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— C'était un client, dis-je. Qui l'a trouvé ?

— Yo Sui Kô M ! fait un garçon d'écurie coréen.

— Ah bon, c'est toi. Comment cela s'est passé ?

Il m'explique qu'il portait à manger aux éléphants. Comme il coltinait une charge de fourrage il a buté dans quelque chose et ce quelque chose, c'était le monsieur au poignard dans le dos !

Il a illico ameuté la garde. Et voilà.

Je touche le zig. Il est chaud. Je regarde ma montre : son clocher m'annonce 12 heures ce qui, dans les cas nocturnes, signifie précisément une heure moins le quart ! La représentation s'est achevée à minuit tapant. Il a fallu une quinzaine de minutes pour que la foule s'écoule. Donc le gars a été effacé depuis moins d'une demi-plombe. Et il l'a été à un moment où l'esplanade était vide car sinon quelqu'un lui aurait marché dessus bien avant mon petit camarade JY Vâ Thi Jy Vâ Typa.

Conclusion, ce pauvre garçon draguait dans le secteur pour une raison qui m'échappe. Peut-être attendait-il quelqu'un ? Je tressaille. Ça y est, je sais qui c'est ! Il s'agit du chauffeur de la Cadillac qui, ce matin est venue chercher Donato Grado's. Seulement il n'a plus sa livrée, ce qui explique que je ne l'aie pas reconnu tout de suite.

Je malle jusqu'à la roulotte de ces messieurs-dames et je tambourine vilain. Mais il n'y a personne. Avisant un volet ouvert, je me juche sur une roue pour mater l'intérieur. Le faisceau de ma lampe de poche se promène sur un intérieur bien rangé, mais vide de tout locataire.

Dites, les chéris, ça se précise, non ? J'ai carré sur une affaire de tableaux volés et voilà que je tombe sur une histoire de meurtre. Passionnant ! Le hic c'est que je suis en territoire étranger et que par conséquent ma qualité de commissaire ne m'est d'aucune utilité. Ici je ne suis qu'un palefrenier de girafes, qu'un ponceur de défenses, qu'un présentateur d'ogre. Ce qui n'empêche pas ma matière grise de faire équipe de nuit, loin de là. Je vous parie n'importe quoi contre autre chose de moins joli que c'est Donato l'auteur du meurtre. L'ayant perpétré, il s'est barré avec sa petite amie Paul pour se constituer un alibi. En ce moment, il sablerait l'Asti dans une boite de Turin, que ça ne m'étonnerait pas outre mesure, comme le dit mon tailleur.

Je biche mon Sésame et je me mets à tutoyer la serrure de leur roulotte. Une petite inspection me paraît judicieuse. J'inspecte la partie salon consacrant tous mes soins au secrétaire. Tous les secrétaires ont leurs secrets, vous le savez bien. Or, j'ose l'écrire bien haut, il n'existe pas un gars plus doué que moi pour dénicher leurs cachettes. C'en est au point que j'ai failli en faire mon métier.

En moins de temps qu'il n'en faut à un candidat aux élections pour mettre un bulletin à son nom dans l’urne, j'ai déniché le tiroir-mystère. Il se tient dans un montant du meuble. Pour l'ouvrir il faut d'abord ôter l'un des vrais tiroirs et tâtonner pour mettre le doigt dans le trou occulte qui actionne le mécanisme secret. Le tiroir s'ouvre alors. Il a le volume de deux grosses boites d'allumettes. A l'intérieur, je trouve une liasse de devises étrangères : dollars, livres anglaises, francs suisses et escudos, le total représentant une valeur très approximative de trois cent mille six cent vingt-deux anciens francs. Il y a en outre deux petits sachets contenant une poudre blanche que je n'ai pas de mal à identifier : cocaïne. L'un de ces messieurs est de la renifle, peut-être les deux ?

Je biche un stylo sur le secrétaire et j'écris en caractères d'imprimerie sur l'un des sachets le message suivant :

J'AI TOUT DÉCOUVERT. TROUVEZ-VOUS DEMAIN SOIR APRÈS LA REPRÉSENTATION DANS LE TERRAIN VAGUE AU FOND DE LA PLACE.

Ceci rédigé, je remets tout en place et je vais me zoner.

Dehors l'agitation continue. Des gens, alertés par les allées et venues se sont relevés pour venir voir. Il y a un populo incroyable, à travers lequel l'ambulance des matuches a beaucoup de mal à se frayer un passage.

Je souhaite beaucoup de plaisir à mes collègues italiens. Comme sac d'embrouilles ça se pose là. Le zig qui collecte les empreintes va se farcir un drôle de boulot.

Dans notre carrosse, Béru roupille du sommeil du juste. Il est béat, le baobab. Ses ronflements agitent la plante verte que nous a offerts Mme Barnaby. Je siffle dans mes doigts et son moteur diminue d'intensité. Ce qui me permet de faire dodo à mon tour.

CHAPITRE III

— Tu vas dans le monde ? s'étonne Sa majesté.

— Tu ne crois pas si bien dire, fais-je en nouant ma cravate de soie mauve à bords noirs sur ma limace amidonnée. Je vais dans le grand monde.

— Où ce que ? s'obstine Béru.

— Secret professionnel, Gros.

— Oh ! ça va, pigé : tu t'es levé une souris grand luxe ?

— Tu gèles. Mais je t'expliquerai cela plus tard.

Ayant dit, ou plutôt, n'ayant rien dit, je file en conseillant au Gros de faire un peu de footinge pour se détendre.

Je file à la sauvette, mais une voix gazouille mon nom et je me retourne pour sourire à miss Muguet. Ce matin, elle est drôlement bath, ma petite dompteuse d'ongulés du sous ordre des proboscidiens. Elle porte une jupe à carreaux et un polo noir à l'intérieur duquel sa poitrine se rebiffe vachement.

— Vous allez en ville, Tonio ?

— Yes, miss.

— Vous m'emmenez ?

Je retiens un froncement de sourcils qui aurait pu la choquer.

— Je voudrais bien, mon petit cœur, mais je vais voir une de mes tantes qui vit dans un couvent, alors vous comprenez…

— Méchant ! fait-elle.

J'ai très envie de lui demander si le bas de mon dos c'est de la volaille, mais je m’en empêche in extremis, car je suis toujours extrêmement poli avec les dames. Et pourtant je n'aime pas celles qui sont collantes. Celle-ci m'a l'air d'appartenir à cette dangereuse catégorie.

— Je vous emmènerai promener dans l'après-midi, promets-je.

Je m'apprête à foncer, mais une Fiat stoppe devant nous, bourrée de poulardins. Un type brun comme un pruneau, au regard de velours, me saute dessus.

— Où allez-vous ? me demande-t-il en italien.

— A la pêche ! lui réponds-je en français.

Il soulève son sourcil droit, ce qui lui arrondit l'œil.

— Ma qué zé vous connaisse ! s'écrie-t-il.

Je lui fais signe de la bouclate, perqué la miss Muguet est présente. L'arrivant, je le reconnais moi z'aussi. C'est le commissaire Fernaybranca. Il m'emmène à l'écart, qui est un endroit très confortable.

— San-Antonio ! s'écrie-t-il.

— Mon cher collègue, ici je ne suis qu'un employé, fais-je. Mais je vous croyais à Rome ?

— J'ai demandé mon changement, ma femme ne supportait pas la calor.

— Heureux de l'apprendre.

— Comment ça sé fait-il que vous ?…

— Services secrets, murmuré-je. Vous enquêtez à propos du meurtre de cette nuit ?

— Exactementé ! Est-il en relation avec vostre affaire ?

— Je n'en sais rien encore. Je vais renifler de mon côté.

Il agite son bel index sous mon beau nez.

— Vous esté ouna petit cachottière ! plaisante Fernaybranca.

— Allons donc ! Si je savais quelque chose, je vous le dirais. J'ignore même l'identité de la victime. Vous feriez bien d'éclairer ma lanterne.

— Vostra lanterna elle n'éclaire qué vous ! bougonne Fernaybranca. Ma jé sous fairplay. Lé morté, c'est ouna nommé Giuseppe Parrolini. Il travaillait comme chauffeur chez le signor Québellaburna, l'industriel répoutate, céloui qui fabrique les moulins à café électriqués.

— Gracias, commissaire. On se tient au courant de nos investigations. Voulez-vous que nous dînions ensemble ce soir ?