, c'est vous dire !
Je me relève, réintègre mon pantalon et hasarde mon physique de théâtre à l'extérieur. Un garçon de piste moldave passe à portée de voix et je l'hèle :
— Kzskrdzzwlif zlokwxm ? lui demandé-je, car je parle couramment sa langue maternelle.
— Un bonhomme assassiné ! me répond-il dans la mienne, une politesse en valant une autre.
— De qui s'agit-il ? m'étranglé-je.
— Pgftwxzmtly ktrzicklz ! s'oublie-t-il ; ce qui, chacun le sait (à condition naturlich de causer moldave) signifie : « Je ne connais pas. »
Je me hâte en direction d'un rassemblement qui grouille en deçà du chapiteau. A grand mal, j'écarte les badauds. Un zig est là, la face contre terre, avec entre les omoplates, un poignard long commak. Ça n'est pas quelqu'un du circus. Un flic en uniforme très embêté, gesticule près du défunt.
M. Barnaby fait une arrivée remarquée dans une robe de chambre de velours noir a brandebourgs d'or.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? demande-t-il.
Du bout du pied il retourne le de cujus. Pourquoi ai-je l'impression brusquement, avisant cette face pâle, de l'avoir déjà vu quelque part ? Pourtant il s'agit bien d'un Italien y a pas d'erreur. Sa chevelure couleur nuit brille, ses yeux grands ouverts ont encore un éclat qui n'appartient qu'à la race transalpine (de mulet). Mais impossible de me rappeler où j'ai aperçu ce pauvre gars. Il se peut que je confonde… Je me penche sur lui et je glisse deux doigts en pince dans la poche supérieure de son veston. Je retire un billet déchiré du Barnaby Circus.